mercredi 14 décembre 2016

Un travail comme un autre, Virginia Reeves

Un travail comme un autre a reçu le prix Page/America 2016, décerné à l'occasion du festival America qui se tient un an sur deux à Vincennes, et dont je suis une grande fan (récemment autoproclamée, puisque j'y ai mis les pieds pour la première fois en 2016).
J'ai failli confondre avec le dernier bouquin sur les confidences de notre aimé président, vu le titre, mais la petite citation de Philipp Meyer sur la couverture m'a heureusement détrompée.


Le synopsis

Roscoe T Martin est fasciné par l’électricité, dont il a fait son métier. Il doit néanmoins y renoncer lorsqu'il épouse Marie, et s'installe avec elle dans la ferme familiale. Mais l'exploitation connaît des difficultés, si bien que Roscoe s'y sent mal à l'aise, conscient de son inadaptation à ce milieu et de son manque de compétences pour épauler Marie, jusqu'à ce qu'il entreprenne de détourner une ligne électrique pour alimenter la ferme. Peu à peu, la situation s'améliore et leur quotidien embellit. Un jour pourtant, leurs efforts et leurs espoirs s'effondrent lorsqu'un employé de l'Alabama Power est électrocuté par le branchement réalisé par Roscoe, qui est envoyé en prison. 

Mon avis

Hear ye, ô joie, un bon roman!!
Quelle félicité!

Comme ne le reflète pas le synopsis ci-dessous (à se demander quel inapte l'a pondu), la plus grande partie du récit relate le quotidien de Roscoe en prison. Ainsi, l'histoire commence rapidement, sans perdre de temps en contextualisation, mais tout cela est fort bien fait, car l'on comprend aisément qui sont les protagonistes dès les premières pages. Leur personnalité, elle, ne se dévoile qu'au fil du roman, et se révèle souvent complexe et ambiguë...

J'ai été happée dès les premiers mots, par la langue simple, par le personnage de Roscoe, auquel on s'attache sans toujours le comprendre, et celui de Marie aussi, bien sûr, qui se mure dans le silence et dont on ne comprend pas vraiment les motivations et les réactions de prime abord.
Le regard porté par Roscoe sur son entourage et sur ce qu'il vit diminue, à mon sens, la violence que recèlent les événements : sa force et son allant le poussent vers l'avenir, et imprègnent le lecteur de cet état d'esprit qui participe de sa préservation et lui évite de sombrer dans la folie.
Car, durant toutes les années que dure sa détention, Roscoe ne recevra aucune lettre de Marie, aucune réponse  aux nombreux courriers qu'il lui envoie, pas une visite de son épouse ou de son fils...
Cette extrémité interroge, et tient en haleine tout au long de la lecture.

Certains épisodes font même sourire, alors que l'histoire s'y prête peu : Roscoe s'acharnant à vouloir exercer son emploi d'électricien, alors qu'il est emprisonné pour homicide, ne laisse pas insensible, d'autant plus qu'il est fortement exhorté à abandonner cette idée fantasque. C'est un peu comme si Kerviel envoyait un CV à la SoGé, ou si DSK proposait de sponsoriser les Femen. Sans être démesurément pessimiste, a priori, c'est plutôt pas une bonne idée.

J'ai été très sensible à l'approche singulière du roman, au talent de l'auteur à nous proposer une intrigue qui s'éloigne de tout stéréotype, et des personnages eux aussi éloignés des modèles parfois répandus dans une certaine littérature actuelle. Les valeurs s'y entrechoquent, il n'y a pas de posture facile, si bien que l'on considère tour à tour la position de Roscoe, celle de Marie, celle de Winston, l'homme que Roscoe a entraîné malgré lui dans sa chute, et le jugement se dilue, il n'est pas de solution qui rende à tous leur intégrité morale, pas de réconciliation possible.

Un travail comme un autre m'a surprise, m'a fait réfléchir, et ne m'a pas servi les réponses toutes-faites qui viennent parfois clore les romans. Comme, en-sus, la simplicité et la sincérité de la plume m'ont enchantée, je suis ravie de vous enjoindre à lire ce roman coup de cœur.


Pour vous si...
  • Vous n'avez jamais bien compris, techniquement, pourquoi il ne faut pas mettre les mains dans les prises.
  • Vous avez un peu de peine, au fond, pour Jérôme et Dominique. Pauvres bougres.

Morceaux choisis

"C'est ça, la prison de Kilby. Une cour poussiéreuse où nous prenons de l'exercice. Autour, une haute enceinte surmontée de câbles, et dans ces câbles, de l'électricité, assez pour me tuer, de même que George Haskin et n'importe qui d'autre, plus qu'ils n'en envoient dans Yellow Mama. Ecoutez. Le courant est si puissant qu'on l'entend. Et puis il y a une chapelle, ici, et notre chapelain a planté des fleurs. Elles sont rouges et bleues, et comme je ne connais pas leur nom, j'ai l'impression qu'elles sont étrangères. Ce ne sont pas des fleurs qu'on trouve en Alabama. Mais ce sont les nôtres."

"Le café était toujours un délice pour moi, j'en avais été privé si longtemps. Je crains aujourd'hui de m'être trop habité au confort, le café est redevenu un élément du quotidien, comme de dormir dans un lit, de me réveiller dans ma chambre, d'effectuer mon travail. Toutes ces choses sont des privilèges."


Note finale
4/5
(excellent)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire