mardi 29 août 2017

Les terres dévastées, Emiliano Monge

Emiliano Monge est un auteur mexicain ayant déjà trois romans à son actif. Son petit dernier, Les terres dévastées, a reçu en 2016 un prix sud-américain très prestigieux, ne pouvant qu'attiser la curiosité. Et comme il est publié en français dans la même maison que Joyce Maynard et Joyce Carol Oates, on peut y aller les yeux fermés. 


Libres pensées...

Au Mexique, Epitafio et Estella, amants contrariés, sont trafiquants d’êtres humains. Dans les camions qu’ils conduisent de la jungle aux montagnes, ils transportent des migrants trahis par leurs passeurs, et les vendent après les avoir rendus dociles, en massacrant certains d’entre eux, et en exerçant toutes sortes de violences sur les autres. Mais les trafiquants eux-mêmes ne sont pas à l’abri de l’infortune : Epitafio et Estella sont sur le point d’être piégés par le père Nicho, à la tête de cette organisation monstrueuse.

Quelle claque que Les terres dévastées... Pour ceux qui, parmi les lecteurs, auront réussi à surmonter le dégoût suscité par certaines pages! Car ce qui est frappant, avant toute chose, c'est l'abjection des protagonistes, qui font subir le pire aux hommes et femmes qu'ils ont pris dans leurs filets, et qu'ils cherchent à mater avant d'en tirer bénéfice en les vendant.

Ces protagonistes, ce sont surtout Epitafio et Estella, mais aussi Sepelio, qui accompagne Epitafio, le mystérieux et inquiétant Père Nicho, qui est malheureusement surtout appréhendé en creux, et tire pourtant les ficelles des affaires sordides auxquelles on assiste, ce sont aussi les deux jeunes garçons, passeurs, qui mènent les fugitifs dans la forêt et les remettent aux trafiquants, faisant ensuite commerce des effets personnels abandonnés par leurs proies.

Certaines scènes sont d’une violence et d’une cruauté extrêmes, néanmoins les échanges entre ceux qui les commettent font contrepoids, mettant en relief leurs intérêts, et jusqu’à leurs sentiments, interrogeant la part d’humanité de chacun. Le roman est choquant, et laisse le lecteur assommé, certain de ne pas l’oublier.

Le récit est d’une très grande richesse, tant en termes de contenu que de forme. L’auteur parvient à maintenir le lecteur en haleine de bout en bout, grâce au rythme effréné et à l’alternance des chapitres par un habile procédé (les protagonistes pensent les uns aux autres, ce qui permet à la narration de changer d’objet).

Un bémol, cependant, à travers l'obsession d’Estella et Epitafio pour cette discussion qu’ils n’arrivent pas à avoir, qui induit des répétitions face auxquelles une impatience agacée peut émerger...

Le roman est néanmoins d'une grande force, et ne laisse pas indemne.


Pour vous si...
  • Vous avez le cœur accroché.
  • Vous trouvez que la technologie moderne n'est pas toujours très fiable.
  • Vous fantasmez sur la pampa mexicaine.

Morceaux choisis

"Cet homme qui s'avance désormais vers la benne qu'on lui a dit d'utiliser et qui, chemin faisant, songe aux grappes de mains qui lui tombent des épaules et aux propriétaires de ces mains : comment ai-je pu leur mentir? se demande Merolico, et une crampe lui traverse le ventre : au moins la lumière et le feu reviendront, s'entête-t-il, puis il se revoit là-bas dans la forêt qui divise en deux les terres dévastées, en train de brûler un hameau et ses habitants, prisonniers de leurs maisons.
De plus en plus étonnés et effrayés, Encanecido et Tenido observent la démarche assurée de Morelico et le voient aussi s'adresser aux moignons qu'il transporte : les deux frères ne savent pas, ne peuvent pas imaginer qu'en plus de parler aux bouts de cadavres qu'un peu plus tôt il a découpés, le plus vieux d'entre tous les sans-ombre interpelle aussi son propre destin - Le passé nous attend toujours un peu plus loin, devant."

Note finale
4/5
(excellent)

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