vendredi 14 octobre 2016

Les rendez-vous de l'Histoire 4/4 // Sociologie économique du "Partir" : réseaux et migrations

Je termine cette séquence autour des rdv de l'Histoire avec une table ronde sur les réseaux et migrations, à laquelle intervenaient Cédric Audebert, géographe et directeur de recherche au CNRS, et Michel Peraldi, professeur d'anthropologie. La séance était animée par Philippe Steiner, sociologue.

Trois visions complémentaires, donc, sur le concept de "réseau" et ses applications pratiques.

Une petite photo de paysage blésois, ça mange pas de pain.

Philippe Steiner commence par souligner la polysémie qui existe autour de cette notion, qui incarne une réalité sociale et, de plus en plus, une formule commune, dans le cadre de la vie professionnelle par exemple.

Une réalité sociale qui enjambe les frontières, produit des opportunités, de la confiance entre les gens, mais aussi des déviances (violence, contrebande). C'est, enfin, un outil des sciences sociales.

Les réseaux font l'objet de réflexions et d'analyses depuis trente ans, et prennent en compte les relations directes et indirectes, et traversent les disciplines. 
En sociologie économique, Karl Polanyi est le référent en la matière, avec une réflexion dans laquelle l'humain apparaît comme une pseudo-marchandise. La circulation des individus est une difficulté majeure du monde contemporain (la fameuse "globalisation par le bas" évoquée par Alain Tarrius).

Cédric Audebert prend la parole. Il est spécialisé en migration et réseaux internationaux de la Caraïbe, et aborde la notion de "champ migratoire", où l'on se réfère à deux pôles, le pôle de départ et le pôle d'arrivée, qu'il faut prendre en compte tous les deux. 
Il explique que le fait migratoire a été central dans la construction historique des sociétés caribéennes, où le peuplement est essentiellement d'origine exogène. 
Aujourd'hui, les émigrés caribéens représentent 15% de la population des pays d'origine. 
Les flux sont constatés entre la Caraïbe et les grandes métropoles des pays du Nord, dans le cadre de schémas post-coloniaux, d'une part, et d'autre part, entre les pays de la Caraïbe entre eux. 
Les réseaux, aux Caraïbes, sont familiaux, marchands, religieux, culturels, mais aussi artistiques et musicaux.
A l'échelle macroéconomique, on constate les effets ambivalents des migrations sur l'économie des pays d'origine, avec le transfert d'une partie de la population active. En Martinique et Guadeloupe, 35% des actifs occupés travaillent aujourd'hui en France métropolitaine.
Un tiers des médecins formés à la faculté de Port-au-Prince travaille ensuite à l'extérieur d'Haïti.
Beaucoup de familles dépendent des transferts migratoires de la diaspora.

Michel Peraldi, plus axé sur les migrations autour de la Méditerranée, évoque les deux objets d'études suivants : les migrations comme flux, en lien avec le champ migratoire mentionné par Audebert, et les circulations économiques transnationales informelles.
A Marseille, phare du commerce dans les années 1980, beaucoup de commerçants en provenance du Maghreb venaient s'approvisionner. 80% de l'économie vivrière d'Algérie dépendait par exemple de ce commerce. 
Beaucoup de migrants étaient des "ciculants", faisant la navette entre le Maghreb, Paris, Marseille...
Peraldi évoque le commerce des voitures d'occasion, où le Bénin est en quelque sorte le garage du Nigéria, et réceptionne les véhicules transportés depuis le port d'Anvers, où ils sont convoyés depuis Bruxelles, le marché se situant en Allemagne. Ce sont précisément des réseaux qui sont mis en oeuvre. 
Michel Peraldi propose de se débarrasser du terme "réseau" et de trouver d'autres mots pour retrouver le sens économique. 
Il évoque également Istanbul, comme un grand chaudron où les gens viennent faire du commerce. 
En Méditerranée, en outre, il y a autant de passages sur la ligne Oran-Alicante que sur la ligne Alger-Marseille, car dans les années 1960, se sont installées à Alicante des communautés de pieds-noirs, et l'on parle ici de réseaux car il ne s'agissait pas de familles ni d'ethnies.
A noter, l'Europe de Schengen délivre entre 16 et 17 millions de visas chaque année. Beaucoup sont délivrés à des Russes qui viennent faire du tourisme, mais également à des Maghrébins. Certains sont les "circulants" évoqués plus haut.

Peraldi termine sur l'idée que le commerce vient instituer une promotion sociale qui ne passe plus par l'éducation ou le salariat, comme c'était le cas traditionnellement, et c'est sans doute ce que je retiendrai en premier lieu de cette séance, car elle permet de saisir le visage très actuel de ces flux au sujet desquels on fantasme énormément, et qui recouvrent des réalités plurielles. 

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