mardi 1 novembre 2016

Belle de jour, Joseph Kessel

Pour le classique du mois, j'ai choisi un roman de Kessel. Publié en 1928, le roman fit scandale, ce qui naturellement a nourri ma curiosité.
A l'heure où les réseaux sociaux sont saturés par les débats houleux autour d'agressions sexuelles servies en direct à des heures de grande audience, n'est-il pas intéressant de se pencher sur ce qui choquait les Français, il y a près d'un siècle?


Le synopsis

Séverine aime Pierre d'un amour pur et absolu. Leur vie conjugale est heureuse et sans accroc, mais la dimension charnelle y est peu présente, si bien qu'un jour, la curiosité pousse Séverine rue Virène, dans une maison tenue par Madame Anaïs, et où elle devient Belle de Jour, une femme qui prodigue et éprouve du plaisir sans aucune sorte d'attachement, lui permettant de résoudre le conflit intérieur qui l'habite.  

Mon avis

On comprend aisément en quoi l'intrigue de Belle de jour peut sembler osée : les états d'âme qui agitent Séverine mettent le lecteur face à des paradoxes humains auxquels les cadres collectifs sociaux n'ont pas apporté de réponse. Séverine apparaît en effet comme une femme amoureuse, qui estime et chérit Pierre profondément, et cependant, les pulsions sont là qui révèlent la réalité du corps, insatisfait, inassouvi.

Dans les sociétés occidentales, nous avons majoritairement appris à penser que le couple monogame était la seule expression possible de l'amour socialement acceptable et estimable. Beaucoup peuvent être heureux de cet état de fait, de cette proposition qui ne connaît finalement que peu d'alternatives bénéficiant du même rayonnement social. Certains peuvent néanmoins remettre en cause ce modèle qui leur semble peut-être étouffant, oppressant.

L'histoire de Séverine, si choquante en 1930, l'est sans doute beaucoup moins aujourd'hui, parce que la littérature, le cinéma, la presse, se sont depuis chargés de véhiculer une image parfois écornée du couple fidèle, bien que les dernières décennies semblent incliner vers un renforcement de ce modèle traditionnel. Les récits de trios amoureux répondant plus ou moins à ce schéma sont légion, et mettent le doigt sur des sujets comme le polyamour, la dualité corps/esprit... Et si le retour au schéma traditionnel est de mise, beaucoup explorent les autres pistes possibles, les alternatives à un cadre jugé trop rigide ou austère. De manière intéressante, on remarque que L'amant de Lady Chatterley a également été publié en 1928 : le sujet était donc dans l'air du temps, faut-il croire!

Je pense que l'attrait de ce roman réside dans le conflit intérieur qui déchire Séverine, et qu'il est crucial d'aborder sans porter sur le personnage un jugement catégorique d'entrée de jeu. Il faut prendre le parti de croire en la bonne foi de Séverine, j'en suis persuadée, de croire en l'amour pur qu'elle porte à Pierre, en sa détermination à l'épargner tout en trouvant un équilibre qui la rende à elle-même. Belle de jour offre un cas précieux à analyser et tâcher de comprendre, sans que cela, bien sûr, n'engage à davantage. Car si le lecteur fait cet effort d'empathie envers Séverine, il lui est d'autant plus facile de le faire envers Pierre, et de concevoir quel sentiment brutal de trahison l'envahirait s'il venait à découvrir, en cours d'intrigue, les activités de sa femme.

Les supputations de récit pornographique, par ailleurs, sont à mon sens mal fondées, dans la mesure où il n'est pas question de détails crus dont la seule vocation serait de choquer le lecteur. Kessel ne fait pas dans le sensationnel, il réfléchit à la condition des hommes et des femmes qui ne parviennent pas à réconcilier les attraits de l'esprit et ceux du corps, dans une langue épurée et littéraire.
Un classique moins classique que d'autres romans, donc, mais dont la lecture est édifiante. 

Pour vous si...
  • Vous êtes prêt à aborder ce roman sans préjugé ; l'exercice, sinon, a tôt fait de perdre de son intérêt

Morceaux choisis

"Que pesait l'amour de son mari auprès de celui qu'elle éprouvait pour son propre corps. Il était si précieux, si vaste et abondant!"

"La prostitution quotidienne ne lui apportait que lassitude et détresse. Elle en sortait pour retrouver l'angoisse de son mari. Brisée par des chocs si constants, Séverine se demanda plus d'une fois, en longeant le quai qui lui était devenu familier, si le froid de la Seine la retiendrait longtemps encore d'achever le geste qu'elle avait une fois ébauché. Peut-être des mariniers eussent-ils fini par retirer cadavre si, enfin, elle n'avait recueilli la récompense d'un martyre jusque-là gratuit."

"Elle s'abattit contre l'oreiller. Elle pleurait sur lui, sur elle, et sur la condition humaine qui divise la chair et l'âme en deux inconciliables tronçons, misère que chacun porte en soi et ne pardonne pas à l'autre."


Note finale
3/5
(cool)

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