jeudi 25 janvier 2018

Par amour, Valérie Tong Cuong

J'avais vu traîner sur la blogosphère des avis élogieux autour du roman de Valérie Tong Cuong, Par amour. Après avoir essuyé les remarques désobligeantes de mes proches (non, rien à voir avec Diam's), j'ai découvert qu'il s'agissait en réalité d'un roman portant sur une période très peu abordée dans la littérature : la Seconde Guerre Mondiale. J'étais donc dans les meilleures dispositions possibles pour attaquer la lecture. 


Libres pensées...

Au Havre, la Seconde Guerre Mondiale vient frapper de plein fouet les deux soeurs Emélie et Muguette. L'époux d'Emélie, Joffre, un patriote convaincu, revient de la guerre désabusé, et se fond peu à peu dans le quotidien de la collaboration, en apparence, éloignant de lui Emélie, qui s'accommode mal du régime de Vichy et des choix du Maréchal Pétain.
Muguette, la jeune soeur d'Emélie, plus fantasque et fragile, est soulagée à l'annonce de l'armistice, et espère retrouver une existence paisible avec ses deux enfants Joseph et Marline, mais son époux Louis ne rentre pas de la guerre, et elle apprend bientôt qu'il a été fait prisonnier et est retenu dans un camp allemand.
Lorsqu'elle est atteinte de tuberculose, Emélie trouve une solution d'accueil pour Joseph et Marline en Algérie.

Le roman de Valérie Tong Cuong présente des atouts indéniables : tout d'abord, elle manie ingénieusement l'art du récit, et l'on se laisse porter avec plaisir par les pérégrinations de ses personnages, car elle parvient à transmettre les émotions qui les habitent.

Par ailleurs, bien que le contexte et les épisodes relatés soient tous connus (le parti pris n'est pas de lever le voile sur un épisode historique demeuré obscur, si ce n'est éventuellement l'envoi d'enfants vers des familles d'accueil en Algérie), de nombreux rebondissements viennent ponctuer l'intrigue, créant un suspense qui maintient le lecteur en haleine.

Néanmoins, j'ai été un peu déçue par le choix de représenter Joffre et Emélie en résistants. Le récit national s'est beaucoup construit, depuis 1945, autour de ce mythe de la France résistante, mais les études historiques ont démontré depuis que le phénomène, s'il s'est effectivement amplifié à l'approche de l'issue de la guerre, ne concernait qu'une petite minorité en 1940. C'est la raison pour laquelle il me paraît facile de représenter des protagonistes résistants, automatiquement du côté du "bon choix" : il aurait été plus intéressant au contraire de se placer du côté de ceux qui ont fait le choix inverse, alors correspondant au choix dominant, et que l'Histoire a ensuite présenté comme le choix lâche et honteux. Ici, Muguette en effet pourrait incarner celle qui se contente de l'armistice, mais elle est dessinée tout au long du récit comme la soeur fragile, la soeur qui opte pour la facilité, dont le discernement est moindre que celui de sa soeur Emélie.

Par ailleurs (attention spoiler!), le choix fait par l'auteur de "ressusciter" les enfants de Muguette m'est également apparu comme une facilité, et m'a donné le sentiment que l'auteur ne parvenait finalement pas à assumer la direction prise, et n'avait pas le coeur à ôter ses enfants à une Muguette malade et affaiblie. D'où une sorte de "Deus ex machina" qui, du point de vue romanesque, tient mal la route, selon moi.

Ainsi, Par amour est un roman agréable, qui véhicule de beaux sentiments, mais c'est aussi à mes yeux le roman de la facilité sur la Deuxième Guerre Mondiale. Suffisamment riche toutefois pour embrasser plusieurs destins, il raconte en creux une France résistante qui, bien sûr, a existé, mais contribue à renforcer l'image du Français insoumis qui était en fait une réalité exceptionnelle plus que la règle d'alors. 

Pour vous si...
  • C'est tout c'que t'as su dire ;
  • Vous aimez la littérature qui divertit, sous couvert de vague caution historique. 

Morceaux choisis

"J'éprouvais moi aussi ce sentiment de honte depuis ce jour honni où le Maréchal avait demandé l'armistice. Nous n'étions que fuite, têtes basses, renoncement. Sur le chemin du retour, j'avais observé en ravalant des larmes de rage les traces de nos lâchetés collectives."

"Cela faisait presque un an que nous avions fui la ville pour la première fois. Un an avait suffi pour que notre famille soit en morceaux.
Je me demandais, tandis que nous marchions, quand tout cela finira-t-il ? Combien de temps faudra-t-il pour reconstruire ?
Même ceux qui ne sont pas forts en sciences savent que l'on tombe toujours plus vite que l'on ne se relève."

"Cette guerre me faisait penser à un arbre dont les ramifications ne cessaient de se développer, chaque fait déployant ses propres conséquences et celles-ci en engendrant de nouvelles, dans un mouvement sans fin."


Note finale
2/5
(pas mal)

1 commentaire:

  1. Bonjour, j'interagis rarement sur les blogs, et je respecte votre sentiment et votre manque d'enthousiasme, on ne peut plaire à tout le monde ! En revanche j'estime nécessaire, par respect également, cette fois pour ceux qui m'ont offert leurs témoignages lorsque j'ai écrit ce roman, une petite mise au point. Vous parlez de choix faciles quant à l'exemple des des résistants, ainsi que celui du naufrage et de ses rescapés. Sachez que je n'ai rien inventé, comme je l'ai souvent expliqué dans mes interview. Même si bien entendu, et c'est le rôle du romancier, j'ai adapté, travaillé les personnages de manière à construire l'intrigue. Ces gens ont réellement existé et vécu ce qui est raconté, et notamment cette histoire folle du naufrage ( la famille ayant sauvé des enfants juifs a été honorée de son côté en tant que "Justes") . La "vague caution historique" pour reprendre votre expression, ce sont des dizaines de témoignages, et de documents inédits et d'études universitaires (cf bibliographie en fin d'ouvrage) qui m'ont d'ailleurs valu de recevoir pour ce roman le grand prix de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen. Je comprends que la réalité dépasse la fiction, c'est sans doute ce qui vous a donné cette impression. Mais je me devais, au nom de ces familles, de tous ces gens, de ce qu'ils ont enduré avec tant de courage, de vous apporter ces précisions. Bien cordialement. Valérie Tong Cuong

    RépondreSupprimer