jeudi 9 février 2017

Repose-toi sur moi, Serge Joncour

Le dernier roman de Serge Joncour s'est vu décerner le prix Interallié 2016, attribué l'an dernier à la très fameuse Septième fonction du langage. J'ai naturellement été aguichée, en dépit de l'extrême réserve ressentie à la lecture de L'écrivain national. Qui a dit que je ne donnais pas de deuxième chance?


Libres pensées...

Serge Joncour semble se plaire à nous conter fleurette, puisqu'il revient, dans Repose-toi sur moi, avec une histoire d'amour entre deux protagonistes visiblement fort éloignés au premier abord.

D'un côté, il y a Aurore, épouse de Richard, un américain bourré de charme et d'argent, maman de deux jumeaux dont rien ne dit qu'ils sont pénibles (cela dit, ce sont des enfants, donc ils doivent forcément l'être un peu), styliste de talent qui a monté sa boîte et essaie de la faire prospérer en dépit des sournoises manigances supposées de son associé Fabian (saleté, de toutes façons il a un prénom qui sonne fourbe).

De l'autre, Ludovic, immigré provincial en provenance de la vallée du Célé (ndlr : le plus beau coin du monde), ancien agriculteur qui a perdu sa femme et s'est reconverti dans le recouvrement de dettes (la conseillère d'orientation a encore fait du bon boulot) et passe donc ses journées à extorquer des vieilles grands-mères impotentes les fonds planqués sous leur matelas en 1948.

La recette est éprouvée, on adooooore les couples atypiques qui se rejoignent en dépit du qu'en-dira-t'on : c'est ce qui avait fait le succès de La délicatesse, ou du mec de la tombe d'à côté, donc, vraiment un scénario qui fonctionne à merveille.

La difficulté est, partant, la suivante : Serge parviendra-il à se distinguer, dans cette masse de romances cabossées, en nous proposant par exemple des personnages suffisamment incarnés pour ne pas souffrir de ce sentiment de déjà-vu qui risque, inévitablement, d'étreindre le lecteur?

Une question sur laquelle je ne me serais pas engagée avant de me plonger dans la lecture, car, justement, j'avais reproché à L'écrivain national une idylle sans intérêt, un manque de consistance des personnages, en particulier de la dame, qui était un cliché sur pattes sans la moindre densité, une forme évanescente lisse et mystérieuse, un écran de fumée en somme.

Pourtant, et bien oui, Serge m'a surprise, et prouve avec son dernier roman qu'il est possible de rebondir et de sortir du bourbier d'un précédent récit.

Dans Repose-toi sur moi, la protagoniste Aurore présente plus d'aspérités que Dora, la belle mystérieuse pour laquelle se pâmait Serge dans L'écrivain national. N'exagérons pas non plus : Aurore a tout de la petite princesse bobo parisienne, néanmoins, elle apparaît aux prises avec des difficultés entrepreneuriales, et se révèle finalement moins fragile que ce que l'on voudrait d'abord croire, échappant au stéréotype de la jolie femme faible qui ne peut survivre sans le concours d'un protecteur bienveillant, à savoir un homme.
A l'inverse, Ludovic, que son imposante carrure définit à tout va, perd peu à peu son assurance, manifeste graduellement une défiance, voit remonter un complexe de classe, jusqu'au point culminant constitué par une ballade sur un lac gelé (oui, nous sommes dans une romance tout de même, je ne vous le rappellerai jamais assez).

Par ailleurs, l'auteur s'éloigne d'une histoire classique dans la mesure où l'on est tout de même dans une relation adultérine, et si ce point n'est pas abordé du point de vue moral (le lecteur est conduit à vouloir que Ludo et Aurore se retrouvent et s'aiment, sans la moindre pensée pour le pauvre Richard, lequel campe pourtant un adorable mari) ni n'est résolu, il permet de sortir du schéma lourdingue où deux gugus cherchent à s'associer pour se reproduire et ainsi prouver à la face du monde qu'ils sont dans le droit chemin, le seul qui vaille. Le récit de Repose-moi sur toi s'apparente davantage à ces histoires d'êtres un brin malmenés par la vie, ou perdus dans le savoir, qui trouvent une raison d'être dans un amour impromptu qui les lie soudain à quelqu'un qui ne leur ressemble pas. Pourquoi pas, après tout?

En fin de compte, le livre promet un agréable moment, qui n'a pas la prétention de révolutionner l'art du roman, mais qui propose une trame intéressante, et des protagonistes que l'on voit à l'oeuvre y compris dans leur activité professionnelle, et non exclusivement dans la sphère privée, ce qui ne manque pas de sel. Bien joué!



Pour vous si...
  • Cet hiver qui n'en finit pas titille en vous des envies de feel good litterature.
  • Vous n'accordez pas la moindre confiance aux corbeaux, ces sales bêtes menaçantes qui font de votre vie un enfer. 

Morceau choisi

"Cette fois encore, ils refaisaient le même constat, ils n'avaient rien en commun, et pourtant une sensation commune les rapprochait, une sorte d'isolement familier, une solitude jumelle."


Note finale
3/5
(cool)

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