lundi 18 juillet 2016

Autoportrait d'un faussaire, Guy Ribes

Comme d'habitude, les lectures de la Bibliothèque Orange s'avèrent ce mois-ci presque ésotériques, en tout cas fort loin de ma zone de confort livresque. 
Je me suis donc lancée à l'assaut d'une autobiographie peu banale, celle de Guy Ribes, faussaire notoire qui revendique sa glorieuse carrière dans le domaine. 
Comme on dit, plus c'est gros plus ça passe.
Je vous laisse méditer sur cette maxime hautement philosophique, et aux domaines où l'application serait malheureuse. 

Starring Dammann Frères Thé Glacé Pêche. Yummy!! 
Le synopsis

D'abord aquarelliste reconverti dans la peinture "à la manière" des grands maîtres, Guy Ribes est un faussaire de génie, qui a su à de maintes reprises déjouer l’œil avisé d'experts reconnus, et qui a introduit pendant des années ses faux sur le marché très élitiste de l'art. Mais derrière l'apparence sulfureuse de son histoire, il est d'abord un homme qui prend son art très au sérieux, et a toujours rêvé de côtoyer les peintres qu'il admire tant. 

Mon avis

S'il y a une chose à dire, c'est que je ne m'attendais pas à grand chose en ouvrant ce livre, étant données que les dernières expériences de lecture dans le cadre de la Bibliothèque Orange ne s'étaient pas révélées franchement fructueuses.

Et pourtant, une fois de plus, le roman a gagné et m'a fait une belle surprise! (comme quoi, il faut toujours laisser sa chance à un roman)

Ignorante du milieu évoqué dans le livre, et de ce que pouvait bien être un faussaire (j'exagère, j'avais bien ma petite idée, mais je ne voyais pas trop en quoi cela pouvait être une sorte de profession, disons), c'est comme si un monde s'était ouvert à moi.

Guy Ribes nous ouvre les portes d'un univers où vrai et faux ne sont discernables que par une poignée d'humains, ou les apparences sont trompeuses, et où l'art est un marché où prospèrent quelques noms jaloux de leur intimité, et qui s'arrangent toujours pour récupérer leur part du gâteau.

En face, l'artiste, le faussaire, qui, s'il n'est pas dupe du type de commerce qu'il génère, a le sentiment de vivre de son art, et se berce de l'illusion qu'il côtoie les peintres qu'il aime tant.

Il est absolument passionnant de suivre l'ascension de Guy Ribes, les écueils et les succès rencontrés, l'évolution de sa conception de ce qu'il fait, les personnages hauts en couleurs qui virevoltent autour de lui, le double discours des figures d'autorité qu'il croise, et qui n'hésitent pas à lui glisser deux mots pour savoir s'ils pourraient se procurer un Chagall au passage.

L'art de Ribes en lui-même est fascinant : il est incroyable d'imaginer cet homme redoublant d'ardeur et de travail pour acquérir les techniques des grands peintres, parvenir graduellement à imiter à la perfection Picasso ou Dali, au point de trompeur les experts chargés d'authentifier les tableaux. On partage alors avec lui ce sentiment de puissance, lorsqu'un certificat d'authenticité est délivré à l'une de ses productions - mais c'est également un procédé révoltant et vertigineux, car l'on s'imagine, partant, le nombre de faux côtoyant les vrais sans que l'on sache dire lequel est quoi, et de qui.

Cela revient à questionner in fine l'importance que l'on accorde au vrai et au faux en peinture, et dans l'art en général.
Guy Ribes soumet un argument de poids en disant que, lorsque l'on est sensible à une oeuvre, quelle importance qu'elle soit "vraie" ou "fausse"?

Il reste cependant que le fait de se faire passer pour un autre, de signer du nom d'un autre, est une aberration difficile à entendre pour l'esprit fondamentalement honnête.
Comme dans l'adversaire de Carrère, on se retrouve face à un personnage dont les dispositions au mensonge désarçonnent (bien que l'on comprenne bien les motivations de Ribes, financières et un poil mégalo, alors que celles de Jean-Claude Romand sont plus insaisissables et complexes).

Bref, si le sujet vous intéresse un tant soit peu, ne vous privez pas, l'autobiographie de Guy Ribes vaut le détour, et a été pour moi extrêmement instructive.


Pour vous si...
  • Vous êtes toujours naïvement émerveillé par ces histoires de monsieur tout le monde retrouvant par hasard un Picasso dans son grenier.
  •  Vous vous demandez si c'est une bonne situation, faussaire. On vous dira sans doute qu'il n'y en a pas de bonnes ou de mauvaises, mais ne vous laissez pas berner. 

Morceaux choisis

"Durant près de trente ans, j'avais glissé mon style dans celui des autres. Mes mains et mes yeux avaient été ceux de Picasso, Renoir, Matisse ou encore Dali, par-delà leur mort. J'avais appris à dessiner comme eux, au point d'en oublier ma propre peinture et de me perdre dans les labyrinthes du faux. Je ne savais plus qui j'étais. Enfin, j'allais pouvoir redevenir moi-même, oublier l'altitude des grands maîtres pour mieux retomber sur mes pieds. Je suis vraiment devenu peintre le jour de mon arrestation."

"De nos jours, l'oeuvre elle-même est donc devenue, d'une certaine manière, moins importante que le nom de son créateur, auquel est attachée une valeur marchande. Dès lors, naturellement, la demande de grands noms crée l'offre de faux. [...] Si l'on s'offusque tant des faux et des faussaires, n'est-ce pas avant tout la marque du triomphe du marché, qui a imposé une vision principalement mercantile de l'art?"

"Le marché de l'art, celui que j'ai fréquenté en tout cas, est un petit milieu, dont les acteurs se connaissent et préfèrent jouer en circuit fermé."


Note finale
4/5
(fascinant)

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