vendredi 15 septembre 2017

La tanche, Inge Schilperoord

Le roman a fait fureur dans son pays d'origine, les Pays-Bas, la traduction débarque en France sans fanfare, mais avec une couverture et un titre qui titillent.

Non mais dites-moi un peu qui n'aurait pas envie de fanfaronner dans le métro avec un tel livre à la main?

Libres pensées...

Aux Pays-Bas, Jonathan sort de prison et retourne vivre chez sa mère, dans un quartier menacé par la démolition. Suivi par un psychologue lors de son internement, il applique rigoureusement les conseils qui lui ont été prodigués, pour organiser son quotidien au mieux, et prévenir toute possible rechute. Lors de son absence, une fillette du voisinage a pris soin de son chien, et insiste pour continuer à le promener avec Jonathan, à présent qu'il est rentré. Elle incarne pourtant précisément ce dont Jonathan doit se tenir à distance pour ne prendre aucun risque.

La tanche aborde le sujet de la pédophilie, ce que l'on comprend rapidement à la lecture, pressentant l'attraction qu'exerce la petite fille sur Jonathan. Les événements passés constituent une toile de fond toujours présente, qui ne quitte jamais réellement l'esprit de Jonathan, rode comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

Le récit est constitué de la succession des journées de Jonathan, faite de mécanismes censés le tenir à l'écart de la récidive, étouffer ses pulsions. Car si Jonathan s'acharne à réussir sa "réinsertion", son retour à la vie normale, le lecteur garde en tête, même malgré lui, les sombres prédictions du psychologue, qui a estimé à 80% le risque que Jonathan "recommence".
Le personnage de sa mère est ambivalent, elle semble à la fois heureuse du retour de son fils, mais est bientôt une ombre qui habite la maison, elle ne perçoit pas le danger imminent qui se dessine. Au fur et à mesure des jours, Jonathan passe du temps avec la petite fille, mais personne ne s'en soucie, personne n'y prête attention : la petite fille est souvent seule, et la mère de Jonathan est malade, préoccupée par le déménagement à venir.

Dans l'agitation ambiante, se forge ce lien qui devient une tension, le lecteur craint à chaque instant que Jonathan se laisse aller à ses pulsions, comme Jonathan le craint lui-même. L'auteur restitue avec finesse la tentation qu'il ressent, grandissante, les menus détails qui ancrent son désir dans la réalité, font de lui un funambule qui pourrait tomber à tout instant.
Le style restitue une atmosphère, la solitude des personnages, les choses du quotidien, avec franchise et simplicité.

La lecture du roman met mal à l'aise, et l'on est frappé par l'absence d'accompagnement de ce jeune homme qui a pourtant été soigné pendant sa rétention, et qui se retrouve soudain seul, dehors, face à ses démons.
Le roman n'est pas fait pour juger, il donne à voir deux personnages qui se retrouvent proches par la force des choses, leur embryon de relation sort de toute forme de cadre social sain et rassurant, et il règne une tension que l'on ne saurait nommer, qui provient pour partie de Jonathan, mais plus encore de cet environnement hostile, qui conduit à la mort du poisson pêché par Jonathan. Le récit est tissé de symbolisme, ce qui apporte une profondeur à son apparence factuelle.

La tanche est donc assurément l'un des romans incontournables de l'année, une expérience de lecture singulière qui hante durablement. 

Pour vous si...
  • Vous avez compris qu'il ne s'agit pas d'un documentaire sur la pêche 
  • Vous prenez à la lettre toute prédiction sinistre

Morceaux choisis

"Il devait se focaliser sur maintenant. Maintenant, tout était différent. Il était différent de celui qu'il était à l'époque, et cette fillette était différente aussi. Il songea de nouveau au calme qu'il avait éprouvé en sa présence. Il n'avait jamais connu une pareille expérience. Au fond, c'était une bénédiction qu'il ait fait sa connaissance. Tant qu'il n'approchait pas trop près d'elle, il pouvait s'entraîner. C'était pourtant précisément ce dont il avait besoin, non?"

"Quand il ouvrit les yeux, il sentit les larmes. Il savait, même si cela pouvait paraître absurde, que sa fin était venue. Maintenant que l'animal était mort, c'en était aussi fini de lui."


Note finale
4/5
(très bon)

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