vendredi 1 juillet 2016

Love in a Fallen City, Eileen Chang

Un titre digne d'une fresque cinématographique, voilà ce que m'a inspirée la couverture du roman d'Eileen Chang : j'imaginais une ambiance proche de In the mood for Love ou 2046, un charme désuet et décalé, la confrontation entre les traditions et la modernité...
Il y a un peu de tout ça dans ce roman... mais en différent. 


Le synopsis

En 1941, un riche héritier, Fan Liu-yuan, est introduit dans une famille traditionnelle, pour être présenté à la Septième Demoiselle, la benjamine de la fratrie. Mais ce dernier est attiré par la Sixième Demoiselle, Pai Lio-su, jeune femme divorcée considérée par ses frères comme une bouche à nourrir supplémentaire, et un risque d'attirer le déshonneur sur la famille.
Lorsque l'entremetteuse, Madame Hsü, lui propose de l'accompagner à Hong-Kong, Lio-su accepte, et découvre au pied du mur que Liu-yuan fait lui aussi partie du voyage. Le séjour leur donne l'occasion de se rapprocher, mais Lio-su est suspicieuse quant aux intentions de son prétendant. 

Mon avis

Je n'avais jamais lu Eileen Chang avant Love in a Fallen City, et c'est absolument regrettable : soyez sûrs qu'à l'avenir, je vous parlerai d'elle de nouveau.

Le roman est avant tout un peu daté, car le contexte est celui de 1941, et le récit est publié en 1943. Au temps pour Wong Kar-wai : ce n'est pas encore tout à fait ça.

Cependant, il y a bien une modernité dans ce livre, notamment au travers de la personnalité de Lio-su, qui refuse de se soumettre à l'autorité de ses frères et du reste de sa famille, n'hésite pas à leur tenir tête, et à s'éloigner au risque de porter l'opprobre et d'attiser les médisances.
Bon point pour Eileen : je kiffe les caractères féminins bien trempés (tout est cependant relatif, je souligne qu'à la même époque, en France, la très jeune Pauline Dubuisson sévit auprès de l'occupant allemand d'une manière autrement plus hardie - mais, c'est culturel, me direz-vous. Certes certes).

Dès les débuts du roman, l'environnement et l'atmosphère capturent l'attention : on comprend à quel genre de famille appartient Lio-su, les enjeux que comporte sa situation de femme divorcée tout comme sa précarité, car elle dépend du bon vouloir de ses frères, et les interactions familiales permettent d'en saisir la subtilité, notamment au travers des confrontations et des reproches à peine voilés des belles-sœurs de Lio-su.

L'arrivée de la figure de Liu-yuan intervient comme un élément perturbateur dans un contexte déjà instable : dès lors, l'isolement de Lio-su ne fait plus aucun doute, et s'accroît continuellement. Le voyage effectué permet de découvrir la ville de Hong Kong dans les années 1940, et de se concentrer sur la relation ambivalente entre les deux protagonistes : l'amour naissant est assuré de la part de Liu-yuan, mais timide du côté de Lio-su, qui n'a de cesse d'imaginer les manigances que pourrait dissimuler l'héritier en vue de se jouer d'elle.
Cette défiance profondément ancrée en elle révèle le poids de l'honneur et les formes qu'il revêt, car Lio-su se réfère sans cesse aux meilleures stratégies à envisager pour faire un honnête remariage, et ainsi accéder au statut de femme respectée qu'elle a perdu à l'issue de son divorce. Ces mécanismes de pensée sont fascinants à découvrir, et à tâcher de comprendre, tant ils peuvent nous sembler peu familiers - pour ma part, du moins.

L'intrigue progresse en maniant douceur et allant, et l'on se plaît dans ce monde sur lequel Eileen Chang ouvre pour nous une brèche. Son roman est de ceux qui s'incrustent, de ces surprises inattendues qui rendent une journée belle.

Pour vous si...
  • Vous aimez en lisant vous représenter l'action comme si vous étiez dans un film de Wong Kar-wai
  • Vous avez un fond d'indécrottable romantique

Morceaux choisis

"Soudain elle se met à rire, d'un rire furtif et menaçant, et la musique s'interrompt brusquement. La vièle a poursuivi son jeu, mais l'histoire qu'elle raconte, une histoire lointaine de piété filiale, ne signifie plus rien pour Lio-su."

"Mais quelle que soit la haine qu'elle inspirait à Pao-lo, elle savait que celle-ci la considérait désormais d'un œil neuf et lui vouerait déférence et admiration. Une femme qui, malgré de grandes qualités, ne parvient pas à s'attirer les sentiments de l'autre sexe, ne s'attire pas non plus le respect du sien. Les femmes ont ce rien de bassesse."

"_Certains ont un talent particulier pour parler, d'autres pour rire, d'autres pour tenir une maison, le vôtre, c'est de baisser la tête.
_Je ne sais rien faire, dit Lio-su, je suis quelqu'un de parfaitement inutile.
_Les femmes inutiles sont de loin les plus redoutables, répondit-il en souriant."

"Elle pensait : "Votre idéal le plus haut est une femme à la vertu pure et dure, mais sachant séduire. La vertu serait pour les autres, et la séduction pour vous. Si j'étais une femme irréprochable, vous ne m'auriez tout simplement pas remarquée!" Elle sourit, pencha la tête vers lui et dit :
_ Vous voulez que je sois une femme irréprochable en compagnie d'autrui, et une femme de mauvaise vie en votre compagnie.
Il réfléchit, et répondit :
_ Je ne comprends pas.
Elle reprit et expliqua :
_ Vous voulez que je me conduise mal pour les autres, et que je me conduise bien juste pour vous."


Note finale
3/5
(cool)

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