Nous y voici, le retour attendu d'Olivier Bourdeaut, auteur du très remarqué En attendant Bojangles, l'un des grands romans de 2016. L'auteur revient avec la même maison d'édition, et un roman qui nous emmène cette fois dans un tout autre endroit, au coeur des marais salants de Guérande.
Libres pensées...
Jean a quitté l'agitation de la vie parisienne pour les marais salants de Guérande, où il est devenu paludier. Un jour, il trouve un homme ivre échoué dans l'un de ses oeillets, ayant uriné sur son travail. Il s'agit de Michel, agent immobilier parvenu, avec lequel, passée leur rencontre houleuse, il noue une improbable amitié.
Pas évident, de signer un deuxième roman, quand on a rencontré un tel succès avec le premier ! J'ai bien sûr pensé au protagoniste dans Le mystère de l'affaire Harry Québert en abordant ce deuxième ouvrage de Bourdeaut, tant cette publication était attendue.
J'ai retrouvé avec plaisir la prose ironique et coulante de l'auteur, déjà appréciée pour ces qualités dans En attendant Bojangles, qui était très accessible tout en étant bourré d'humour et d'une certaine poésie. Il est intéressant, dans Pactum salis, de changer complètement d'univers, de rebattre les cartes, en quelque sorte.
Et l'exercice est réussi : les marais salants constituent un cadre original et plaisant, l'auteur narguant le tourisme et portant dessus un oeil critique, ce qui lui gagne la complaisance du lecteur (le tourisme, se démocratisant, et même s'il reste l'apanage d'une portion réduite de la population, est devenu une activité que l'on tourne en ridicule, dont on se plaint, refusant de se voir potentiellement comme un touriste à son tour, ce qui est sournois, parce que le tourisme en France concerne aujourd'hui majoritairement les classes moyennes, qui ne peuvent y accéder que depuis le siècle dernier), narguant aussi les parisiens, ainsi que les nouveaux riches à travers le personnage de Michel, qui suscite la défiance, et un sentiment d'injustice, car l'on ne peut s'empêcher de penser qu'il ne mérite pas ce qu'il a acquis.
A l'inverse, le personnage de Jean, qui se développe dans la vulnérabilité, à travers la fuite qui l'a fait s'installer à Guérande, lui garantit la sympathie du lecteur.
Néanmoins, progression inattendue, les deux hommes se rapprochent, et naît entre eux une sorte de relation instable, qui fait penser à l'amitié, et menace cependant de basculer à tout instant, chacun cachant un tempérament sujet à l'emportement. Michel et Jean s'apprécient presque, s'estiment d'une certaine manière, Jean allant jusqu'à dire que Michel le fascine, alors qu'il incarne beaucoup de ces choses qu'il rejette.
Autour d'eux, des personnages secondaires surgissent, expliquent la situation (notamment, la relation jadis nouée par Jean avec Henry, qui était lui aussi un homme au fort caractère et du genre provocateur), ou la complexifient, donnent à voir l'un et l'autre sous leur vrai jour, et révèlent certains de leurs traits (à l'instar de la petite perfidie de Michel à l'endroit de Jean lorsqu'ils s'emploient à séduire trois vacancières).
Je dois malheureusement faire le constat que je n'ai pas retrouvé cette étincelle, cette audace qui m'avait séduite dans En attendant Bojangles, car Pactum salis est finalement un roman qui repose sur l'humour et sa chute, étape à laquelle on s'attend d'ailleurs à un rebondissement, ce en quoi l'on n'est pas déçu, mais qui n'a pas les nuances tragi-comiques qui faisaient le sel de son aîné (hu hu, jeu de mot majeur...), bien qu'il s'inscrive à son tour dans cette lignée.
Le roman reste cependant de belle composition, et garantit un agréable moment de lecture, confirmant les qualités de l'auteur en termes de maîtrise narrative et d'empreinte, mais dont le talent était à mon sens plus exacerbé dans son premier livre.
Pour vous si...
- Vous vous demandez ce qu'un œillet vient faire dans cette histoire ;
- Vous n'êtes pas trop à cheval sur le test de Bechdel.
Morceaux choisis
"Il avait en face de lui une femme parfaitement capable de lui envoyer son verre de kir au visage. Et puis il connaissait la réponse. Elle n'en avait pas vu depuis trois ans [ndlr : de queue] et probablement n'en verrait-elle jamais d'autre. Pas la sienne en tout cas, qui s'était rétractée au fil du dîner à la manière du dernier bulot desséché reparti vers les cuisines, à jamais inatteignable dans sa coquille. [...] Malgré un cul parfait, Virginie Martin, sur ses talons pointus, hissait haut le pavillon de l'ennui absolu."
"- En somme ! Vous dites "en somme" jeune homme, c'est très bien ! C'est parfait même. Désormais les gens pour résumer leurs pensées ne disent plus "au fond, en somme ou tout compte fait" mais ils disent "en gros". Cela peut vous sembler dérisoire mais pour moi, voyez-vous, c'est le symbole d'un monde qui s'écroule. Avant nous donnions le fond de notre pensée, les comptes de nos réflexions, désormais les gens donnent le gros de celles-ci."
"Le touriste aime se sentir unique. Il [Jean] était probablement devenu "le petite paludier" de centaines de vacanciers et s'en accommodait, sans comprendre vraiment pourquoi l'artisan local est toujjours "petit" dans leurs bouches."
"Il était convaincu que les paysages les plus beaux devraient être formellement interdits aux touristes. Le tourisme rendait abjectes toutes classes sociales, il y avait une forme d'égalité dans la médiocrité touristique."
Note finale
3/5
(cool)
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