Une amie lectrice m'a parlé du premier roman de Pierre Barrault, publié par l'Arbre Vengeur, une maison bordelaise qui se hasarde peu dans l'édition de premiers romans. Tardigrade a cependant su la convaincre, ce qui fait naturellement naître la curiosité.
L'autre point majeur, c'est qu'un tel titre vaut toutes les promesses du monde (NDLR : le tardigrade, ou ourson d'eau, est une espèce microscopique capable de survivre à des variations extrêmes de température, à l'absence de nourriture pendant des années, en bref à un environnement absolument hostile. La bestiole la plus résistante dont vous puissiez rêver. Je sais, c'est fascinant et merveilleux, un spasme d'excitation m'agite en écrivant ces mots).
J'étais donc en condition +++ pour découvrir ce récit attrayant.
Je me contenterai de souligner sobrement qu'un tardigrade a huit pattes.
Le synopsis
Où il est question de tardigrade, mais plus encore, de tout autre chose.
Mon avis
Si le synopsis est bref, c'est que Tardigrade n'est pas de ces romans qui se résument, que l'on peut condenser en une ou quelques phrases, et cela parce qu'il est complètement hors normes.
N'attendez pas une intrigue, un incipit, un élément déclencheur, un développement, et un dénouement: vous ne trouverez rien de tout cela dans ce premier ouvrage.
Le récit voit se succéder des passages brefs, les réflexions journalières d'un mystérieux narrateur au travers des yeux duquel on redécouvre le monde, et l'on s'aperçoit qu'on le connaît bien mal.
Dans le quotidien de ce narrateur, on mange au déjeuner une tourterelle et son œuf, à moins qu'elle n'ait pas pondu, les amis tombent du balcon sans pouvoir s'en empêcher, mais si l'on ne regarde pas dehors, alors il n'y a pas de chute, les conducteurs de tramways complotent afin de rendre leurs passagers en retard, les hommes ont les cheveux verts, une trompe, une seule jambe et deux têtes, les gens que l'on regarde avec trop d'insistance voient leur visage se déformer graduellement, et les pandas sont alternativement noirs et blancs.
Tardigrade est un récit captivant : j'ai eu le sentiment que le narrateur explorait sa vie intérieure, la découvrait peuplée de mille curiosités, et décidait d'en dépeindre le contenu, captant sur le vif des bribes de vie.
Une approche originale, qui dénote parmi les romans actuels qui sont souvent peu audacieux et peu novateurs en la matière, mais qui a aussi, d'une certaine façon, les défauts de ses qualités : le narrateur est le seul personnage qui ait une consistance véritable, sa vision sur le monde est suffisamment riche pour alimenter le roman dans son intégralité, mais ce dernier m'a donné par moments aussi un sentiment d'enfermement, l'impression que tout tournait autour de cette singularité de vision, de ce narrateur auto-centré prisonnier d'une bulle étrange.
Ce livre court est un ovni de la littérature, un souffle qui donne des idées et de l'allant, qui promet une expérience de lecture inédite ; voilà qui est trop rare pour ne pas s'y intéresser.
Pour vous si...
- Vous avez l'âme d'un aventurier, et vous pâmez de vous hasarder hors des sentiers battus
- Un style décalé / absurde peut conquérir votre cœur blasé
Morceaux choisis
"Mon boulanger, quand je me plains parce qu'il me tend une branche morte que j'ai dit du pain, même rassis, mais du pain, si ce n'est pas trop demander, me répond que je n'y connais rien car je ne suis pas boulanger. Je suis donc bien forcé de lui faire confiance et de rentrer chez moi sans rouspéter, branche morte sous le bras."
"Comme nous nous apprêtons à traverser les voies du tramway, le mot "STOP" se met à clignoter en rouge au-dessus de ce qu'il faut bien appeler la silhouette du piéton, bras et jambes écartés, tel qu'on l'imagine. Je m'arrête net alors que mon ami, plus rétif, peut-être aussi moins impressionnable, émet un cri, puis s'élance, et se fait écraser, comme il fallait s'y attendre."
"Bien, je vais nager maintenant. Pas plus de cinq minutes, je ne veux pas être trop mouillé."
"Peut-être quelques mots sur le tardigrade?"
Note finale
3/5
(cool)
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