mardi 21 mars 2017

Article 353 du code pénal, Tanguy Viel

A ne pas s'y tromper, c'était LE roman français de la rentrée littéraire de janvier.
Avec un peu de retard, je vous dis tout sur ce fameux article 353. 


Libres pensées...

A Brest, un homme comparaît devant un juge pour l'assassinat d'un promoteur immobilier, qu'il a laissé se noyer devant lui.
Peu à peu, la langue de l'homme se délie, il raconte son histoire, ce qui l'a conduit à se rendre coupable de l'impardonnable.

J'ai été très rapidement touchée par les mots mis dans la bouche du protagoniste, qui s'exprime avec simplicité et humilité. Il dit les échecs, la crédulité, le regard acéré de son fils porté sur lui, tous les espoirs et toutes les déceptions, et puis la honte, la honte terrible qui suffit à Lazenec (le promoteur) à se protéger de toute revendication, lui qui a arnaqué la ville entière, et qui se pavane et profite d'un train de vie luxueux grâce à l'argent qui lui a été confié.

La figure du maire de la ville est elle aussi particulière. Tout comme Martial Kermeur (notre protagoniste), il est tiraillé entre les rêves qu'il avait pour Brest, pour lui-même peut-être aussi, et la pente sur laquelle l'ont mené ses actes, qui l'obligent à devoir assumer l'inexcusable.
Car, pour les vieux socialistes qu'ils sont, il n'est plus indigne manœuvre que d'investir dans l'immobilier pour bénéficier d'un placement supposément juteux. Dans une ville somme toute réduite, c'est une faiblesse de nature à attirer l'opprobre de manière irréversible.

Les mécanismes par lesquels Lazenec extirpe les économies des habitants sans être aucunement inquiété sont redoutables. Le lecteur découvre peu à peu l'envergure de son escroquerie, après avoir vu le piège se refermer sur Kermeur. Au-delà de l'impact financier, le récit souligne l'humiliation, qui rejaillit dans la façon dont le père fait référence à son fils, cherche à lui dissimuler la situation, ce qui conduira ce dernier à des actes lourds de conséquences.

Article 353 du code pénal est un roman dérangeant, qui semble s'être fixé pour ambition de se faire l'avocat du diable. Quel est le véritable visage de l'homme qui s'est rendu coupable de meurtre? Quels étaient ses motifs? Se peut-il qu'ils inspirent la compassion, voire la compréhension? Qui est à même de juger de cela?

Attention, pas de dérive, nous n'en sommes pas à dire que certains meurtres sont justifiés, loin de là. Mais sans faire de généralité ou de conclusion hâtive, le récit a le mérite d'interroger le jugement systématique et catégorique que l'on porte sur le crime, en rejetant en bloc toute possibilité d'humanité du coupable. C'est effrayant, mais il faut s'y confronter : les meurtriers sont humains. Ils ont commis l'irréparable, et pourtant ils peuvent par ailleurs être comme vous et moi, ce pourquoi ils ont des droits.
Tanguy Viel excelle ici à nous rappeler que, derrière ces faits divers sinistres qui font l'actualité, il y a une histoire.
Et la sienne, aussi saisissante qu'elle puisse être, est très réussie.


Pour vous si...
  • Vous ne demandez qu'à être démenti.
  • Vous savez qu'il n'est pas si facile de quitter Brest. 

Morceaux choisis

"Je me suis dit que désormais j'aurai le temps de la regarder, la mer, depuis les fenêtres de ma cellule. Puis les deux flics m'ont fait asseoir sur le banc de plastique collé à la tôle. Là, je me souviens, dans l'inconfort de la camionnette qui traversait le pont, sursautant à chaque nid-de-poule de la route fatiguée par le poids des remorques et des bateaux de dix tonnes, là, par la vitre arrière qui accueillait la bruine, on aurait dit que le ciel essayait de traverser le grillage pour se mettre à l'abri lui aussi, et ça faisait comme un rideau de tulle qu'on aurait posé sur la ville et qui ressemblait à notre histoire, oui ça ressemble à notre histoire, j'ai dit au juge, ce n'est pas du brouillard ni du vent mais un simple rideau indéchirable qui nous sépare des choses."

"Et ça m'a fait bizarre d'entendre ça dans la bouche du juge, comme de l'ironie ou je ne sais pas, un couteau dans une plaie qu'il rouvrait en moi sans que je distingue s'il le faisait par amusement ou si seulement il suivait la ligne droite des faits, si la ligne droite des faits, c'était aussi la somme des omissions et renoncements et choses inaccomplies si la ligne droite des faits, c'était comme l'enchaînement de mauvaises réponses à un grand questionnaire."


Note finale
4/5
(cool)

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