vendredi 19 août 2016

Désolée, je suis attendue, Agnès Martin-Lugand

I know. I KNOW.
Depuis que j'ai découvert son roman Les gens heureux lisent et boivent du café, je me suis évertuée à en dire le plus grand mal, au point que son auteur est devenu un point de repère dans ma vie et sur le blog, incarnant la littérature actuelle que je n'aime pas.
Et cependant, malgré cela, j'ai décidé de découvrir son dernier né, dont le titre était certes un peu moins pénible que ceux de ses derniers livres, mais ne laissait pas présager que les travers du passé avaient été surmontés.



Le synopsis

A trente-cinq ans, Yael ne vit que par et pour son travail. Interprète dans une agence en forte croissance, elle n'aime rien tant que passer ses journées entre rendez-vous client et prospection, et déborde d'ambition pour le futur. Ses amis et sa sœur, Alice, ne reconnaissent plus en elle la jeune fille enjouée et légère qu'elle était à vingt ans, et se montrent critiques envers son choix de vie, qui ne fait aucune place à la détente, à la famille, au temps passé avec ses proches.
Cependant, son obstination la pousse dans ses retranchements, si bien que son patron l'oblige bientôt à prendre des vacances. Durant la même période, elle tombe par hasard sur Marc, un ancien ami qui avait disparu sans laisser de trace dix ans plus tôt, laissant Yael et leur bande d'amis dans une grande détresse. Ces deux événements vont concourir à transformer peu à peu sa vie et la conception qu'elle en a.

Mon avis

Il faut donner des secondes chances. Très honnêtement, je n'avais pas le sentiment que c'était ce que je faisais en m'attelant à Désolée, je suis attendue, mais c'est là un tort de ma part.
Je dois l'admettre, j'aurais mis ma main au feu que ce roman était du même acabit que les précédents; néanmoins, force est de constater qu'il ne m'a pas prodigieusement énervée, et qu'en fait, il était même plutôt cool.

Le topo de départ est assez simple, et l'on peut d'entrée de jeu deviner où l'auteur va nous emmener : une business girl complètement workaholic, que la vie va se charger de rappeler à l'ordre en lui envoyant un souvenir d'amour d'antan, qui seul sera capable de lui faire comprendre qu'en réalité la vie n'est pas résumable au travail.

Le point très positif par rapport aux Gens qui lisent consiste dans le choix de cette trame qui n'inclut que des éléments "dramatiques" mineurs : Marc a disparu un beau jour, et l'on peut s'imaginer la difficulté de cet épisode pour ses amis, mais il n'est pas question de la mort brutale d'un mari et d'un enfant, comme dans son premier roman, où un traitement léger était, à mon sens, déplacé, du fait de la gravité du sujet.

Par ailleurs, l'auteur a significativement amélioré son sens de l'intrigue, apportant de la profondeur à son roman, et ménageant les transitions. Ce qui m'avait le plus choqué dans son premier livre concernait en particulier les transitions, le fait que la psychologie ne soit pas suffisamment travaillée et rende l'ensemble peu crédible : d'une protagoniste éplorée par la perte, on passait à une protagoniste dont les réflexions se cristallisaient sur son voisin de palier avec une facilité déconcertante, semblant oublier au passage la tragédie qui l'accablait.

Ici, on est d'emblée plongé dans le quotidien de Yael, qui est détaillé de telle sorte que l'on parvient facilement à en saisir le contenu, et à s'y intéresser.
La progression du récit est maîtrisée, et tient le lecteur en haleine, c'est d'ailleurs ce qui constitue, à mon sens, le talent de l'auteur.

De même, les personnages sont plus profonds que ce que proposait Les gens heureux, et convainquent pour cela beaucoup plus : le départ de Marc, au demeurant surprenant, est expliqué de telle sorte que le lecteur y croit, de la même façon, les échanges entre Yael et Bertrand concernant la compatibilité vie privée/vie professionnelle donnent aussi de la densité, en faisant se confronter deux visions qui ne se sont pas comprises, et qui pourtant reposent sur la même finalité professionnelle.
De manière générale, les dialogues permettent de creuser les sujets, grâce à de nombreuses confrontations qui sont relativement habiles, et qui tâchent d'aller au-delà de platitudes ou d'évidences. On sent bien sûr le biais adopté par l'auteur, et l'on devine, au choix des mots employés par exemple, qu'elle avalise peu la posture de Yael : dans ses épisodes proches du burn-out, Yael "crache", "siffle", là où les autres protagonistes parlent, tout simplement. L'usage de ce vocabulaire connoté laisse transparaître une volonté d'orienter la pensée du lecteur, mais globalement il n'est pas excessif, si bien que l'on adhère toutefois à l'histoire sans avoir trop le sentiment d'être forcé dans une direction ou une autre.

Seul bémol : certaines réactions ou modes de pensée de Yael sont parfois trop exacerbées, et font craindre le stéréotype, car bien sûr, il faut que Yael atteigne ces extrémités pour pouvoir ensuite remettre les pieds sur terre, mais tout cela ne semble pas toujours absolument motivé. Son échange violent avec Marc une fois qu'elle obtient son Graal professionnel (remarquez, je fais tout pour ne pas trop vous spoiler...) est surprenant, et m'a rappelé certains romans que j'apprécie peu, où les protagonistes, ayant, entre les mains tout ce qui peut faire leur bonheur, choisissent néanmoins de donner une inflexion inattendue notamment à leur relation amoureuse : cela donne le sentiment qu'ils cherchent à créer du drama sans que ce ne soit nécessaire. De même, certaines phrases dans la bouche de Yael manquent parfois de nuance, et m'ont fait penser que l'on pouvait se rapprocher d'une image collectivement intériorisée de la business woman sans cœur et dont l'acharnement n'a pas de sens. A cet égard, la conclusion, certes pleine de sens, m'a paru un peu lisse.

En tout cas, je dois donc faire amende honorable et classer ce dernier roman d'Agnès Martin-Lugand dans les bonnes surprises de l'été. Bien sûr, il y a des passages qui m'ont laissée circonspecte, et m'ont fait craindre certaines faiblesses rencontrées dans Les gens heureux, cependant le récit se tient, il est très bien structuré, harponne le lecteur, et aborde un sujet somme toute intéressant et actuel.


Pour vous si...
  • Vous vous demandez comment une femme peut combiner une vie professionnelle stimulante et une vie privée épanouie
  • Vous êtes du genre à donner des deuxièmes chances

Morceaux choisis

"Ma sœur... nos différences se gonflaient avec le temps et la vie qui avançait, mais elle restait mon point de repère, mon ancrage. Je ne pouvais pas concevoir un monde, une vie sans elle. Il fallait que je la sache pas trop loin de moi, même si je ne la voyais pas. Je n'avais pas de temps à lui consacrer, mais elle devait être là. Nous avions toujours été comme les deux doigts de la main, notre petit écart d'âge n'avait jamais eu d'importance; toujours à tout faire ensemble...ou presque." (j'ai toujours été un peu désarçonnée par l'expression "les deux doigts de la main". Et les trois autres, qu'est-ce qu'on en fait?)

"Foutez-moi la paix! Laissez-moi mener ma vie et mon travail comme je l'entends! Mes nerfs allaient lâcher s'ils continuaient ainsi. Ils n'avaient aucune idée de ce que je vivais."


Note finale
3/5
(cool)

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