jeudi 14 juillet 2016

Envoyée spéciale, Jean Echenoz

Envoyée spéciale a fait partie des événements de la rentrée littéraire d'hiver.
J'avais été charmée par le roman Courir il y a quelques mois, et en plus, j'ai une collègue qui me parle sans arrêt de la richesse du programme TV sur France 2.
Comment ne pas y voir un signe?



Le synopsis

Oisive, Constance est enlevée tandis qu'une demande de rançon est adressée à son mari.
Cet événement impromptu sonne le début de ses aventures : elle devient bientôt la candidate idéale pour une mission secrète visant à ébranler le régime en place en Corée du Nord.
Ça tombe bien, elle n'a pas froid aux yeux. 

Mon avis

Avec Envoyée spéciale, Jean Echenoz livre un récit aussi loufoque qu'hilarant.
Le sarcasme se cache à chaque détour de phrase, les personnages sont à mourir de rire, et les situations nourrissent un comique efficace et varié.

Ainsi, le kidnapping de Constance, et les conditions de sa détention qui ne ressemblent en rien à l'image que l'on peut s'en faire. Ainsi les personnages de Christian et Jean-Pierre, supposés surveiller Constance, et qui la prennent bientôt en amitié. Ainsi le personnage de Clément Pognel, entaché d'un sordide qui le rend cocasse, et celui de Lou Tausk, l'époux de Constance, qui trouve finalement avantage à l'absence de sa femme, et n'a pas la moindre intention de payer la rançon demandée, parce que cette dernière lui a déjà tant coûté (ainsi qu'il l'admet avec l'élégance que vous vous figurez).

L'intrigue évolue à bon rythme, les rebondissements s'enchaînent, nous entraînant pour finir jusqu'en Corée, et l'auteur s'en donne à cœur joie, puisque c'est là l'occasion pour lui de détailler avec distance et humour le régime et l'état du pays (une gageure, quant on pense aux atrocités qui s'y déroulent).

On ne s'ennuie pas, l'ordinaire se mêle à l'extravagant, si bien que les personnages d'apparence très commune sont projetés dans des tribulations incroyables, et l'auteur excelle à créer une proximité délectable, en apostrophant le lecteur, en l'incluant dans ses considérations et en multipliant les situations de connivence dans lesquelles il n'hésite pas à tourner en dérision ses protégés, de Constance à Jean-Pierre, voire à se moquer d'eux ouvertement.

Envoyée spéciale constitue un excellent divertissement, humoristique et dépaysant, qui ne se prend pas au sérieux et s'assume de bout en bout. Je ne connaissais pas Jean Echenoz sous ce visage, je peux vous dire que je vais me ruer sur ses autres écrits dans l'espoir de retrouver le même mordant. 

Pour vous si...
  • Comme moi, vous avez toujours rêvé d'une vie d'agent secret
  • En même temps, vous vous dites que les agents secrets sont des gens comme les autres, et qu'à ce titre, ils doivent bien se vautrer aussi de temps à autre

Morceaux choisis

"Laissé au salon, le téléphone n'aurait pas pu troubler le sommeil de Tausk qui, levé tard, aère d'abord sa chambre - l'un des grands défauts du sommeil, outre qu'il fait perdre un temps fou, étant qu'il ne sent pas très bon". (Une remarque apparemment anodine, mais que Jean devrait transmettre à Pascal le grand frère, parce que je l'ai vu dans une émission pas plus tard que la semaine dernière pourrir un ado parce que sa chambre "sentait le renard" au réveil.)

"Les jambes d'une femme qui passe, ensuite. On oublie trop souvent que les jambes des femmes leur sont également utiles pour avancer : on les tient tellement pour des objets d'art qu'on tend à négliger cet usage fonctionnel."

"Voici maintenant plus d'un mois que Clément Pognel partageait la vie de Marie-Odile Zwang et rien ne se passait comme on s'y serait attendu. L'un ayant pu nous paraître une épave aboulique, l'autre une implacable harpie, on ne pouvait guère envisager d'autre existence commune à ces deux-là que sur un mode SM élémentaire, quotidien scandé d'insultes et d'ecchymoses, oeil au beurre noir et dents brisées, Royal Canin en plat unique suivi d'une pincée de Destop dans le café.
Or pas du tout, vraiment pas."

"Doit-on rappeler qu'il est déconseillé d'acheter les tournevis par lot, sachant qu'ils prennent très vite un mauvais esprit de groupe?"

"Et soit dit en passant, ce phénomène concerne peu ou prou tout ce que ce corps expulse : dès l'instant où quelque chose de liquide, solide ou gazeux s'échappe de l'organisme - soit une dizaine de modes d'évacuation possibles qu'on s'abstiendra de détailler -, c'est chaque fois, du sublime au trivial, un plaisir spécifique. A des degrés divers et quoi qu'on en dise, c'est toujours plutôt bon. Il n'y a que transpirer qui ne l'est pas toujours -encore que ce soit, au sauna, au hammam, pas si mal - et bien sûr saigner, qui est franchement discutable."

"Même si chacun sait ou croit savoir ce qu'est la Corée du Nord, je vous rappelle qu'il s'agit d'une tyrannie dynastique et quasiment théocratique, les trois générations de leaders ayant accédé à un statut divin. La surveillance y est omniprésente, tout le monde se méfie de tout le monde, on se dénonce comme on respire - vu qu'on est dénoncé si l'on ne dénonce pas - tout en cherchant, souvent sans résultat, quelque chose à manger." (ce dernier tronçon est absolument mon passage préféré)


Note finale
4/5
(chanmé)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire