vendredi 24 juin 2016

Toutes les choses de notre vie, Hwang Sok-Yong

L'an dernier, j'ai découvert Le vieux jardin, un récit éprouvant dans lequel Hwang Sok-Yong racontait l'incarcération d'un homme dans une prison sud-coréenne pendant dix-huit ans, et son retour à la vie en société après avoir purgé sa peine.
Un récit aussi léger que distrayant, et cependant, allez savoir pourquoi, en trouvant son petit dernier abandonné sur le présentoir de la bibliothèque, mon cœur a bondi. La combinaison lunettes/pomme/sardine sur la couverture, sans doute.


Le synopsis

A 14 ans, Gros-Yeux arrive avec sa mère dans une immense décharge à Séoul. Avec des milliers d'autres, ils attendent chaque jour les déchargements de déchets parmi lesquels ils se battent pour récupérer des objets de quelque utilité.
Là, il se lie avec le Pelé, un garçon un peu simple qui lui fait découvrir l'île et ses secrets.


Mon avis

Vous vous souvenez de Revoir Tanger, de son cadre luxueux et raffiné?
Bienvenu dans ce qui s'apparente à son exact opposé (vous pouvez maintenant oublier la référence à Revoir Tanger, il n'en sera pas question dans le reste du post, tout ça n'était qu'un prétexte pour une entrée en matière originale et lénifiante pour les adeptes de l'esprit de contradiction).

Sok-Yong avait décrit avec une précision glaçante les conditions de détention dans les prisons coréennes : on retrouve le même souci de précision lorsqu'il choisit de placer son intrigue dans la plus grande décharge à ciel ouvert de Séoul. Rien ne nous est dissimulé de la misère des foyers précairement installés alentour, de leur quête quotidienne parmi les ordures déversées par montagnes, des accidents qui surviennent inévitablement, des familles ainsi sinistrées.

Au milieu des déchets, des débris et des hommes qui s'accrochent à ce travail qui leur rapporte davantage que d'autres plus ingrats encore, il y a ces gamins avides de plus et d'ailleurs, dont la vie et l'imagination animent la décharge : une fois le primaire passé, les enfants n'ont plus de nom, on ne leur connaît que ces surnoms étranges gagnés au hasard d'un épisode qui a marqué les esprits : Gros-Yeux, le Pelé, la Taupe... Par clans, ils investissent les cachettes, la toile de tente qu'ils nomment leur QG, et voient ce qui est invisible aux adultes : les lueurs bleues qui flottent çà et là, sans que l'on puisse prédire quand et pourquoi.

Le roman de Hwang Sok-Yong prétendrait presque au sublime, en faisant se côtoyer ainsi la décharge, ce lieu d'immondices où se concentre ce dont la société n'a pas voulu, les traces par tonnes du consumérisme de masse qui vient défigurer l'île aux Fleurs, et la naïveté, l'énergie adolescente de jeunes garçons à la fois adultes avant l'âge, et exhibant les vestiges de l'enfance, qui se manifestent sous la forme de ces lueurs bleues que le Pelé distingue.

Bourré d'images vivaces, de scènes très visuelles et qui invitent à réfléchir sur ces non-lieux ignorés des sociétés développées, déversoirs géants des détritus d'humains, ce roman marque l'esprit, et laisse comme un arrière-goût amer.


Pour vous si...
  • Les lieux sophistiqués vous mettent mal à l'aise, en fait, ce qui vous plaît, c'est la fange

Morceaux choisis

"Pouvait-il y avoir chose plus effrayante que les odeurs nauséabondes, les essaims de mouches et toutes ces monstruosités déversées par les gros camions? Quand son râteau accrochait le corps d'un animal en putréfaction, il le repoussait d'un coup de pied, et la dépouille était aussitôt recouverte par d'autres détritus. Les innombrables objets dont les gens s'étaient débarrassés avaient subi le même sort que ces têtes de poisson sectionnées, devenues informes, si peu ressemblantes à ce qu'elles furent, ils s'étaient décomposés en de minuscules éléments méconnaissables, sans rien qui rappelât leur aspect initial. Ah, s'il pouvait s'envoler pour un autre monde! songeait Gros-Yeux en regardant défiler les buissons."


Note finale
3/5
(cool)

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