vendredi 15 juillet 2016

Ce qu'il nous faut, c'est un mort, Hervé Commère

Le septième et dernier livre du jury de septembre (Grand Prix des Lectrices) est déjà là : il s'agit d'un roman de type policier, qui nous emmène en Normandie, dans le monde de la lingerie et des faux-semblants. 


Le synopsis

Sur les côtes normandes, le village de Vrainville est devenu notoire parce qu'il abrite les ateliers Cybelle, acteur majeur du tissu industriel régional.
Alors que le village est agité par le durcissement des conditions de travail et la menace d'un rachat par un fond d'investissement, un événement tragique se noue, entraînant William, nouvel enquêteur local, à exhumer des faits survenus dix-huit ans plus tôt, durant la nuit au cours de laquelle la France a été sacrée championne du monde de foot, 1998. 

Mon avis

J'ai été agréablement surprise par ce thriller qui repose sur une trame originale et s'écarte des thrillers traditionnels qui pullulent sur les étals des librairies.

On comprend rapidement le goût de l'auteur pour la construction en écho, car il ne se prive pas de faire référence tout au long de l'histoire à ce qui s'est passé/se passera, souvent en maintenant le halo de mystère qui entoure les événements dont il nous fait comprendre, sans trop en dire, qu'ils sont liés.

Tout un pan de l'intrigue est consacré à l'histoire de Cybelle, à la vie de l'entreprise, ce qui est désaltérant pour un thriller, et constitue, selon moi, son plus grand atout. Visiblement, l'auteur se serait basé sur Lejaby et ses ouvrières. On prend en estime le grand-père, Gaston Lecourt, un homme exceptionnel qui a à cœur de faciliter la vie de ses ouvrières (notamment en faisant construire des logements où les familles de ses salariées peuvent loger gratuitement), et dont la vision très paternaliste de l'entreprise a presque quelque chose d'émouvant (et de daté).
Deux générations plus tard, lorsque Vincent, son petit-fils, retire peu à peu les avantages jadis octroyés par son grand-père, on voit poindre la toute-puissance des objectifs économiques balayant le reste, et le paysage ressemble alors étrangement à ce que l'on peut connaître dans notre propre expérience.

Ce contexte de lutte sociale entre Vincent Lecourt et les ouvrières de Cybelle sert de cadre à la partie actuelle du livre, et motive certains de ses personnages emblématiques : Vincent bien sûr, mais aussi Maxime, autrefois un jeune homme qui peignait talentueusement, et qui, après son échec aux Beaux-Arts, a accepté de travailler aux ateliers et ne les a plus quittés, Patrick, le maire de la ville et ancien ami de Vincent et Maxime, qui se retrouve déchiré entre la volonté de Vincent de disposer de l'entreprise familiale comme il l'attend, et celle des ouvrières de conserver leur emploi, Mélie, jeune ouvrière téméraire, le jeune avocat qui épaule Vincent et que les habitants viennent bientôt à craindre...

A cela s'ajoute l'épisode tragique vécu par Marie Damrémont, la compagne de Maxime, et l'accident provoqué par les trois jeunes hommes, au cours de la même nuit de 1998, et les ingrédients sont réunis pour semer le trouble.

Alors que le suspense était habilement maintenu d'abord, et se partageait entre le sort des différents personnages, il m'a semblé que la dernière partie du roman, consacrée aux révélations attendues, se diluait un peu, perdait de sa force, et laissait entrevoir l'issue avant qu'il ne soit temps.

Ainsi, le roman d'Hervé Commère fonctionne à merveille et constitue un très bon thriller, mais j'ai ressenti à la fin une légère perte d'attention et d'intérêt, provenant sans doute du fait que l'on s'écarte peu à peu du sort des ouvrières pour retomber dans l'anecdotique. C'est sans doute ce qui permet de brouiller les pistes, mais cela m'a semblé porter préjudice in fine au reste du roman, qui parvenait justement à se distinguer en prenant un cadre original.


Pour vous si...
  • Vous vous souvenez avec émotion de la victoire de 98
  • Vous êtes sensible à l'avenir de la fabrication de lingerie en France

Morceaux choisis

"Le discours de l'avocat en aura peut-être ému certains, qui trouveront des excuses à ce jeune homme infernal qui, de tout ce que la vie lui a appris, n'a retenu que le pire."

"_Pourtant, vous avez l'habitude de faire monter des clientes chez vous, non? s'étonne Marilyn.
_Oui, mais Marie, c'est différent. Elle dégage quelque chose de tellement fort...C'est une femme.
_Pas les autres?
_Si, bien sûr. Mais les autres, ce sont...des filles.
_Vous pouvez m'expliquer la différence?
_Non. Non, je ne peux pas. Mais cette différence, tout le monde la connaît. Vous aussi." (et bien non, gros boulet, tout le monde ne la connaît pas, parce qu'elle n'existe que dans le cerveau des nazes. Désolée, mais non, le monde ne se divise pas entre les salopes et les Marie-Charlotte.)


Note finale
3/5
(cool)

1 commentaire:

  1. Bonsoir,
    Merci pour cet article que vous consacrez à mon dernier roman, « Ce qu'il nous faut, c'est un mort ».
    Je vous écris car votre dernière réflexion me laisse un goût bizarre. Ce (et bien non, gros boulet, tout le monde ne la connaît pas, parce qu'elle n'existe que dans le cerveau des nazes. Désolée, mais non, le monde ne se divise pas entre les salopes et les Marie-Charlotte.) sur lequel, de surcroit, vous terminez votre chronique – vous savez le poids qu'a la dernière phrase – non, désolé mais non, je ne peux pas vous laisser finir comme ça. Vous avez lu le roman, vous connaissez l'histoire : vous savez que Do trouve Marie Damrémont différente de toutes les autres, et vous savez pourquoi. Qui a parlé de deux catégories ? Vous savez que Do, tout simplement, est amoureux. Vous savez qu'il aime Marie Damrémont. Voilà la différence qu'il fait entre elle et les autres. Voilà la différence que tout le monde (ou presque) connait.
    Mon message vous amusera peut-être. Sachez que je ne poste jamais le moindre commentaire sur les blogs qui parlent de mes livres, ça n'a dû m'arriver que deux ou trois fois depuis 2009, année de ma première publication. J'ai voulu vous écrire ce soir car j'ai – à ce jour – écrit cinq romans pour dire à chaque fois que le monde et les frontières sont flous, que les salauds d'ici sont les gentils d'à côté, qu'il suffit d'un petit rien pour modifier le cours d'une vie. D'où ce goût bizarre à la lecture de votre phrase.
    J'accepte les critiques et les avis divergents du mien (au fond même je m'en fous), mais j'ai l'injustice en horreur. Et votre dernier commentaire, pardon, est injuste : mes cinq romans disent que le monde ne se divise jamais en deux.

    Merci pour votre lecture attentive. Si je suis sur un salon vers chez vous un jour (j'ignore d'où vous êtes), passez me voir. Nous en parlerons de vive voix, c'est quand même meilleur comme ça.
    A plus tard dans la vie.
    Hervé Commère

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