mardi 23 août 2016

Une Antigone à Kandahar, Joydeep Roy-Bhattacharya

Un petit retard à combler sur la rentrée littéraire 2015, je vous parle donc aujourd'hui d'un roman paru l'an passé chez Gallimard, dont le titre présage à juste titre de la grosse marrade qui attend le lecteur. 


Le synopsis

A Kandahar, Nizam quitte la montagne à découvert en se traînant sur un chariot devant une base américaine pour réclamer le corps de son frère Youssouf, chef tribal pachtoun abattu lors d'une attaque lancée avec ses hommes contre la base.
Mais pour les Américains, Youssouf faisait partie des talibans, et ils comptent transporter son corps pour l'exposer à la télévision et attester ainsi de sa mort.
Par ailleurs, Nizam incarne pour eux une menace et un mystère : est-elle un terroriste déguisé en femme, est-elle une kamikaze, a-t-elle pour rôle de les occuper pour faire diversion ? Peuvent-ils extraire des informations en l'interrogeant? Ou se pourrait-il qu'elle dise la vérité?
Le doute s'installe à mesure que les heures passent. 

Mon avis

Une Antigone à Kandahar est un roman qui m'a désarçonnée et dépaysée, comme on pouvait s'y attendre.

Son thème, bien sûr, n'est pas des plus guillerets, mais permet de se pencher sur un sujet qui m'est resté somme toute assez lointain : la guerre d'Afghanistan.

La construction du roman est, par ailleurs, originale : dans un premier chapitre, Nizam relate les quelques heures cruciales qui vont déterminer de son sort, puis, les protagonistes du côté américain prennent à leur tour la parole pour dire leur point de vue, et leur vision du déroulement des événements sur la même période de temps.
Ce qui déroute et néanmoins apporte de la profondeur au roman, réside dans l'attention que l'auteur apporte à ces protagonistes : on appréhende dans chaque chapitre ses préoccupations, son parcours, ses angoisses et son état d'esprit, notamment concernant son engagement dans la guerre et les traumatismes que cela cause. De la sorte, pour certains, la présence de Nizam devant les murs de la base n'est qu'anecdotique, tout en constituant une curiosité qu'ils ne savent résoudre, et pour d'autres, il s'agit véritablement d'une énigme insoluble. Bientôt, Nizam devient l'objet de dissidence, et les Américains s'opposent entre eux au sujet de sa véritable identité, et de la raison de sa venue en fauteuil roulant.
Si les théories du complot sont d'abord très ancrées, à mesure que le doute s'instaure, une proximité s'établit, qui se traduit lorsque les hommes se demandent s'ils n'auraient pas, en lieu et place de Nizam, accompli la même démarche qu'elle. Pour autant, la méfiance reste de mise.

La tension du roman se concentre notamment dans la chute amorcée à la fin du chapitre raconté depuis le point de vue de Nizam, qui ouvre le livre : on part donc avec une théorie sur ce qu'il advient, mais la réponse n'est délivrée que dans les dernières pages.
Ce premier chapitre est celui qui m'a le plus ébranlée, et je n'ai pas retrouvé ensuite cette même pureté de ton dans le reste du roman, il agit en cela comme un chapitre fondateur.

Quant à l'intertextualité au regard de la tragédie antique, ainsi qu'y fait référence le titre du roman, on peut la deviner à travers les thèmes évoqués, mais elle demeure, à mon sens, relative. Il y a une fatalité en ce que Nizam ne peut renoncer à sa requête, et doit enterrer son frère, quoi qu'il lui en coûte : elle est en cela Antigone. Cependant, il plane dans le roman comme une possibilité, et l'on se prend à penser qu'elle pourrait obtenir gain de cause : Nizam n'est pas résolue à mourir et ne pense pas que c'est à cela qu'elle est condamnée. A cet égard, l'issue n'est pas semblable à celle que l'on connaît, et si l'histoire semble se répéter, les variations introduites permettent de percevoir la singularité et la complexité actuelles.

Une Antigone à Kandahar est un roman brillant et terrible, qui éveille à l'absurde de guerre.

Pour vous si...
  • Vous êtes curieux de revisiter le mythe d'Antigone
  • Vous vous intéressez aux romans de guerre

Morceaux choisis

"Nous ne sommes pas entièrement nous-mêmes tant que nous ne nous confrontons pas à la longueur de la nuit, à la réalité de sa finitude, à ses nuances protéennes et distinctes, à son inévitable fin."

"J'ai tellement changé, qui eût cru que ce fût possible? Moi qui pensais tellement ne jamais changer. Regardez-moi maintenant : je suis étranger à moi-même. Je porte les morts en moi. Mes yeux se ferment, mais le sommeil ne vient pas."

"Des milliers d'étoiles viennent remplacer le soleil liquéfié. Elles compensent l'absence de lune. Le fort est suspendu dans une volute de brouillard vespéral, ses toits en pente s'effacent peu à peu dans l'obscurité. Le labyrinthe de sentiers que j'ai dû parcourir pour arriver ici, avec ses longs passages périlleux truffés de mines, me paraît déjà appartenir à une autre vie."

"Je pince les cordes et elles résonnent en moi, remplissant le vide infini qui m'entoure."


Note finale
4/5
(très bon)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire