Quatre par quatre est, de nouveau un premier roman, qui m'a été gracieusement prêté il y a déjà quelques mois. L'auteur est espagnole, et a été saluée par la critique lors de la parution du livre l'an passé. Que se cache donc derrière ce titre si énigmatique?
Le synopsis
Le Wybrany College est un établissement sélectif, qui se targue de former l'élite du pays en préservant les enfants du monde extérieur.
Cependant, la jeune Celia, accompagnée d'autres filles, tentent de fuguer pour gagner la ville la plus proche. Leur tentative échoue, et elles sont réintégrées sans punition dans l'institution.
Derrière les apparences et les principes paisibles qui semblent régir l'organisation de la vie dans ces lieux, une atmosphère inquiétante rode dans les couloirs, et gagne jusqu'aux nouveaux professeurs qui ne doivent être ici que de passage.
Car Wybrany renferme de nombreux secrets...
Mon avis
Je ne m'attendais vraiment pas à cette lecture...
Imaginez mon désarroi : je pensais m'engager dans une histoire d'internat, un récit d'adolescents qui aurait pu se destiner à un public young adult, au lieu de quoi j'ai trouvé un roman glaçant et cruel, un conte étrange et impitoyable, une intrigue insidieuse qui m'a complètement retourné l'estomac, un de ces récits qui fait mal.
L'entrée en matière est mystérieuse, et ce mystère demeure dans le reste du livre, qui suit une construction originale, car il repose sur trois parties, la première prenant pour protagonistes notamment Celia et Ignacio, la seconde se passant plus tard, lorsque Celia a disparu, cette partie est narrée par un jeune professeur remplaçant, et la troisième est constituée par le journal du professeur remplacé, qui a lui aussi étrangement disparu.
Peu à peu, une ambiance angoissante s'installe, et s'instille comme une menace, dont on ne saurait percevoir l'origine ni la nature.
Les personnages sont campés par des ado typiques, si bien que l'on peut facilement se les figurer, et comprendre la dynamique des groupes représentés : Celia est vive et anti-conformiste, Valen est davantage une suiveuse, ankylosée des complexes que ses amies n'hésitent pas à lui envoyer dans la figure, la Grignette est la petite fille frêle et fragile inévitablement solitaire, mais qui gagne sans que l'on ne sache bien comment, la sympathie de Celia. Ignacio, quant à lui, est sans doute la personnalité la plus troublante du roman, tour à tour victime et bourreau, il polarise toutes sortes de sentiments contradictoires.
Le personnage du professeur remplaçant est difficile à cerner : il se présente d'entrée de jeu comme un usurpateur, mais sans que l'on ne saisisse les tenants et les aboutissants de cette prétendue imposture. Les relations qu'il noue avec les autres professeurs, et notamment Ledesma, donnent à voir les différentes facettes de l'établissement, et d'appréhender les secrets qu'il renferme.
Si l'intrigue évolue de manière parfois cahotante, j'ai été globalement happée et curieuse de connaître l'issue, à mesure que l'étau se refermait, et que je sentais grandir une boule au ventre, cette anxiété qui présume de l'imminence de l'horreur. Car ce que dévoile Quatre par quatre est tout simplement mortifiant, et peut être sans mal extrapolé pour évoquer plus largement une vision sociale de mécanismes à l'oeuvre dans certains contextes actuels.
Les théories qui sous-tendent le concept que Sara Mesa déploie dans son récit sont impactantes, et m'ont personnellement fait réfléchir.
Je ne suis pas sortie indemne de cette lecture, et si je l'ai trouvée somme toute convaincante, elle me laisse également comme un goût âcre au fond de la gorge.
Pour vous si...
- Vous ne vous attendez pas à une gentillette teen story
- La perspective d'un récit sordide ne vous décourage pas (et c'est tant mieux, parce qu'il en vaut la peine)
Morceaux choisis
"Il croit en la télépathie. Il pense que c'est une forme de communication plus pure que le langage verbal. Les mots nous parviennent trop souillés ; il y a toujours des interférences. Deux esprits qui se parlent en toute pureté à travers des réseaux vastes et efficaces, sans mauvaises herbes, comme sur les autoroutes : voilà son idéal de langage."
"Une ambiance de deuil se répand dans la salle comme un gaz, et Ignacio ne saurait dire si c'est l'effet de sa déception personnelle ou autre chose qui le dépasse, qui concerne les autres et qu'il ignore."
"Vaut-il mieux vivre libres et sans protection ou vivre contrôlés et protégés? Nous reprendrons cela lors du prochain cours."
"Le plaisir n'est pas la fille. Le plaisir, c'est contrôler la disponibilité de la fille. Le plaisir, c'est effacer chez la fille toute notion du monde au-delà de cet espace de quatre par quatre, et au-delà des petits moments où le monde se dilate quand il est, lui, à ses côtés."
"Certaines révoltes sont impossibles à fomenter quand on ne sait pas ce qu'il y a de l'autre côté du mur."
Note finale
3/5
(cool mais glauque)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire