Le nom de Fabrice Humbert figure dans ma PAL depuis un bon moment; je me suis finalement décidée pour Eden utopie, un de ses derniers romans, paru en 2015.
Libres pensées...
J'ai découvert en débutant la lecture d'Eden utopie qu'il s'agissait d'un roman à vocation biographique, retraçant l'histoire de la famille maternelle de l'auteur. Dans un de ses précédents livres, L'origine de la violence, l'auteur avait exploré le volet paternel de son arbre généalogique, et reproduit donc une démarche similaire dans ce nouvel opus.
Fabrice Humbert établit un parallèle entre sa démarche et l'entreprise de Zola rédigeant les Rougon-Macquart, soulignant la similitude du fait d'une branche familiale bourgeoise et d'une branche populaire, faite de paysans, d'artisans, de petits commerçants. Il balaie les destins de sa grand-mère Madeleine et de son amie Sarah, ainsi que ceux de leurs descendants directs, traversant ainsi une grande partie du XXe siècle. On découvre les débuts à Clamart, les désillusions et les coups du sort, mêle des anecdotes tirées de sa propre expérience, s'en tient autant que possible au réel en décrivant les faits, n'allant pas explorer les hypothétiques états d'âme de ses ancêtres.
Les chemins décrits sont cabossés, ancrés dans une temporalité précise, l'embourgeoisement de certains sensibles, mais ne protège de rien : la petite-fille de Sarah, adorable pianiste lorsqu'elle était enfant, se retrouve militante d'Action Directe et emprisonnée.
Le roman de Fabrice Humbert n'est pas dénué d'intérêt : la démarche est intéressante, tâchant de réduire autant que possible la fiction et l'imaginaire alors que l'on est dans le domaine du romanesque. Le cadre historique est très présent, c'est l'histoire du XXe siècle que l'on revisite en partie en se plongeant dans les vies des aïeuls de l'auteur.
Néanmoins, la lecture ne m'a guère transportée.
Si certains livres ont cet étrange pouvoir de nous captiver quel que soit le contexte dans lequel ils sont lus, je pense que, pour la grande majorité d'entre eux, tout est question de moment, de kairos. Il y a des lectures qui feront écho à certains éléments de notre vie si elles interviennent dans une période précise, et rien du tout, si elles interviennent cinq ans plus tard. Parfois, le timing est bien plus serré, il peut s'agir d'une question de mois, voire de jours.
Depuis plusieurs mois, je me montre peu réceptive aux romans d'auteurs qui entreprennent de remonter le fil de leur généalogie, et de nous dire les "vies minuscules" (dans un sens positif, donc) de ceux qui les ont précédés.
Je ne nie pas l'importance de ces témoignages, de ces travaux qui peuvent constituer un apport historique, sociologique, mais il me semble qu'ils sortent quelque peu du cadre de l'entreprise romanesque, et qu'ils résultent parfois d'un effet de mode souffrant d'un biais auto-centré. Le jugement est rude, je vous l'accorde, et ne s'applique pas spécifiquement à Fabrice Humbert, dont le roman intéressera sans doute de nombreux lecteurs, mais plus généralement à plusieurs lectures qui n'ont pas trouvé crédit à mes yeux : je pense à Appartenir, Outre-mère, Nous les passeurs, La suture, Grand-père, Une allure folle...
Pourquoi donc, me direz-vous, s'acharner à lire de tels romans s'il est évident que je ne les apprécie pas? D'abord, parce que je tombe sur eux parfois par hasard, sans savoir qu'ils ressortissent de cette catégorie, mais aussi parce que mes goûts changent, et qu'il n'est pas impossible que je les apprécie dans un an, deux mois, deux jours... Quel dommage, partant, de rater le coche!
Ainsi donc, rendez-vous manqué, mon cher Fabrice, mais la prochaine occasion sera peut-être plus fructueuse!
Pour vous si...
- Vous êtes accro aux fresques familiales
- Et le rapprochement avec les Rougon-Macquart, réalisé par l'auteur lui-même, ne vous semble pas blasphématoire.
Morceaux choisis
"Oui, c'était l'Eden, c'était l'Utopie. Parce que c'était dur, parce que c'était intense, parce que les CRS envoyaient des grenades, parce qu'il y avait, surtout, cette grande houle de la foule, lame furieuse et folle, qui enveloppait chaque individu et le haussait au-dessus de lui-même."
"Une remarque de ma mère qu'aurait malgré tout adoré AD. C'est tout de même gênant, disait-elle. On passe un été, deux étés avec des gens et puis voilà qu'on les retrouve dans les journaux, condamnés à plusieurs années de prison pour abus de biens sociaux ou autre délit de corruption. Elle disait cela d'un ton faussement ingénu, très drôle."
"Des fantasmes de Résistance. Beaucoup, en retard d'une guerre, voulaient avoir un vrai destin et surtout pas la vie d'employé modèle et de père de famille qu'on leur fixait. Égarés dans la société bourgeoise de Valéry Giscard d'Estaing, ils regrettaient de ne pas vivre d'époque dangereuse. Ils voulaient la révolution comme d'autres veulent s'engager pour le front."
"Qu'est-ce qu'un milieu social? Une pénétration irrésistible de l'être par mille détails, mille conceptions du monde, mille pressions inconscientes qui nourrissent, forment, sanglent, enserrent, étranglent, pour le meilleur et pour le pire."
Note finale
2/5
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