vendredi 18 novembre 2016

Voici venir les rêveurs, Imbolo Mbue

Après la lecture d'Americanah, j'étais bien partie pour poursuivre dans la veine de la littérature afro-américaine, ou plutôt la littérature prenant pour objet la société américaine abordée depuis le prisme d'un regard étranger, en particulier africain.
Ce deuxième roman de la sélection mensuelle du Grand Prix des Lectrices nourrissait tous mes espoirs, tant par son synopsis que par les critiques élogieuses abondant sur le net (même si, nous l'avons vu récemment, cela ne veut rien dire... Bisous Emily St John Mandel).
Un petit gâteau, et en voiture Simone!


Le synopsis

Jende et Neni, camerounais, ont immigré aux Etats-Unis pour y construire une vie meilleure pour leur fils. Lorsque Jende décroche le poste de chauffeur auprès de Clark Edwards, banquier fortuné officiant à la Lehman Brothers, il touche son rêve du doigt. Au fil des jours, sa relation avec ses employeurs se développe et devient bientôt ambivalente. Alors que Neni est employée à son tour par Cindy, l'épouse de Clark, pour être temporairement femme de ménage, elle découvre l'état de fragilité dans lequel se trouve cette femme d'origine modeste fière d'avoir acquis un statut social grâce à la richesse de son mari. Cette dernière, jalouse, menace bientôt de renvoyer Jende s'il refuse de lui remettre un inventaire des sorties de son époux, qu'elle soupçonne d'adultère. Jende et Neni, aux prises avec les services de l'Immigration qui menacent de les expulser et les difficultés de leur quotidien, tentent tant bien que mal de maintenir des relations de confiance avec les Edwards, sans risquer de perdre leur poste, lorsque éclate le scandale financier de 2008.  

Mon avis

Ce mois de novembre est tout à fait prolifique en matière de lectures, je suis réjouie!

Voici venir les rêveurs est un roman vénéneux, qui lève le voile sur le visage blafard du rêve américain, à travers le parcours de Jende et Neni, immigrés camerounais qui voient leurs espoirs d'intégration s'effondrer après des années de travail, d'obstination et de sacrifices.

L'écriture rappelle celle de Chimamanda Ngozi Adichie, elle a cette même vivacité qui génère un sentiment de proximité et suscite l'adhésion dès les premières pages, mais les thèmes abordés le sont de manière plus pondérée et progressive que dans Americanah. A travers les relations nouées entre les différents protagonistes, le récit donne à voir le sexisme qui transparaît dans les rapports conjugaux, d'une part entre Jende et Neni, qui incarnent un couple où les rôles traditionnels et le rapport de force entre l'homme et la femme sont affirmés, et d'autre part entre Clark et Cindy, d'une manière plus insidieuse.

Mais, bien entendu, ce sont les rapports sociaux qui restent au cœur du roman, et qui en font l'attrait: la relation entre Clark et Jende, puis entre Cindy et Jende, et enfin entre Cindy et Neni, reflète une violence sociale exacerbée, la condescendance des nantis à l'égard des immigrés envers lesquels ils se montrent volontiers paternalistes, attentifs au discours attendu qu'ils se doivent de prononcer, célébrant la grandeur de l'Amérique et les chances qu'elle leur offre.
L'auteur excelle à livrer des portraits de protagonistes nuancés, loin de tout manichéisme qui serait, dans ce contexte en particulier, tout à fait dommageable.  

Les thèmes abordés à travers le quotidien des personnages sont nombreux et captivants : il est question d'exil, bien sûr, d'intégration, mais aussi des relations ambiguës entretenues par Jende et Neni avec leur famille restée au Cameroun, des espoirs qui portent ces aventuriers modernes, dont le courage est souvent vu comme une menace ; il est aussi question d'identité, de transmission, des inégalités sociales flagrantes...

Le roman est très riche, plus abordable sans doute qu'Americanah auquel il est souvent comparé, porté par une écriture franche et fluide.

N'hésitez pas une seconde à vous laisser tenter!


Pour vous si...
  • Vous avez aimé Americanah
  • Vous vous intéressez aux thèmes de l'immigration et de l'assimilation sociale (comme on dit en sociologie)

Morceaux choisis

"Les gens comme lui n'allaient pas aux Etats-Unis pour un séjour provisoire. Ils y allaient pour s'installer, pour y rester jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux en conquérants - détenteurs d'une green card ou d'un passeport américain, les poches remplies de dollars et de photos de leur vie heureuse. Voilà qui expliquait pourquoi, le jour où il avait embarqué sur le vol Air France Douala-Newark avec correspondance à Paris, Jende était persuadé qu'il ne reverrait pas le Cameroun avant d'avoir gagné sa part du lait, du miel et de la liberté dont regorgeait cette Terre promise que l'on appelait Amérique."

"Etre pauvre en Afrique, cela n'a rien d'exceptionnel. Tout le monde ou presque est pauvre là-bas. La honte d'être pauvre n'est pas la même là-bas." (affirmation de Cindy à Neni, avec grâce)

"Pour la première fois de leur longue histoire, elle craignit qu'il ne la batte.
Et elle aurait reçu ces coups comme une bonne épouse, parce que ces coups-là n'auraient pas été assénés par Jende, mais par un monstrueux personnage né de toutes les souffrances inhérentes à la vie de l'immigrant américain."

Note finale
4/5
(excellent)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire