Premier roman très relayé dans le cadre de la rentrée littéraire, Imago est signé Cyril Dion, artiste engagé et auteur du documentaire Demain, qui a rencontré un immense succès.
Libres pensées...
Nadr et Khalil sont frères, et palestiniens. Nadr est aussi doux et réfléchi que son frère et en colère et belliqueux. Aussi, lorsque Khalil part pour Paris afin de commettre un attentat, Nadr part à son tour, espérant le rattraper et l'empêcher d'agir.
En France, se trouvent Amandine, qui a jadis aimé un homme qui lui a arraché leur enfant, et Fernando, son premier né, devenu un homme qui travaille pour une institution internationale vouée à procurer des fonds aux pays en voie de développement.
Imago est un roman à lire, indubitablement.
En tout premier lieu, l'écriture vaut le détour, et mérite que l'on s'y arrête : poétique, elle est pleine de résonnances, d'échos, sur un sujet particulièrement grave et douloureux.
Ensuite, je trouve personnellement que la démarche de Cyril Dion mérite également que l'on s'y attarde, parce que le conflit israélo-palestinien n'est guère un sujet de prédilection pour un premier roman. Ce sujet n'est pas absent de la littérature, bien sûr, mais on peut dire qu'il est "casse-gueule", ce pourquoi je suspecte que si peu d'auteurs choisissent de s'y frotter.
Cyril Dion aborde la question notamment depuis le point de vue palestinien de Khalil et Nadr, qui n'ont d'ailleurs pas la même vision du conflit entre eux, mais aussi depuis d'autres points de vue (à cet égard, le personnage de Fernando Clerc contribue à étoffer le récit).
Il mêle d'autres thématiques au récit, à travers l'enlèvement de l'enfant d'Amandine, ses vaines recherches pour le retrouver, et les questions identitaires abordées par Khalil et surtout Nadr. La relation entre Amandine et Fernando ne manque pas d'intérêt non plus, bien qu'elle s'éloigne quelque peu du coeur de l'intrigue.
J'ai apprécié la fin du roman (j'y suis toujours très attentive), parce qu'elle ne verse pas dans la facilité romanesque, et ne cède pas à la dictature du lecteur heureux, friand de feel good litterature. Et oui, certaines histoires finissent mal. Et ce sont le plus souvent les plus réalistes.
Néanmoins, j'ai conçu des réserves concernant le choix narratif de l'auteur, en particulier autour des personnalités des protagonistes. Des deux frères, il apparaît rapidement que celui qui projette d'organiser un attentat est palestinien "pure souche", et que celui qui est le plus pacifiste, qui a pourtant reçu la même éducation et a la même vie que son frère, est celui qui est d'ascendance française par l'un de ses parents. Je ne pense pas que l'auteur ait vu à mal dans cette répartition des rôles, mais cela interpelle inévitablement, et je pense que cela peut être dérangeant.
Si l'on dépasse ce point, il m'est difficile d'évaluer la crédibilité du périple de Nadr (est-ce si facile de rejoindre la France depuis la Palestine par le biais des différentes escales décrites, sans le soutien d'une organisation puissante ? Je n'en ai pas la moindre idée...), mais j'ai en revanche été sensible à la volonté de l'auteur de restituer des postures différentes de la part de personnages qui ont connu les mêmes affres liées au conflit israélo-palestinien (que l'on ne peut guère se figurer, en dépit de toute la littérature et de tous les documentaires que l'on pourra consulter à ce sujet).
A lire, donc !
Pour vous si...
- Vous appréciez les romans qui se penchent sur le monde contemporain.
Morceaux choisis
"_Ici, nous ne recevons pas de bombes, nos maisons ne sont pas détruites. Nous pouvons circuler à peu près librement. Du moins les hommes le peuvent. Mais nous ne sommes pas libres. Du temps de Moubarak, la police politique ramassait les opposants, les torturait, violait leurs femmes sous leurs yeux, la moitié du peuple était maintenue dans la misère. Aujourd'hui, ce sont les militaires qui assassinent leurs adversaires par centaines, nous devons nous cacher, taire nos voix à nouveau.
_Je sais tout ça.
_Et tu sais aussi ce que c'est qu'être une femme ? Puisque tu sais tout. Te couvrir pour sortir, te tenir sur tes gardes dès qu'un homme est dans les parages, supporter leurs regards sur toi, obéir à leurs ordres, ne pas pouvoir choisir où tu vas, ce que tu fais. Tout ça tu connais...
Nadr restait silencieux.
_Crois-tu qu'une femme de chez toi pourrait se trouver où tu es à présent ? Qu'elle aurait pu s'enfuir de son pays sans se faire frapper, violer ou pire si on l'avait attrapée ? Chacun d'entre nous vit avec sa propre prison, plus ou moins large. Et fait ce qu'il peut pour en sortir..."
"Tu fais partie de ce monde que je ne comprends pas, qui ne semble se soucier que de jouir. Parmi eux je suis une bête, une anomalie. Ma couleur les dérange, mon odeur les dérange, mes yeux sur leurs femmes, mes pieds sur leurs trottoirs. Leur regard ne ment pas, ils sont comme les Israéliens qui voulaient me jeter à la mer. Je n'ai pas d'espoir de te trouver et pourtant, sur chaque visage de femme, je t'espère. Mère."
Note finale
3/5
(cool)
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