jeudi 13 avril 2017

Dans la forêt, Jean Hegland

Si vous êtes parisien, vous n'avez pas pu manquer les affiches dans le métro vantant l'ouvrage tout juste traduit de Jean Hegland. Et comme ce n'est pas tout les jours que l'on voit de la pub pour les bouquins dans le métro, je me suis dit que ça valait bien un coup d'oeil!


Libres pensées...

Dans la forêt est le roman que je redoutais depuis longtemps.
Celui qui me met face à mes contradictions.
Et comme je suis du genre à partager les bonnes choses, je ne vais rien vous cacher des atermoiements qui n'occupent depuis que j'en ai débuté la lecture.

Pour que vous compreniez tout, il faut que je commence par le synopsis : le monde connaît une triste période, l'électricité n'est plus, toutes sortes de pénuries sévissent, à commencer par l'essence, rendant caduques tous moyens de transport, si bien que les hommes fuient et tâchent au mieux de s'organiser pour survivre.
Nell et Eva ont dix-huit et dix-sept ans, et se sont retranchées avec leurs parents dans leur maison familiale au milieu de la forêt. A la mort de leurs parents, elles doivent apprendre à survivre seules, dans cet isolement extrême qui les étouffe et les protège, ignorant quand prendra fin cette situation qui devait n'être que temporaire, ou si la vie confortable qu'elles ont connue jeunes est pour toujours révolue.

L'histoire du roman n'est pas commune, puisque, publié aux Etats-Unis en 1996, et en dépit du franc succès rencontré, il a fallu attendre plus de vingt ans pour qu'il soit enfin traduit en français.

Et si Dans la forêt me trouble, c'est parce que je vous ai parlé, il y a quelques mois, d'un roman au synopsis relativement similaire, Station Eleven, envers lequel je me suis montrée critique, notamment parce que l'intrigue manquait à mon sens d'originalité, et que ce scénario apocalyptique de fin du monde avait déjà maintes fois été abordé.

D'une certaine façon, Dans la forêt bénéficie de l'antériorité, car s'il ne nous parvient qu'aujourd'hui, il date néanmoins de la fin du XXe siècle. Cependant, force est de constater que je suis loin d'être aussi sévère dans mon jugement envers lui que je ne l'ai été envers Station Eleven : l'intrigue pourtant déjà vue ne m'a pas du tout posé problème, à vrai dire j'ai été immédiatement absorbée par l'intrigue, séduite par ses personnages, ce duo de sœurs à la relation complexe, et envoûtée par le cadre très présent, très prégnant, que l'on en vient à considérer comme un personnage également, formant avec Nell et Eva un trio puissant.

Le huis-clos créé par Jean Hegland fonctionne superbement. La maison, comme la forêt, forment un cocon à la fois rassurant et inquiétant, on ne sait si elles forment une protection ou un étau. L'ombre des parents hante les lieux, car leur mort a été brutale, et les souvenirs de l'enfance de Nell et Eva dans ces lieux sont vivaces. Quant à la relation entre les deux sœurs, elle est absolument fabuleuse, un tissu de nœuds et de complexité, fait d'un amour jaloux, d'un soupçon de rivalité, d'une exclusivité qui le dispute à l'autonomie. Eva semble être le double de Nell, elle est le corps, la discipline physique portée à son extrême, tandis que Nell se plonge dans l'encyclopédie, réfléchit et raisonne en permanence.

Au cœur de la forêt, qui prend et donne, leur arrache leur père, apporte Eli et d'autres hommes, se posent des questions existentielles : et si ce nouvel ordre n'étais pas une erreur, et que le monde tel qu'elles l'avaient connu n'était qu'une éclipse à l'échelle de l'histoire de la Terre et de l'Humanité, et avait disparu pour de bon? Si l'attente était stérile, si la vie était désormais vouée à cette forme-là, dans ce contexte-là, sans possibilité de retour? S'il leur fallait apprendre à exister, à habiter leur existence plutôt qu'à errer indéfiniment comme les fantômes d'un autre temps?
Si la réponse était ailleurs?

Vous l'aurez compris, Dans la forêt m'a fait un effet prodigieux, alors même qu'il présente les mêmes caractéristiques primaires qu'un autre roman envers lequel je ne me suis pas montrée tendre, il y a de cela peu de temps. Au lieu de chercher à produire de sombres explications qui ne convaincront de toutes façons personne, je préfère encore m'arrêter là, et vous enjoindre à lire cet excellent roman.


Pour vous si...
  • Vous sentez intimement quel personnage troublant la forêt peut constituer dans une oeuvre
  • Les dystopies exercent sur vous un puissant attrait

Morceaux choisis

"_Noël. Toute cette agitation et ce bazar. On n'est même pas vraiment chrétiens.
_Un peu qu'on ne l'est pas, rétorqua mon père. Nous ne sommes pas chrétiens, nous sommes capitalistes. Tout le monde dans ce pays de branleurs est capitaliste, que les gens le veuillent ou non. Tout le monde dans ce pays fait partie des consommateurs les plus voraces qui soient, avec un taux d'utilisation des ressources vingt fois supérieur à celui de n'importe qui d'autre sur cette pauvre terre. Et Noël est notre occasion en or d'augmenter la cadence."

"_Ne t'inquiète pas, Pumpkin. Ton jeune homme ne t'oubliera pas. Et s'il t'oublie, c'est qu'il ne valait pas un pet d'araignée dans une forêt pluviale." (à reemployer)

"La seule façon pour moi d'enterrer mon père, c'était de me coucher sur lui avec mon corps sans bras, et j'avais peur de le toucher, peur qu'en le touchant, il ne me transmette sa mort."

"Il n'y a aucune échappatoire. Même le feu dans le poêle semble menaçant. De la sève suinte en bouillonnant du bois qui craque, les flammes mordent et crachent. Nous sommes cernées par la violence, par la colère et le danger, aussi sûrement que nous sommes entourées par la forêt. La forêt a tué notre père, et de cette forêt viendra l'homme - ou les hommes - qui nous tueront."


Note finale
5/5
(coup de cœur)

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