lundi 22 janvier 2018

Exit West, Mohsin Hamid

Mohsin Hamid est un écrivain pakistanais (naturalisé britannique, dixit Wikipédia). Dans son dernier roman, il décrit les limites du concept occidental d'humanisme. Il croit que l'Histoire appelle à l'emergence d'un mouvement de défense des droits des migrants, à l'instar du mouvement en faveur des civil rights il y a quelques décennies, ou en faveur des droits des femmes. En effet, il entrevoit comme conséquence du déni de la dignité humaine et de l'égalité, la fin de la croyance en l'humanisme, et le début du "tribalisme". Le Pakistan est à considérer comme un exemple de ce qui peut se produire à cet égard. Cependant, dans la conception de Hamid, la migration est porteuse d'espoir, et non de menace. 


Libres pensées...

Au Moyen-Orient, Nadia et Saïd se rencontrent, et leur romance se noue tandis que leur ville est agitée par l’arrivée au pouvoir de militants, et la guerre civile qui s’ensuit, mettant les rues à feu et à sang. Laissant leur famille derrière eux, ils décident de fuir, et gagnent Mykonos, où ils se retrouvent, comme des milliers d’immigrés, pris au piège, leurs allées et venues étant contrôlées, et leur départ interdit. La chance leur sourit lorsque Nadia se lie d’amitié avec une jeune fille qui les aide à rejoindre Londres, où ils occupent, avec d’autres migrants, de grandes demeures inoccupées, résistant aux tentatives policières de les faire évacuer les lieux. Leur périple les mènera finalement jusqu’en Californie. Au cours de ces années d’exil, l’amour entre eux prend un nouveau visage, s’érode et se renforce tour à tour, confronté à la misère, la solitude, la violence, le rejet, à leur identité mouvante.

Exit West est un roman aux accents très actuels, qui prend le parti de se concentrer sur deux protagonistes pris dans la tourmente d’un pays en proie à la violence, qu’ils fuient à la fois pour survivre, et dans l’espoir d’un futur meilleur. Néanmoins, l’époque n’est pas précisée, il pourrait s’agir de 2017 comme éventuellement d’une période remontant à quelques décennies, car la migration n’est pas un phénomène nouveau et a rencontré depuis la deuxième partie du XXe siècle une hostilité croissante dans les pays occidentaux développés.

Le récit suit les différentes étapes du parcours de Nadia et Saïd. La première partie est dédiée à leur rencontre, à leur relation naissante alors que les violences se répandent dans la ville, puis leur voyage jusqu’à Mykonos, leur « séjour » à Londres puis en Californie. La progression, chronologique, combinée à des effets d’annonce de l’auteur, sont efficaces pour maintenir l’intérêt du lecteur.

L’auteur n’aborde pas le sujet à travers la dimension éthique liée au rejet vécu par Saïd et Nadia, mais il nous propose de partager leur quotidien, leurs inquiétudes, leurs aspirations, et la façon dont cette lutte permanente pour la survie les modèle. Exit West est un récit troublant, pudique et très bien maîtrisé.

Saïd et Nadia ont chacun leur propre personnalité, dont on appréhende l’évolution au fur et à mesure de leur exil, le récit débutant par leur rencontre, et allant jusqu’au bout de leur amour. Ils suscitent l’empathie en ce qu’ils sont présentés avant tout comme des jeunes gens frappés par un contexte politique auquel ils n’ont pas pris part, et sont « victimes » des événements.

L'écriture retranscrit subtilement l’atmosphère des différents lieux, et les émotions et pensées qui habitent les protagonistes, confrontés à des événements d’une grande brutalité. 

Exit West donne l’occasion d’aborder le point de vue de personnages qui quittent le pays où ils ont grandi, leur famille et tous leurs repères, pour avoir une chance de trouver un environnement qui leur sera propice, par exemple dans un pays occidental.
L'intrigue présente des résonnances évidentes avec l’actualité, et le style favorise l’immersion et l’émotion, faisant de Exit West l'un des grands romans de la rentrée littéraire d'hiver. 

Pour vous si...
  • La migration fait partie des sujets qui vous interpellent.
  • Vous ne passeriez pas à côté de ce must-read de 2018.

Morceaux choisis

"Dans une ville ayant connu un afflux massif de réfugiés mais encore relativement pacifique, ou du moins pas encore en état de guerre ouverte, un garçon rencontre une fille en salle de cours sans lui adresser la parole. Plusieurs jours de suite. Il s’appelle Saïd, elle Nadia.
[...] Il peut sembler paradoxal que, dans une ville oscillant au bord de l’abîme, des jeunes continuent à s’instruire, dans ce cas précis à suivre un cours du soir en marketing et branding, mais ce n’est après tout que normal, dans les mégalopoles comme dans la vie courante : un instant, vous menez vos activités quotidiennes comme si de rien n’était, une minute après vous agonisez sur un trottoir, et notre fin sans cesse annoncée ne met un point d’arrêt à nos éphémères débuts et développements que lorsqu’elle se produit."

"Certains essaient apparemment de recréer la routine d'une vie normale, comme s'il était entièrement naturel qu'une famille de quatre personnes s'entasse sous une feuille de plastique tendue entre des branches coupées pour former des piquets et calées par quelques briques fêlées. D'autres regardent l'univers urbain avec ce qui ressemble à de la colère, ou de la stupéfaction, ou de la supplication, ou de l'envie. D'autres encore ne bougent même plus, terrassés au sol par la perte de repères ou par la fatigue, ou peut-être en train de mourir."

"En des circonstances dramatiques telles que celles dans lesquelles eux et tous les amants à travers la ville se retrouvent maintenant, les émotions ont tendance à prendre une acuité dramatique, elles aussi, et puis l'obstacle du couvre-feu provoque un effet similaire à celui de la distance dans une relation intercontinentale : les amours lointaines sont connues pour renforcer la passion, du moins pendant un temps, tout comme le jeûne a la réputation d'attiser la gourmandise."

"Quand nous émigrons, nous éliminons de notre existence ceux que nous laissons derrière nous."

"Tout autour de la planète, des gens s'échappent de là où ils ont vécu, fuyant des plaines jadis fertiles mais maintenant craquelées par la sécheresse, des villages côtiers asphyxiés par les marées montantes, des villes surpeuplées et des champs de bataille sanglants, et ils s'éloignent aussi de leurs semblables même si l'amour les avait auparavant liés, comme dans le cas de Nadia qui prend ses distances avec Saïd, et lui avec elle."

Note finale
5/5
(coup de coeur)

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