samedi 2 janvier 2016

L'infinie comédie, David Foster Wallace

La publication pour la première fois en français de L'infinie comédie, jugée par beaucoup comme le chef d'oeuvre de la littérature américaine contemporaine (le livre est sorti en 1996 - et oui, il a fallu près de vingt ans pour traduire, mais il faut préciser que le pavé fait plus de 1300 pages...), a été l'un des événements phares de 2015 (dans les librairies, à tout le moins - quels palpitants microcosmes!). Je m'étais de longue date réservée cette lecture pour les vacances - marathon alimentaire, marathon livresque, c'était la période toute indiquée pour s'attaquer à une épreuve de cette taille.

142 tasses de thé plus tard, je suis venue à bout de la bête...

Le synopsis

Dans un futur proche, aux Etats-Unis, la famille Incandenza se retrouve traquée par des séparatistes québécois désireux de s'approprier une vidéo réalisée par James Incandenza (le père), dont le visionnage enclenche chez les spectateurs une addiction mortelle (je la fais courte, mais vous imaginez bien qu'il y a matière, car comme je le rappelle, 1300 pages, mes chers amis...).

Mon avis

Quelle aventure!!!
Et je parle de la lecture, pas encore des épreuves que traversent les Incandenza...
Voici un roman qui marque pour de bon.
D'abord, il y a la langue, et quelle langue! C'est à croire que les mots de David Foster Wallace mènent leur vie en propre, et grouillent, et pullulent. Il y a une richesse de vocabulaire, de style, qui est véritablement unique. Il m'arrive souvent en lisant d'avoir de petites absences, sur deux ou trois phrases, et de raccrocher les wagons lorsque l'attention revient. Ici, je me suis employée à relire les passages d'absence, pour pouvoir en savourer tout le sel : chaque description, chaque personnage regorge de truculence, d'humour, de densité.
On rit en lisant, on savoure, c'est parfois crû et ça ne s'en cache pas (il y a du sexe bien sûr, il y a du scato un peu, et tout un tas d'autres choses encore), le roman forme une fresque quasiment épique qui ne ressemble à rien d'autre de ma connaissance, et c'est sans doute le sentiment qui l'emporte sur tous les autres : comme il est rare de tomber sur un livre qui n'en rappelle aucun autre! L'infinie comédie a provoqué chez moi cette impression.
Par ailleurs, les protagonistes en question, nombreux, ont tous quelque chose d'insolite, de névrosé, des saillances comme je les aime parce qu'elles empêchent toute généralisation facile, toute identification hâtive qui ne sert que le marketing. Les personnages secondaires sont eux aussi tout à fait singuliers (Pamela la dormeuse est une figure qui m'a rendue hilare, le joueur dont le front reste collé à une vitre gelée m'a fait détourner les yeux de nervosité...), l'intrigue progresse de manière complexe, il arrive de se retrouver au beau milieu d'une scène sans trop savoir comment on a pu atterrir là, et ce qui diantre s'y passe, comme si l'on était aussi sous l'effet d'une drogue étrange (ce qui n'était pas mon cas, je vous le garantis, ou alors c'était un effet secondaire et indésirable de l'habituelle overdose de chocolat de circonstance entre le 24 et le 31 décembre).
C'est une lecture folle, furieuse, décalée, opulente, extravagante, foisonnante, que je devrais immanquablement renouveler dans ma vie, pour jeter dessus un autre regard.
Aux lecteurs ambitieux, voilà un défi qui ne demande qu'à être relevé!


Pour vous si...
  • Vous avez l'âme d'un anti-héros, et ne reculez devant aucun défi, fut-il herculéen
  • Les extraits ci-dessous vous donnent envie. Certains accusent David Foster d'être un peu prétentieux et mégalo, donc si les extraits suscitent chez vous ce sentiment, il y a fort à parier que le reste du livre ne vous inspirera rien de bon.
  • Vous aimez bien Jason Segel (un film devrait bientôt sortir dans lequel Jason - que j'aime - interprétera David Foster Wallace - titre anglais : The end of the tour)

Morceaux choisis

"J'observe soigneusement le nœud de cravate kekuléen du Doyen central." (*_* "kekuléen"....)

"M.M. Pemulis a le Q.I. le plus élevé qu'on ait jamais vu dans toute l'histoire de l'Académie. Toutefois, malgré ses valeureux efforts, Hal n'arrive pas à lui inculquer la triade de grammaire requise par Madame I. ni la difficile Littérature de discipline enseignée par Mlle Soma RLO Chawaf, parce que Pemulis, qui prétend voir un mot sur trois à l'envers, souffre d'une méfiance congénitale de matheux à l'égard de l'embrouillamini référentiel et de l'inélégance des systèmes verbaux."

"Molly Notkin faut souvent des confidences téléphoniques à Joelle van Dyne sur l'unique amour tourmenté de sa vie, un spécialiste de GW Pabst à New York University, érotiquement limité, torturé par la conviction névrotique qu'il existe seulement un nombre fini d'érections possibles dans le monde au même moment et que sa tumescence signifie la détumescence quelque part d'un autre homme peut-être plus méritant que lui, un planteur de sorgho dans le tiers-monde, par exemple, de sorte que, chaque fois qu'il se tuméfie, il éprouve un sentiment de culpabilité du même ordre que celui d'un doctorant moins excentrique à l'idée, disons, de porter une peau de bébé phoque."

"Marathe affectait de ne pas avoir vu que l'homme le toisait. Il l'avait vu et ne comprenait pas pourquoi ce type le regardait, mais il ne s'en méfiait pas. Marathe était prêt à mourir de mort violente à tout moment, ce qui lui donnait la liberté de choisir ses émotions."

"Sa fièvre a empiré, et ses rêves fragmentés ont un aspect cubiste qu'il associe de mémoire à une grippe enfantine."


Note finale
4/5
(assez ouf et dinguement chelou)

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