lundi 12 juin 2017

Le pas suspendu de la révolte, Mathieu Belezi

Je ressors les archives : janvier 2016, découverte de Mathieu Belezi grâce au roman Un faux pas dans la vie d'Emma Picard, qui racontait la migration d'une femme avec ses enfants en Algérie, pour reprendre et faire prospérer une ferme, projet qui se transforme peu à peu en échec monumental. J'avais été bluffée par cette aventure effroyable et réaliste (en tout cas, crédible). 
La publication d'un nouveau roman, Le pas suspendu de la révolte, est l'occasion de le retrouver. 



Libres pensées...

Et qui dit retrouvailles, dit online stalking! Comme je n'en suis pas à traquer les écrivains sur les réseaux sociaux, je me suis contentée de consulter la page wikipédia consacrée à Mathieu, et ai eu la surprise de trouver une belle bibliographie à son actif, alors que je m'imaginais un débutant! (idée pêchée je ne sais où, puisque le seul livre de lui que j'avais lu à l'époque n'évoquait en rien une maîtrise perfectible).

Avant tout, Mathieu est Limougeaud, excellente nouvelle car il faut encourager les auteurs du Sud-Ouest (et oui, je l'ai tyranniquement décrété).
Et, autre argument massif, Le pas suspendu de la révolte est un sacré bouquin.

Plusieurs personnages ont voix au chapitre, relatant chacun plusieurs journées s'articulant autour d'un événement commun auquel ils prennent tous part. Chacun peut ainsi livrer sa vision, et prendre la pleine mesure de son rôle, sans se cantonner à n'être qu'un figurant dans la scène dont un autre est le héros, comme ce peut être parfois le cas en littérature.
Le premier personnage est Théo, qui a quitté sa femme Clara et leurs deux enfants, sans autre motif que, soudain, ne plus pouvoir supporter cette vie. Depuis, il erre sur les routes, sans but et seul.
Viennent ensuite Laure, la sœur aînée de Clara, Maurice, son grand-père, Romain, fils de Laure, Clara en personne, et Nicolas, le frère de Laure et Clara.

Au centre, l'anniversaire de Lucie, la fille aînée de Clara et Théo, qui va réunir toute la famille et en confronter les membres. En toile de fond, un tueur rode dans la ville, qui coupe les têtes de ses victimes, de jeunes gens sans histoire. Nicolas, policier, est activement sur ses traces.

Le roman est en premier lieu très original de par sa forme : de longues phrases se succèdent, la ponctuation est minimaliste, les majuscules absentes, traduisant le trouble des personnages qui, chacun à leur façon, traversent un moment de leur vie particulier.

Il est en outre dérangeant, de par les sujets abordés, et la façon dont il les aborde : Clara se voit attribuer un rôle de garde-chiourme, d'emmerdeuse, d'hystérique même, si bien que le lecteur est tenté de lui vouer de l'antipathie, alors qu'elle est avant tout une femme abandonnée en détresse.
Théo est difficile à cerner, s'exprime par sous-entendus qui nous échappent et nous laissent entrevoir le pire. Nico est quant à lui désagréable, violent, misogyne, plus encore que ne l'est Théo à qui il reproche pourtant de l'être. Car il règne dans le récit un malaise et une violence exacerbés.

Pour ma part, si j'ai été désarçonnée par ces personnages impulsifs et bourrés de défauts, j'ai néanmoins été sensible à ce qu'ils expriment de réalisme, car le conflit familial qui se trame est de ceux que l'on peut connaître dans sa propre famille, générant des réactions vives, de la mauvaise foi, des luttes de territoire... Tout cela est finalement très "animal".

Le récit permet donc d'appréhender un même événement au travers les regards de tous ceux qu'il implique, soulignant ainsi le fait qu'il n'existe pas une vérité à son sujet, et sa construction le rend inédit en ce qu'il n'y a pas de "résolution" comme on pourrait en attendre, un suspens demeure qui interroge le lecteur. C'est un peu comme si les incertitudes que l'on rencontre dans la vie s'invitaient dans un livre : on ne maîtrise pas vraiment tout ce qui se passe, plusieurs lectures peuvent être faites, et l'on ne sait jamais si une histoire se terminera, et comment.


Pour vous si...
  • Vous considérez comme de grands naïfs ceux qui se disent en quête de LA vérité.
  • Un livre qui vous met mal à l'aise ne vous déplaît pas pour autant.

Morceaux choisis

"nous avons tour à tour levé nos verres et trinqué aux succès de Lucie Gracques qui était ma fille, l'avais-je oublié? la fille que nous avions programmée Clara et moi en ce mois de septembre sicilien où nous étions restés plus de trois semaines, cheminant sur les routes abandonnées des touristes, entre Taormine et Syracuse, comme deux gyrovagues libérés des soucis de la vie"

"j'ai fini mon pastis d'un coup, je sentais que ça commençait à énerver Marie cette discussion, mais il fallait pourtant que je continue, bon sang mon autorité de père était en jeu ce soir
_ Moi je ne m'en fous pas, et ta mère non plus, et c'est pour ça que je te demande à partir de demain d'enfiler des vêtements décents
_ Des vêtements décents?
_ Tu me comprends très bien, des jupes qui te couvrent décemment le cul et des tee-shirts qui n'invitent pas à fourrer le nez dans tes nichons
_ Nicolas, ça suffit!
s'est exclamée Marie, posant une main nerveuse sur mon bras, mais il était trop tard
_ Vas-y, dis-le moi que ta fille ressemble à une pute! Dis-le moi puisque c'est ce que tu penses!
_ Je te demande de t'habiller avec des vêtements de ton âge
_ Je m'habille comme s'habillent mes copines qui n'ont pas plus envie que moi de se faire sauter!"

"_Nico, tu as retrouvé mon sac?
_Bien sûr
_Comment ça, bien sûr?
_Bien sûr que j'ai retrouvé ton sac, qu'est-ce que tu crois? il n'y a pas que des nazes dans la police
_Mon chéri, tu me sauves, j'ai déprimé toute la journée
_Ca n'en valait pas la peine
_Si, mais tu ne peux pas comprendre, parce que tu ne sais pas ce qu'il y a dans le sac des femmes"
(dois-je vraiment formuler tout le bien que je pense de cette dernière phrase, qui érige le personnage qui la prononce au rang de gigantesque dindon?)

Note finale
3/5
(cool)

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