mardi 14 mars 2017

Venise n'est pas en Italie, Ivan Calbérac

Un titre un peu provoc, une distinction aguichante, voilà suffisamment de matière pour me convaincre de me plonger dans le premier roman d'Ivan Calbérac!


Libres pensées...

Rien de tel que le bouche-à-oreille pour découvrir de nouvelles lectures ; c'est en tout cas la méthode grâce à laquelle j'ai découvert, dernièrement, un roman original et rafraîchissant.

Le livre s'apparente au journal d'Emile, le protagoniste, un adolescent à l'allure discrète, traversant les tribulations ordinaires des jeunes gens de son âge (formule que j'ai toujours rêvé d'employer, pour sa capacité admirable à me renvoyer immédiatement à la catégorie des "vieux", cette nébuleuse obscure à la fois attirante - à moi la sagesse, l'accomplissement social, la thune!...il faut s'attendre néanmoins à devoir gérer quelques franches déceptions - et répugnante - bonjour les membres flasques, l'arthrite et les trous de mémoire -), et d'autres moins communes.

Emile est issu d'une famille modeste ; il vit avec ses parents dans une caravane, en attendant un permis de construire que la mairie tarde à fournir. Il entretient avec ces derniers - comme tout ado, vous me direz- une relation particulière, faite de non-dits, de frustration, de gêne, et d'une grande tendresse (ah, les parents, ces vieilles choses auxquelles on s'attache indûment...).
Et, comme tout ado, Emile ne pense qu'à une chose.
Non, pas les jeux vidéos.
Non, pas le porno non plus, encore que.
Et oui, il ne reste que : l'amooooouuuuur!
L'amour fait jeune fille sous les traits de Pauline, qui, en plus d'être bonne charmante, incarne précisément ce qu'Emile redoute et admire : un milieu social bourgeois, dépositaire de la culture légitime, ce qui s'exprime à travers son éducation musicale par exemple, mais aussi, et de manière plus physiquement concrète, la maison dans laquelle elle vit, les manières de ses parents, et, bien entendu, le regard qu'ils portent sur lui.
Néanmoins, Emile s'accroche, s'attache, et lorsque Pauline lui propose de la rejoindre à Venise pour l'écouter jouer dans un orchestre symphonique, il croit enfin toucher le rêve du doigt.
Bien sûr, le sort s'en mêle, ses parents puis son frère décident de l'accompagner pour passer eux aussi des vacances à Venise, et ce qui devait être un rêve à base de gondole et de gnocchis al dente devient une épopée caravanesque avec passage par la case "camping".

Le roman repose en partie sur des scènes qui pourraient tenir du vaudeville, sur l'humour naturellement indissociable du road trip auquel Emile prend part bien malgré lui, mais il va néanmoins au-delà.

L'auteur nous plonge dans les émois adolescents, ce qui mobilisera éventuellement les souvenirs gênants et émus que nous tâchons tous de refouler profondément, par le biais d'une écriture très orale, très vivante, non pas une écriture recherchée ou un style raffiné qui dénoterait complètement avec l'ambition du livre.

Enfin, toujours par le biais de cette langue très franche, il dessine une sorte de satire sociale, dévoile cette forme de violence à laquelle est confrontée Emile, la violence des différences sociales, des stigmates dont il est victime, de l'appartenance qu'il porte et exprime à son insu, et l'éloigne de Pauline qui, quant à elle, maîtrise les codes de la bourgeoisie, d'une culture légitime solidement ancrée dans son éducation et ses origines.

Il n'est pas question d'aborder ce thème sous l'angle de la théorie, mais du quotidien de deux ados qui partagent une attirance, des troubles et des doutes qui les rapprochent en dépit du reste.

J'ai aimé la simplicité avec laquelle ce sujet était évoqué, l'évolution du personnage d'Emile, qui, si elle est attendue et espérée, se fait avec intelligence.

Venise n'est pas en Italie n'est pas qu'un texte divertissant et abordable, c'est aussi un texte d'une très belle sensibilité, qui met le doigt sur une réalité persistante, à l'heure où l'on pourrait croire que les technologies rapprochent et mélangent, de par l'accès de tous (ou en tout cas, une majorité) à l'information et à la culture. Comme l'a très bien démontré Thomas (Piketty, coucou), les inégalités sociales n'ont eu de cesse de se creuser au court de la deuxième moitié du vingtième siècle, et culminent aujourd'hui. Nul doute que le sujet mérite d'avoir une place dans la littérature. 

Pour vous si...
  • Vous n'avez pas abandonné votre fantasme de l'uptown girl.
  • Votre famille est un boulet qui vous suit où que vous alliez, et dont vous savez que vous ne vous débarrasserez pas comme ça. Courage à vous. 

Morceaux choisis

"Moi, c'est rare que les filles me regardent, même discrètement, mine de rien. Ma mère dit que j'ai une beauté discrète, je sais pas trop comment le prendre. La beauté discrète, ça peut s'approcher dangereusement de la mocheté, si vous voyez ce que je veux dire."

"A Paris, il paraît que chaque matin, les gens prennent le métro pour améliorer leur train de vie. Mais comme ils le reprennent une deuxième fois le soir pour rentrer chez eux, c'est surtout le train-train qui augmente, et finalement, leur vie devient pire que si elle était mieux."


Note finale
4/5
(trop cool)

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