Parmi la foultitude de romans qui paraissent à l'occasion de la rentrée littéraire, celui de Franck Balandier se distingue au premier regard grâce à son titre improbable et oxymorique : quoi de plus éloigné que de l'essence et un tango? Bon, je vous le concède, la traduction était peut-être un poil trop littérale, sans doute faut-il voir davantage une référence à un tango explosif (un peu comme dans Zorro, ahhhhh Antooonio!!). Bref, en selle, allons voir de quoi il en retourne.
Libres pensées...
Benjamin n'a pas de chance : il est né doté d'une sensibilité extrême au son, si bien que le moindre bruit l'insupporte, lui dont la mère est batteuse dans un groupe de rock féminin. Dans la cité où il grandit, il est bientôt connu pour ses manies bizarres, son allure étrange, avec son casque sans cesse vissé sur les oreilles qu'il ne quitte en aucun cas. Son entourage hétéroclite s'inquiète pour lui, depuis Isidore et Yolande, les voisins qui prennent soin de lui dès qu'ils en ont l'occasion, jusqu'à Mémé Lucette, qui le recueille lorsque sa mère part en tournée. Il devient un adolescent décalé, solitaire, et les relations qu'il noue sont systématiquement affectées par la "maladie" qui le touche. Un jour cependant, il fait la rencontre de Noémie, sourde et muette.
Vous l'avez sans doute deviné au synopsis, Gazoline Tango est un gentil roman, qui s'appuie sur des forces évidentes, à savoir, la personnalité un peu lunaire d'un protagoniste souffrant d'une "condition" rare, une galerie de personnages colorés, et un lieu dans lequel s'ancre l'histoire, à savoir, le quartier de banlieue dans lequel Benjamin vit. L'intrigue regorge de bons sentiments, elle est à la fois légère (de nombreuses anecdotes sont décrites avec humour, et donnent le sourire) et grave (de par la situation de Benjamin, et sa mélancolie doublée d'une certaine solitude).
Le récit pourrait donc être de ceux qui plaisent au grand nombre, de par ces ingrédients efficaces, néanmoins, il souffre d'une structure un peu trop audacieuse à mon goût, et à laquelle je n'ai trouvé aucune explication : le mode de narration est alterné, certains chapitres répondent à une narration interne (depuis le point de vue de Benjamin qui devient "je") et d'autres à une narration externe (Benjamin n'est plus le narrateur, il est observé, et devient "il"). Cette technique m'a laissé circonspecte, j'ai en tout cas manqué d'imagination et n'ai pas saisi la raison pour laquelle la narration n'était pas stable, en particulier parce que la façon dont est abordé Benjamin par le narrateur externe ne tranche pas nettement avec la façon dont Benjamin se perçoit lui-même, ce qui rend le narrateur externe caduc à mes yeux : sa vision ne présente pas d'intérêt spécifique par rapport à celle de Benjamin, qui est satisfaisante pour suivre le cours de l'histoire.
L'intrigue est par ailleurs plaisante, cependant j'ai senti mon intérêt se diluer au fil de la lecture, à mesure que la vie de quartier laissait place aux interrogations de Benjamin et à l'évolution de sa "maladie", ainsi qu'à la "résolution" finale.
Il y a donc de belles choses dans ce roman tendre, à côté duquel j'ai le sentiment d'être passée, à regret. Je vous souhaite d'y être plus réceptif que je n'ai pu l'être!
Pour vous si...
- Vous êtes fasciné par la synesthésie
- Vous n'êtes pas pointilleux sur le choix du mode narratif
Morceaux choisis
"Je m'étais très vite attaché à ce Jean-Sébastien Bach. Il aurait pu être mon père. Je l'avais cru au début. Mais ça ne collait pas au niveau des dates. Je ne comprenais pas non plus comment on peut enregistrer un disque quand on est mort depuis deux siècles et demi. Le père Germain m'avait alors expliqué l'arnaque : sur le disque, ce n'était pas Jean-Sébastien qui jouait, mais des remplaçants."
"A la cité des peintres, on s'aime d'abord par peur de se retrouver seul, vraiment tout seul. La solitude nous fait nous rapprocher, nous donner la main, puis nous unir. J'ai aimé pareil, à reculons, pour empêcher la mort d'avancer. J'ai aimé pour vaincre ma solitude. J'aurais dû retenir la première fille qui passait par là. Elle n'est jamais passée. Ou alors, je n'ai pas su la reconnaître. Je suis parti à sa recherche, longtemps, je suis parti."
"Ces gens-là n'ont pas besoin de nous! C'est évident! Nous n'avons plus rien à faire avec eux!
Elle semblait appuyer sur ce "eux" d'une façon particulière, comme pour indiquer que tous ses engagements jusque-là n'avaient été que des subterfuges pour marquer sa supériorité, sa domination, la nécessité d'elle, partout où elle passerait, où elle était passée. L'humanitaire envisagé comme une forme moderne de colonisation. La continuation, version soft, pour se donner bonne conscience, de celle d'hier."
Note finale
3/5
(cool)
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