mercredi 11 mai 2016

La route étroite vers le nord lointain, Richard Flanagan

Voici l'un des romans plébiscités lors de la parution en janvier de sa version française. L'auteur, Richard Flanagan, est australien, et pas de n'importe où : de Tasmanie. Je crois donc que c'est le premier auteur de ce coin que je lis (je ne suis pas sûre qu'il y en ait beaucoup d'autres, mais ce n'est là que présomption de ma part, la Tasmanie regorge peut-être d'écrivains talentueux depuis la nuit des temps). Je vous embarque donc de l'autre côté du globe. 



Le synopsis

Durant la Deuxième Guerre Mondiale, Dorrigo Evans, officier médecin originaire de Tasmanie, se retrouve, ainsi que son bataillon, dans un camp japonais, où tous les hommes s'échinent à la construction d'une ligne de chemin de fer traversant la jungle, sous peine d'être exécutés sans sommation.
Dorrigo traverse ces temps effroyables grâce à l'amour qu'il porte à Amy, jeune épouse de son oncle Keith, avec laquelle il a vécu, avant sa mobilisation, une passion fiévreuse et interdite, tandis que les hommes tombent autour de lui dans des conditions atroces.


Mon avis

La lecture du roman de Richard Flanagan m'a sérieusement ébranlée, et c'est la raison pour laquelle cet article se soldera par une vive recommandation de le découvrir au plus vite.


Il y a quelque chose qui accroche dans l'écriture, une tournure des phrases qui pénètre l'esprit et imprègne la mémoire, des abstractions qui auraient vocation à délivrer une vérité. Certaines sont simples pourtant, et parfois, on trouverait des passages presque lyriques, notamment pour relater la romance très charnelle entre Amy et Dorrigo.


On pourrait dire, en réalité, que l'auteur se délecte des mots qu'il emploie, et ne se brime pas, on devine une appétence qui se traduit par moult détails tant dans l'histoire d'amour que dans la description du quotidien du camp, dans les sévices auxquels sont soumis les soldats en particulier.


Le tragique côtoie le rire, des situations terribles succèdent à d'autres plus légères, renforçant le sentiment de réalisme et de plénitude du roman. Cette partie, consacrée aux années passées dans le camp japonais, est terrassante, et n'est pas sans évoquer bien sûr les récits que l'on trouve sur les camps nazis, ou d'autres encore, avec ce que cela suppose de macabre, de cruel.
Le sort de Jack ou de Gardimer fait frémir d'effroi, et il est intéressant que l'auteur ne cherche pas à nous ménager une fin heureuse, quoi qu'il advienne.


Ainsi, de la dernière partie se dégagent des sentiments mêlés de maturité, de résignation, de pesanteur. On voudrait croire encore à l'amour fou qui a maintenu Dorrigo debout, on se refuse à imaginer qu'Amy pourrait ne plus être, ou à défaut ne plus l'attendre.


L'issue est à la fois juste et navrante, on se prend à penser, en dépit des multiples possibles que l'on entrevoyait d'abord, qu'il ne pouvait en être autrement.


N'est-ce pas là la preuve d'un talent rare?




Pour vous si...
  • Vous avez le coeur accroché (certains passages sont peu ragoûtants)
  • Vous trouvez qu'on ne parle pas assez de la Tasmanie (sérieusement, la dernière fois que j'en ai entendu parler, c'était dans les Looney Tunes, et c'était peu flatteur)

Morceaux choisis

"Regardant son frère, Dorrigo Evans s'était demandé ce qui pouvait faire pleurer un homme. Plus tard, les pleurs devinrent une mode et les émotions un théâtre où les acteurs ne savaient plus qui ils étaient dès qu'ils quittaient la scène. Dorrigo Evans vivrait assez longtemps pour assister à ces changements. Et il se souviendrait de l'époque où les gens avaient honte de pleurer. Peur de la fragilité que trahissaient les larmes. Peur des ennuis qu'elles causaient. Ils vivrait assez longtemps pour voir des individus recevoir des félicitations qu'ils ne méritaient pas, simplement parce que la vérité aurait pu froisser leurs sentiments."

"Dorrigo Evans vit cinquante ans défiler dans un halètement asthmatique d'installation frigorifique."

"Il resta au milieu de la passerelle avec les gens qui se déversaient de part et d'autre - comme s'il n'était qu'un obstacle sur la voirie, une borne, une poubelle, un cadavre-, et il pensa à la femme de Loth, dont l'histoire était un mensonge. C'est lorsqu'on ne se retourne pas pour regarder derrière soi que l'on devient une colonne de sel."


Note finale
4/5
(excellent)

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