mercredi 20 juillet 2016

La Poupée, Ismail Kadaré

Un titre étrange et une couverture qui fait flipper, voilà exactement de quoi craquer.
J'avais un peu peur de tomber sur l'histoire de Chucky, mais en fait, comme dirait notre ami Jean Echenoz, "pas du tout, vraiment pas."
Finalement, c'était juste une histoire de famille.



Le synopsis

Le narrateur n'est autre que l'auteur, écrivain albanais, qui livre ici les relations ambivalentes qu'il a entretenues avec sa mère, surnommée La Poupée.
Cette dernière a rejoint à l'issue de son mariage la demeure de sa belle-famille, et a toujours peiné à y trouver une place.
Convaincue que la maison, gigantesque, la dévorait, elle y a vécue avec un sentiment d'oppression, intimidée par le caractère et la conversation de sa belle-mère, une femme intelligente et déterminée, alors qu'elle-même avait toujours mis en doute sa connaissance et sa vivacité intellectuelle, au point de redouter plus que tout que son fils ne la dénigre pour ces raisons-là.

Mon avis

La Poupée est un récit qui a quelque chose d'envoûtant, mêlant la noblesse et l'opulence dans laquelle vivaient les proches du narrateur,lesquels constituaient une grande famille albanaise, les aspects politiques liés à l'époque relatée (la deuxième guerre mondiale notamment), et les relations existant entre les différents membres de la famille, au centre desquelles se trouvait la Poupée, qui polarise l'attention du narrateur.

Ce caractère de femme est complexe, révèle peu à peu les motifs de certaines réactions étonnantes, de la distance qu'elle établit entre les autres et elle, et certaines de ses inquiétudes viscérales.
Le narrateur est au cœur de cette vie familiale faite de traditions et de tensions, observant les interactions autour de lui, tâchant d'appréhender et de comprendre cette femme qui fait naître chez lui, y compris lorsqu'il est adulte, des élans de tendresse irrépressibles.

Il est troublant de percevoir les complexes que nourrit la Poupée, sa crainte profonde d'être remplacée, oubliée, reniée par son fils, qu'il n'ait honte d'elle parce qu'elle n'a pas la culture de la classe qu'elle a rejointe. Car si sa mère a apporté à son époux et sa famille l'argent qu'il leur manquait, elle provient d'une famille qui n'a pas d'illustre passé, elle n'est pas de sang noble. Les problématiques dont témoigne la littérature européenne ou américaine se retrouvent ici : il semblerait que de tout temps et dans de nombreux pays, l'équivalent local de l'aristocratie ait cherché à maintenir son rang y compris lorsqu'elle était devenue désargentée, en se montrant jalouse de sa distinction, au sens bourdieusien.

La façon dont la belle-mère et la cousine de la Poupée la traite est en cela emblématique.
La lutte que relate le récit est d'ailleurs celle qui oppose, contre son gré, la Poupée à sa belle-mère, et entre elles deux, le père du narrateur fait figure de juge et d'arbitre.

Le narrateur grandissant, on constate qu'une nouvelle crainte s'insinue dans la famille, celle de sa révolte, qui prendra corps lorsque ses écrits sont jugés subversifs par le régime en place, et que le domicile familial est perquisitionné.

Ce court roman est donc intime et touchant, et permet de comprendre un pan de l'histoire de Kadaré. 

Pour vous si...
  • Vous vous intéressez à l'écrivain albanais
  • Ou, au contraire, vous vous faites la remarque que vous n'avez jamais lu d'auteur albanais. Ça peut être un point de départ. 

Morceaux choisis

"Plus tard, lors d'un voyage au Japon, j'éprouverais une impression familière en découvrant pour la première fois la blancheur des actrices du théâtre kabuki. Elles exprimaient le même secret que, naguère, celui de ma mère, un mystère de poupée, mais exempt de toute peur."

"Plus prégnante que jamais, la tendresse me transperça comme une lame. Avec elle, l'idée que, désormais, ce serait moi, la cause de son angoisse à la fois la plus puissante et la plus puérile : la crainte du reniement. Son absurdité n'aurait d'égale que son tourment."


Note finale
3/5
(cool)

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