mardi 19 décembre 2017

Bakhita, Véronique Olmi

Je n'ai lu qu'un roman de Véronique Olmi, et ça n'a pas été une franche réussite. Ce souvenir m'a sans doute tenue à distance de son petit dernier, Bakhita, en dépit de l'accueil dithyrambique que lui ont réservé la presse et le lectorat. J'ai bien fini par m'y résoudre, et je peux vous dire que je ne regrette pas. 


Libres pensées...

Bakhita est née au Darfour, et elle a sept ans lorsqu'elle est enlevée à proximité de son village. Les deux hommes qui l'emmènent seront les premiers à la vendre. Elle passera ensuite de maître en maître, connaîtra le viol, la torture du tatouage, servira de domestique, et quittera l'Afrique après avoir été achetée par un consul italien. En Europe l'attend un tout autre destin.

Le récit de Bakhita est très dur, autant qu'on peut l'imaginer. Véronique Olmi en maîtrise la matière, ce qui lui permet de mettre son talent d'écriture au service de la mise en lumière de cette histoire à la fois banale (pour la partie relative à l'esclavage, malheureusement) et hors du commun (Bakhita ayant été libérée et étant rentrée dans les ordres, puis ayant accédé à la canonisation en 2000).

Bakhita est un grand roman à de nombreux égards.
Avant tout, il fait connaître l'histoire de Bakhita, et à travers elle, le sort de milliers de personnes réduites en esclavage et traitées comme marchandise, passant d'un maître à l'autre, susceptibles d'être contraintes au bon vouloir de leur maître, qui avait droit de vie et de mort sur elles. Il ne s'agit que d'anecdotes, néanmoins les épisodes de la vie de Bakhita font naître l'indignation et l'horreur.

On a également, à travers son histoire, un aperçu des mouvements d'esclaves, transportés d'un pays à l'autre, le long d'interminables caravanes la plupart du temps, dont certains ne réchappaient pas.

Dans ce contexte, il est étrange de voir l'Eglise catholique apparaître comme un refuge, un asile, elle qui a été prompte, dans d'autres contexte, à exterminer, et qui d'une certaine façon véhicule la vision d'infériorité des noirs et donc des esclaves, ne les voit que comme moyen d'extension de son pouvoir à travers leur évangélisation (ce qui est néanmoins davantage que la façon dont les considère le reste de la population dans sa majorité). Dans les yeux de Bakhita, néanmoins, on comprend instantanément l'issue inespéré que représentent les ordres et le fait d'y entrer, au regard de ce qui l'attend si elle retourne en Afrique.

Il y a dans Bakhita une réflexion autour de l'altérité, qui se déploie en particulier lorsque Bakhita met le pied en Europe, où elle est la seule noire, et où, pour la première fois, le regard qui se pose sur elle est un regard de peur, car pour les italiens blancs d'alors, le noir est le diable.

La violence qui se dégage de Bakhita est aussi dérangeante qu'importante, dans la mesure où ce pan de l'histoire, cette version, émerge lentement, mais a été passée sous silence des décennies, des siècles durant, et donne à voir les événements rapportés sous un autre angle, où les "héros" d'antan, hommes d'affaires, hommes politiques, voyageurs, ainsi que leurs familles, sont soudain tristement inhumains.

Je resterai marquée par ce roman de Véronique Olmi, qui ébranle, et ne laisse pas indemme.

Dans le contexte actuel, où la presse a parlé de ventes aux enchères de migrants comme esclaves organisées récemment en Libye, Bakhita résonne lugubrement. Le roman s'inscrit par ailleurs dans la lignée des romans historiques réhabilitant la version de l'Histoire révélant le sort des hommes, femmes et enfants réduits en esclavage, en Afrique mais aussi en Amérique, et la responsabilité des peuples qui les ont asservis. 

Pour vous si...
  • Vous êtes un adepte des "histoires vraies"...
  • Vous ne tenez pas rigueur à Véronique de son dernier roman, et rassurez-vous, celui-ci est dans un tout autre registre !

Morceaux choisis

"Les gardiens se relayaient pour le fouetter à tour de rôle, et alors c'est devenu une habitude, c'était lui et seulement lui qu'ils fouettaient, un coup après l'autre, qui accompagnaient la marche. Il avançait courbé, les genoux pliés, les bras abandonnés le long de son corps cassé. Et après des kilomètres de marche, alors que la caravane descendait l'autre côté de la colline, après avoir dénudé l'os de son épaule et arraché la peau de son dos, le fouet a pris les yeux du jeune homme en colère, qui depuis longtemps n'avait plus de colère."

"La présence de la soeur aînée donne un sens à sa présence ici, la maison de ses premiers maîtres. Tout ce chemin, c'était pour se rapprocher de Kishmet. Rien n'a été inutile ni hasardeux. Elle a bien marché, elle a bien obéi, et elle est arrivée au bon endroit. Elle va retrouver sa soeur et revenir à Olgossa avec elle."

"Djamila. La beauté, cette malédiction."

"Elle parle moins, elle est prudente, peu assurée, et ce n'est pas son langage qui est un mélange, c'est elle. Elle a dix ans et elle ne sait pas comment grandir. Grandir bien. Grandir douce et bonne, elle impure, abîmée, et sans innocence. Sa vie est comme une danse à l'envers, un tourbillon d'eau sale."

"Bakhita est épuisée, son corps est un enchevêtrement de douleurs et son âme cherche Kishmet."


Note finale
4/5
(excellent)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire