mercredi 11 janvier 2017

Possédées, Frédéric Gros

Et voilà, la période est aux regrets, regrets de s'être laissé séduire par ces Ferrero Rocher coulant à flots et ces bûches fleurissant à chaque fin de repas, regrets d'avoir cru que cette insouciance pouvait être sans conséquence, mais elle n'est pas aux regrets des lectures qui ont occupé nos derniers jours de décembre.
Parmi elles, le premier roman de Frédéric Gros, Possédées (très à l'image de moi par les chocolats). 



Le synopsis

1632, Loudun (= quelque part entre Poitiers et Tours).
Plusieurs sœurs du couvent des Ursulines, mère Jeanne des Anges en tête, sont prises de convulsion et déclarées possédées par le démon. Bientôt, elles désignent de concert celui qui a introduit le diable en elles : Urbain Grandier, curé de la ville, séduisant et sensible aux charmes féminins.

Mon avis

Un premier roman comme un tour de force, puisque l'auteur parvient à nous immerger dans un cadre pour le moins peu familier : la France de la première moitié du XVIe siècle, avec un fait historique sans doute peu connu des profanes (en clair, du commun des mortels), à savoir, l'affaire des démons de Loudun, dont le principal protagoniste, Urbain Grandier, nous est dépeint comme un homme attisant les convoitises comme la jalousie.

Figurez-vous ce curé beau et charismatique, qui fait se pâmer les femmes et les jeunes filles, et qui se rend coupable d'une grave compromission en engrossant la fille d'un notable local. Forcément, sur le CV de l'époque, ça fait un peu tache.
En parallèle aux intrigues dont Grandier est au cœur, la mère Jeanne nous est présentée, ainsi que son parcours atypique. Il faut préciser que Jeanne s'est montrée, jeune, fantasque et incontrôlable, et l'on pourrait aller jusqu'à dire qu'elle est entrée en religion à la recherche de sensations fortes. Dire que de nos jours, elle aurait pu prendre un abonnement pour 10 sauts en parachute et devenir la mascotte de People are awesome, ou s'inscrire sur Hug Avenue.
Pauvre Jeanne, victime de son époque, et bienheureux nous, qui disposons de tant d'outils pour atteindre l'extase.

Peu à peu, néanmoins, un odieux mécanisme s'enclenche, sans véritablement être orchestré par un homme en particulier, la rumeur enfle, et c'est bientôt toute les nonnes de la ville qui perdent la raison et se laissent emporter par les sens à l'évocation de ce Casanova d'Urbain.
Mais, pour une fois, situation suffisamment rocambolesque pour être relatée dans un roman, ce ne sont pas les dames que l'on accable des pires qualificatifs et dont on déplore la petite vertu, ni le monsieur que l'on admire pour son art de la séduction.
Non non, le dit-monsieur est accusé de sorcellerie.
Et oui.
A l'attention de Bradley Cooper, Theo James, Channing Tatum et autres Chris Pratt : dans une autre vie (et surtout il y a quelques siècles), on vous aurait brûlé, mes braves.

Il faut dire qu'il en a énervé, des gens, le Grandier, en raflant systématiquement les petites minettes qui n'accordaient pas un regard aux autres curés locaux.
Ainsi donc, l'agrégation des motifs individuels combinée aux mœurs de ce temps conduit à la condamnation d'un homme, et pas n'importe quelle condamnation, la condamnation "combo gold" avec boisson torture à volonté, fat burger humiliation et frites bûcher à s'éclater la panse public, parce que c'est dans l'air du temps.

L'histoire paraît invraisemblable, et pourtant.
Le lecteur, aussi impuissant qu'ébloui par cet enchevêtrement tragique et incroyable, est tour à tour fasciné et écœuré, et voit s'accomplir le terrible destin de Grandier, à mesure que le piège se referme sur lui, piège qui n'existe que par la mise en présence d'éléments peu destinés, a priori, à se rencontrer: la folie qui agite les religieuses, la réputation de Grandier, la jalousie de quelques-uns, le sursaut de l'Eglise qui se croit en danger, la toute-puissance de ceux qui le condamnent et le mènent à la mort.

Le récit est passionnant, bien sûr, mais il est davantage : il nous fait soudain aimer plus que jamais notre piètre XXIe siècle, avec ses émissions de télé-réalité, ses grâces présidentielles, ses élections, et même ses Trump.
Ou pas!...

Pour vous si...
  • Victime d'un chagrin d'amour et d'un homme un peu volage, vous avez besoin d'une catharsis. 
  • Vous êtes un fin amateur de faits divers historiques croustillants et un brin sordides.

Morceaux choisis

"Heureusement, il y avait les séances de coulpe auxquelles Jeanne avait droit, qu'elle provoquait même, qui donnaient un plaisir épicé. La ferveur qu'elle mettait là à publiquement s'humilier, se salir, étaler des défauts et des vices... L'énergie qu'elle mettait à dénoncer de pauvres négligences, des distractions misérables, des oublis volontaires... Elle parle en pleurant de ses mains voleuses, de ses doigts incontrôlables, elle hurle qu'il faut la punir, bien fouetter.
La supérieure de Poitiers était outrée, dépassée, mais quelque chose d'électrique passait alors et Jeanne sent, dès qu'elle parle, autour d'elle l'amorce de tremblements. Or pour elle, elle exige de passer à plus grand."

"Louis Gaufridy, c'est le nom d'un prêtre de Marseille, le curé des Accoules. On a découvert, après de longues séances de torture car les démons le soutenaient dans la douleur, qu'il avait été désigné pour toute la Provence comme prince des magiciens, après un premier pacte passé avec Lucifer. Une jeune ursuline, Madeleine, l'a dénoncé. Il lui avait introduit plusieurs diables dans le corps. Elle était possédée, mais les diables en elle, sous la contrainte des exorcistes, ont fini par raconter."

Note finale
4/5
(très bon)

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