mercredi 17 août 2016

Pars avec lui, Agnès Ledig

Promesse tenue!
Suite à la déception générée par la lecture de On regrettera plus tard, je m'étais engagée à donner une deuxième chance à Agnès Ledig, largement plébiscitée par la blogosphère.
C'est à présent chose faite, grâce à la lecture de Pars avec lui.



Le synopsis

Romeo, pompier, fait une chute du huitième étage d'un immeuble au cours d'une intervention. A l'hôpital, il est soigné par Juliette, infirmière dévouée et généreuse, en couple avec Laurent, un banquier arrogant et macho, avec lequel elle essaie d'avoir un enfant.
Durant la convalescence de Romeo, Juliette se montre présente et encourageante, et n'hésite pas à lui venir en aide lorsque sa jeune sœur, Vanessa, se retrouve dans une posture difficile.
Après son départ de l'hôpital, Romeo débute une correspondance avec Juliette, car ils se montrent tous deux attachés l'un à l'autre. Jusqu'au jour où Laurent trouve une lettre de Romeo, et demande à Juliette de choisir entre eux deux. 

Mon avis

Je ne poursuis volontairement pas le synopsis, mais celui-ci se déroule encore ensuite, dans la mesure où il ne couvre jusque-là que la première partie du roman.

Que vous dire, si ce n'est ma lassitude extrême?

Il faut reconnaître que ce qui doit faire sourire certains lecteurs a le don de m'exaspérer.
Le choix des prénoms, d'abord (de toute évidence, l'auteur a un gros problème avec ça).
Romeo et Juliette .
A ce stade, j'ai déjà envie de m'ouvrir les veines, ce qui n'est pas bon signe.
Comprenez : je n'aime pas beaucoup que l'on se permette de puiser dans l'oeuvre de grands écrivains pour distordre leur héritage en tâchant de le mettre à la sauce actuelle.
Pars avec lui ne déroge pas à la règle : la référence, sans doute, a pour but de charmer, mais faire de Romeo un pompier en mal d'amour et de Juliette une infirmière maso, cela m'agace un peu. Alors que je commençais, croyez-le bien, dans d'excellentes dispositions!

Passons.
Donc, Romeo est tombé du huitième étage, mais, grâce à Dieu et grâce aux arbres, il s'en sort avec un bras cassé, et va donc se remettre. Gros gros coup de bol.
Juliette, pour sa part, n'hésite pas à ne pas le ménager, lui reprochant de sombrer dans la victimisation. Il y a des gens que ça booste, faut-il croire. Ce qu'il faut discerner, c'est que la vraie victime de l'histoire, c'est elle, Juliette, mais qu'elle ne se plaint jamais et se montre bienveillante envers les autres.

Cela m'amène au ressort dramatique central du roman : les violences dont elle fait l'objet.
Car si Juliette ne se ramène pas toute couverte d'ecchymoses au boulot, elle est de toute évidence en proie à un harcèlement moral lourd de la part de son conjoint, qui n'hésite pas à faire dans le viol conjugal de temps en temps.
Vous vous rappellerez sans doute le roman d'Angélique Barbérat, L'instant précis où les destins s'entremêlent, qui évoquait plutôt la violence conjugale physique, mais dont les deux protagonistes présentaient des psychologies assez semblables à celles des deux héros d'Agnès Ledig.

Sur un sujet pareil, je vous dirai donc : pourquoi pas?
L'intention est louable, excellente même, et il n'est pas facile de décrire les rouages pernicieux de la violence morale, qui ne laisse pas d'hématome pour prouver qu'elle existe.

Cependant, et l'on en revient au travers principal qui caractérisait, selon moi, On regrettera plus tard, l'auteur opte pour un traitement excessif, qui devient rapidement très caricatural, et, partant, pénible.

Ici, les choses sont simples, on se demande même pourquoi les protagonistes ne les décryptent pas plus tôt :

Infirmière = gentille
Pompier = gentil

Banquier = très méchant

De même, un personnage comme Vanessa qui se montre directe et peu portée sur la mode est sans cesse comparée à un homme / garçon manqué, dans la mesure où, c'est entendu, une femme est forcément douce, fragile, et férue de fringues.
On retrouve d'ailleurs des réflexions liées au fait que les hommes sont démunis lorsqu'il s'agit de s'occuper d'un enfant de l'autre sexe, puisque, comme Eric "incapable de transmettre des éléments de féminité à sa fille Anna-Nina",  Romeo a eu des périodes de creux lorsqu'il s'est retrouvé avec sa sœur sur les bras, car certaines choses ne se transmettent que de femme en femme, c'est bien connu.

Bref, revenons-en au manichéisme exacerbé qui fleurit dans le roman.
Le personnage de Laurent en est emblématique : y a-t-il en lui une once de bonté? Pas la moindre. Tout est à jeter. Du début à la fin, sans un seul relâchement, il se conduit comme la dernière des raclures.
Est-ce crédible?
Pas trop trop, malheureusement. Attention, je ne nierai pas l'existence de tels individus. Cependant, je suis assez persuadée qu'ils agissent, dans la vie, avec un peu plus de nuance, et c'est d'ailleurs cette nuance-là qu'il serait intéressant de voir à l'oeuvre : comment un homme peut se montrer parfois infâme et parfois tendre, donnant ainsi à sa compagne des raisons de croire qu'il y a du bon en lui, qu'il peut changer.
Au-delà de ce qu'il y a de dommage à créer un personnage qui manque à ce point de nuance, ce qui m'ennuie, c'est la dimension "prêt-à-penser" que véhicule, de facto, le roman.
Il est impossible de ne pas s'insurger contre Laurent, ou même de lui trouver des circonstances atténuantes. Dès lors, l'auteur nous montre sans finesse ce qu'il nous faut penser : le banquier est méchant, il traite mal sa femme, sa femme doit trouver un moyen de fuir, mais comme elle est gourdasse loyale, elle reste avec lui jusqu'à ce qu'il commette l'irréparable.
Ce qu'il y a de bien, c'est qu'une fois ce point atteint, elle qui se montrait si faible face à lui, elle n'a aucune difficulté à rentrer prendre trois pulls et à disparaître dans la nature. En un claquement de doigt. Après des années de soumission.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part, c'est amené un peu trop grossièrement à mon goût, et me semble de fait peu crédible.

L'issue est attendue et sans surprise, car quel autre bonheur possible que de vivre tous ensemble dans une grande maison? (une perspective qui pourtant me semble toujours stimulante lorsque c'est amené par Nombre Premier, comme quoi, c'est sans doute une question de contexte)

Autre point marquant : chez Agnès Ledig, on trouve quelques récurrences qui servent de points de repère (certes, je base ce commentaire uniquement sur la lecture de deux bouquins, mais tout de même, sur deux coups, c'est confondant!) : un vieux qui transmet des vérités sur la vie (c'est important les vieux, ça attendrit), et tous les personnages finissent par former un couple. Dans Pars avec lui, il y a en gros 7 personnages principaux, et on se retrouve en fin de roman avec pas moins de 3 couples (le seul personnage seul ayant été en couple avec un autre des personnages, je vous laisse deviner comment s'imbrique tout ça).

Pour finir, la langue est celle que j'avais découverte dans le dernier roman de l'auteur, elle véhicule une histoire et n'a pas d'autre prétention.

En conclusion, Pars avec lui est un roman qui est débordé par son ambition, car il aborde de nombreux thèmes à la fois actuels et importants, et tente de transmettre des messages forts : il est question du désir d'enfant, qui, devenant viscéral, peut conduire une personne à tout accepter pour le combler, il est question de la violence conjugale, notamment de la violence morale infligée à l'autre, mais aussi, en pointillé, de la différence d'âge, à travers le couple de Vanessa.

Malheureusement, les personnages versent parfois dans la caricature et desservent ainsi l'aspiration présumée de l'auteur, et le sentiment d'être sans cesse aiguillé dans ce que l'on doit penser d'eux et de ce qui leur arrive est gênant.

Ce roman-ci est donc, à mon sens, moins décevant que le précédent, en ce qu'il a, au moins, une certaine ambition, mais les choix faits par l'auteur dans le traitement ne m'ont pas convaincue. 

Pour vous si...
  • Le style Ledig fonctionne pour vous
  • Vous aviez aimé L'instant précis où les destins s'entremêlent, de Barbérat 

Morceaux choisis

"Elle me quitte par SMS. La honte!" (true story, cette phrase figure dans le roman, page 12. De la grande littérature.)

"Je suis motivée pour aller prendre ma garde ce soir, car il y a le mystère Josiane, et rassurée de travailler avec Guillaume, l'infirmier de l'équipe. Il est gentil, grand et musclé, vraiment musclé, ce qui permet de passer une nuit agréable et sécurisante dans les couloirs sombres du service." (et oui, de nouveau, les femmes sont de pauvres êtres fragiles...)

"Je ne sais pas qui était la plus abandonnée de nous deux, mais bizarrement, alors que je n'avais aucune raison, j'ai ressenti un grand moment de solitude et j'ai regardé longuement dans le vide, sans savoir quoi penser.
Sans savoir quoi penser."
(Nouvelle marotte de l'auteur: répéter les fins de phrase. Je ne vous recommande pas d'employer ce procédé, ça devient vite agaçant. Agaçant.)

"Parce qu'elle sait que c'est avec lui qu'elle finira, quoi qu'il arrive.
Quoi qu'il arrive."
(Qu'est-ce que je vous disais! Et ce passage intervient tout juste deux pages après le précédent. Le précédent. Y'a pas à dire, ça met les nerfs. Nerfs.)

"Je m'en fous de l'égalité des sexes. C'est de la foutaise, ça. Sous prétexte qu'elles veulent les mêmes droits, elles revendiquent le même traitement. Mais nous, les femmes, on a besoin d'attention, de douceur, de tendresse, de ces petits riens qui font tout." (Une idée fixe, visiblement, cette dichotomie caricaturale entre hommes et femmes. Première nouvelle : beaucoup d'hommes ont aussi besoin de tout ça... Oui, je sais, la violence du choc est transcendante. Transcendante.)

"Il viendra demain matin, avant d'aller à l'agence. Un autre aurait annulé sa réunion pour venir me prendre dans ses bras.
Un autre ne m'aurait pas fait ce qu'il m'a fait.
Mais je n'ai pas d'autre.
Les seuls bras auxquels j'ai droit me frappent."

"Parce que les filles me saoulent. Les filles, ça se plaint tout le temps pour des broutilles, genre parce que la meuf que tu détestes le plus au lycée a le même pantalon que toi, parce  que ton vernis à ongles a pris un jeton, parce que t'as pas eu la meilleure note de la classe, parce que t'as tes ragnagnas et que ça fait mal, parce que les filles, ça fait des coups de travers, parce que c'est pernicieux et rancunier." (Mais...mais...tant de clichés en quatre lignes?! Comment se peut-il...? D'une débilité profonde, je ne vous le fais pas dire. Et je défie n'importe quel mec de supporter la douleur des "ragnagnas" tous les mois, parce que pour certaines, l'intensité de la douleur est du genre à provoquer des évanouissements. Évanouissement.)

"J'ai dormi comme une masse. Une enclume. Peut-être bien comme la tour Eiffel tout entière." (Passage que l'on pourrait intituler : Du sens poétique dans l'oeuvre d'Agnès Ledig)


Note finale
2/5
(pour l'intention louable)

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