mercredi 30 septembre 2015

2084, Boualem Sansal

Nombre Premier a acheté 2084 et me l'a prêté.
*_*
Coeur coeur coeur


Le synopsis

Un pays, l'Abistan, et une date, 2084. Avant cela, nul ne sait ce qu'il y a eu.
A présent, la société est régie par la religion, et son éminent délégué, Abi. Quiconque ne s'incline pas devant sa toute-puissance est puni de la pire façon.
Ati a passé des années dans un sanatorium, parmi d'autres tuberculeux mis en quarantaine.
De retour dans la société, il s'interroge. Et plus il le fait, plus il est assailli de nouvelles questions auxquelles il ne trouve nulle réponse.
Il part en quête de la vérité, pour découvrir ce qui est caché, et comprendre dans quel monde il vit.

Mon avis

2084 est à lire comme un conte philosophique. Son échéance est à la fois suffisamment proche et suffisamment éloignée pour que l'on puisse voir dans l'Abistan un monde foncièrement distinct de celui que nous connaissons, pour autant, la tentation est grande de chercher dans la société actuelle les germes d'une telle possibilité.
Les questionnements d'Ati sont facilement transposables, d'ailleurs, à aujourd'hui, bien que le contexte soit autre, ce qui rend le roman terriblement actuel : qu'est-ce qu'un peuple ? demande-t-il. Quel est le rôle de l'Histoire? Et maintenant, que faire? 
Boualem Sansal emprunte à l'imaginaire collectif (les fossoyeurs ne sont pas sans évoquer la figure de la Gloïre dans l'Arrache-coeur) pour dresser le portrait d'une société pernicieuse et paradoxale, d'un ordre qui se veut rassurant en réglant en tout point le quotidien des citoyens mais en leur ôtant toute liberté de penser (d'où l'évident parallèle avec 1984  d'Orwell) ; au nom de Yölah sont commises les pires exactions, et le monde tel qu'on le dépeint en le martelant aux citoyens est clos, il n'existe rien en dehors de l'Abistan, ou du moins est-ce là ce que doivent croire les Abistanais.
On ne peut parler de projection, mais le récit interpelle : on reconnaît dans le fonctionnement de l'Abistan ce qui est à la base de régimes dictatoriaux, la tyrannie trouvant cette fois son ciment dans la religion qui le fonde, de sorte que, si le tableau nous semblerait irréaliste, l'Histoire justement est là pour nous rappeler qu'il y a dans tout cela quelque chose de possible, aussi improbable qu'on souhaite que cela reste.
A cet égard, 2084 est glaçant, et pose la question de la responsabilité individuelle et collective dans l'avènement de la dictature et sa pérennisation.  

Pour vous si...
  • Vous aimez l'anticipation
  • La dimension "conte philosophique" ne vous rebute pas : de nombreux passages voient se succéder une description et une réflexion, l'action n'est pas nécessairement au coeur du récit
  • Vous savez apprécier l'atmosphère un peu étouffante propre aux dictatures, et la palette édifiante des châtiments corporels qui sont immanquablement mis en place par les régimes despotiques

Morceaux choisis

"Avoir des ennemis est un constat de faiblesse, la victoire est totale ou n'est pas."

"Une date s'était imposée, sans qu'on sache comment ni pourquoi, elle s'était incrustée dans les cerveaux et figurait sur les panneaux commémoratifs plantés près des vestiges : 2084. Avait-elle un lien avec la guerre? Peut-être. Il n'était pas précisé si elle correspondait au début ou à la fin ou à un épisode particulier du conflit."

"Sans témoins pour la raconter, l'Histoire n'existe pas, quelqu'un doit amorcer le récit pour que d'autres le terminent."

"Un musée est un paradoxe, une supercherie, une illusion aussi pernicieuse.
Reconstituer un monde disparu est toujours à la fois une façon de l'idéaliser et une façon de le détruire une deuxième fois puisque nous le sortons de son contexte pour le planter dans un autre et ainsi nous le figeons dans l'immobilité et le silence ou nous lui faisons dire et faire ce qu'il n'a peut-être ni dit ni fait."



Note finale
4/5
(très bon)

mardi 29 septembre 2015

La septième fonction du langage, Laurent Binet

J'ai découvert il y a peu le site Myboox, des éditeurs Hachette, qui présente notamment l'intérêt d'organiser régulièrement des concours avec tirage au sort à l'issue desquels les gagnants reçoivent des livres en échange d'une chronique.
J'ai joué, et, ô joie, on m'a gracieusement envoyé la dernière production de Laurent Binet, l'auteur du mirifique HHhH, qui frappe fort avec La septième fonction du langage, puisque le roman, dont on déplore l'absence dans la première sélection du Goncourt, a déjà raflé le prix du roman Fnac 2015, et est en lice pour bon nombre de prix de saison. 
L'heure a sonné de se fendre d'un article sur le sujet.



Le synopsis

Le 25 février 1980, Roland Barthes se fait renverser par une camionnette, et meurt des suites de l'accident. Ce que l'histoire ne dit pas, c'est qu'il était en possession d'un document confidentiel de la plus haute importance. Le commissaire Jacques Bayard et le jeune sémiologue Simon Herzog sont dépêchés par le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, pour retrouver le document en question dans le plus grand secret. Une enquête qui les mènera dans les milieux intellectuels et politiques français du début des années 1980, avant de les plonger au cœur d'un mystère linguistique majeur qui les conduira en Italie et aux Etats-Unis, afin de découvrir l'existence et la nature de la septième fonction du langage.

Mon avis

La première chose qui m'est venue à l'esprit en refermant ce livre, c'est l'audace hallucinante du bonhomme. On ne peut pas lui reprocher d'être lisse et politiquement correct : ses personnages sont non seulement des figures intellectuelles et politiques françaises bien connues, et parfois encore bien vivantes, mais ce qui est truculent, c'est qu'elles en prennent sévèrement pour leur grade.
Au-delà de l'enquête en soi qui effectivement a des airs de Da Vinci Code, avec un rythme haletant et des rebondissements à la pelle, les déconvenues des uns et des autres sont surprenantes, et le plus souvent franchement drôles. Je donnerais beaucoup pour connaître la réaction de certaines personnalités à la lecture de l'oeuvre, comme par exemple BHL ou Philippe Sollers (Philippe prend vraiment très très cher...)...
Le style est vif, c'est un tourbillon, on est plongé dans le domaine sibyllin de la linguistique sans bouée, mais étrangement, l'auteur ne nous noie pas en dépit des références nombreuses et de l'intrigue qui repose tout de même sur une théorie de Jacokson (ça tient de la gageure...).
Un roman donc qui s'éloigne ostensiblement du précédent ouvrage de l'auteur HHhH, mais qui est résolument savoureux, original et efficace.


Pour vous si...
  • Vous aimez les écrits qui débordent de culot et de sensations fortes
  • Vous avez toujours pressenti que les élections présidentielles de 1981 avaient quelque chose de singulier que vous seriez bien incapable d'expliquer
  • Vous adulez Jakobson (existez-vous vraiment?...)
  • L'idée de voir des figures publiques incarnant l'aura intellectuelle malmenées y compris physiquement vous arrache un soupir de satisfaction déplacée

Morceaux choisis

"Simon s'émeut à imaginer Barthes assis à ce bureau, pensant à Stendhal, à l'amour, à l'Italie, sans se douter que chaque heure passée à taper cet article le rapprochait du moment où il allait se faire renverser par une camionnette de blanchisserie."

"Le pouvoir gagne presque à tous les coups, et les intellectuels paient de leur vie, ou de leur liberté, d'avoir voulu se dresser contre lui, et ils mordent la poussière, mais pas toujours, et quand un intellectuel triomphe du pouvoir, même à titre posthume, alors le monde change. Un homme mérite le nom d'intellectuel quand il se fait la voix des sans-voix."

"Mais si jamais c'était la fin de l'histoire, comment le saurait-il? Comment savoir à quelle page de sa vie on en est? Comment savoir quand notre dernière page est arrivée?
Et si jamais il n'était pas le personnage principal? Tout individu ne se croit-il pas le héros de sa propre existence?"


Note finale
4/5
(très bon)

dimanche 27 septembre 2015

L'automne

La fin de l'été sonne la reprise de la saison culturelle. 
A Paris, après un mois d'août plutôt morne, les théâtres et salles de spectacles ont rouvert leurs portes, et septembre est marqué par un esprit audacieux et créatif!

Au Théâtre du Châtelet, j'ai assisté un peu par hasard à une représentation donnée par une troupe venue de Taïwan, intitulée Beyond Time.
Une découverte pour moi qui ne suis pas vraiment familière avec la danse asiatique, le spectacle s'étant avéré à la fois sensuel et surprenant. Les danseurs décomposent parfois les mouvements avec lenteur et souplesse, le tout accompagnés de percussions qui donnent le ton. La mise en scène repose avant tout sur le jeu de lumières subtil et intéressant. En bref, un moment un peu hors du temps, qui a le mérite de dépayser!

Et puis, samedi, l'opéra Garnier s'est transformé quelques heures pour donner corps à la création de Boris Charmatz, 20 danseurs pour le XXe siècle
La scène, ce sont les couloirs et les espaces publics de l'opéra : l'escalier majestueux accueille une jeune femme qui reprend la danse de Chaplin dans les Temps modernes, Titine. 
Dans les couloirs du premier étage, une autre interprète avec magnétisme une danse orientale en glissant sur le parquet soyeux.
Des solos sont présentés aux spectateurs qui déambulent, des pièces de Balanchine, Robbins, Stravinsky, du Bollywood, le charleston de Joséphine Baker, les pas des claudettes sur Cette année-là, la mort du cygne sur la musique de St Saens, éblouissante. 
Les danseurs sont plus proches du public qu'ils ne l'ont jamais été, ils contextualisent chaque morceau, narrent l'histoire qui sous-tend la création artistique. 
L'aventure se poursuit jusqu'au 11 octobre, c'est le moment d'être curieux!

Pour finir, en ralliant le Palais Royal, j'ai eu le bonheur de tomber sur un orchestre qui jouait au pied de la Comédie Française, le Canon de Pachelbel. La musique de rue a ceci de singulier qu'elle est toujours inopinée, on peut y rester sourd, ou y trouver un moment de grâce. 
Samedi à 17h, c'est la grâce qui a pris le pas, à la faveur de la douceur d'un après-midi d'automne parmi d'autres. 


samedi 26 septembre 2015

A moi seul bien des personnages, John Irving

Je dois confesser une lacune notable.
Je n'ai jamais lu Irving.
A la faveur de quelques jours en Suisse, la fâcheuse situation a été rectifiée. Et, au vu de ce premier ressenti, m'est avis que John va devenir ma nouvelle marotte.



Le synopsis

William, alias Billy parce que, bien sûr, on est aux Etats-Unis, nous raconte son parcours et la difficile acceptation de soi, depuis la découverte à l'adolescence de ses penchants bisexuels dont il ne sait que faire, jusqu'à l'âge adulte où il parvient à les assumer et à les vivre sereinement. On croise les personnages qui ont revêtu pour lui une importance, ceux qui lui ont inspiré du désir, ceux qui l'ont rejeté, ceux qui l'ont épaulé. Parmi eux, Miss Frost, bibliothécaire d'âge mûr qui l'éblouit en l'initiant à la littérature, et pour qui il nourrit une passion secrète, son amie Elaine, qui entretient comme lui un béguin pour Kittredge, un lycéen extraverti et déroutant, son grand-père qui monte des pièces de théâtre dans lesquelles il se plaît à se déguiser en femme, sa mère prude qui ne peut supporter d'entendre parler de sexe, son père absent, et d'autres encore qui gravitent autour de Billy et assistent à son évolution graduelle.


Mon avis

L'écriture d'Irving est un tourbillon, on se laisse porter par la succession d'anecdotes, son humour, et ce en dépit de la distance qu'il met parfois entre le lecteur et les personnages.
La trame à certains égards peut, partant, paraître décousue, du fait d'allers et retours entre le temps présent du roman et différentes époques du passé, renforcé par les allusions à certains développements à venir qui créent un effet d'anticipation mais peuvent aussi ruiner toute surprise.
Pour ma part, j'ai été plutôt convaincue par l'ensemble, et par la réflexion bien sûr autour de l'identité sexuelle qui imprègne l'intrigue dans son intégralité, au point parfois que cela puisse interpeller : les personnages ne rentrent dans aucun schéma classique, y compris Kittredge, qui pourrait incarner un profil type d'adolescent hétérosexuel, et révèle pour finir un visage inattendu.
L'ironie du ton ne gâche rien, et donne parfois de la légèreté à ce qui n'en a pas forcément par ailleurs.


Pour vous si...
  • Vous êtes fan de Shakespeare ou Ibsen
  • Vous vous demandez ce que diantre peut être un soutien-gorge d'entraînement
  • Les défauts d'élocution vous ravissent

Morceaux choisis

"Pour le moment, sachez seulement que j'ai beaucoup de difficultés à dire "pénis" qui, avec mon élocution torturée - quand je parviens malgré tout à le prononcer -, devient "pénif", comme dans "canif", pour vous donner une idée."

"A vrai dire, elle me donnait l'impression de juger que, avec tous les livres que contenait la bibliothèque, le fait d'en relire un était une perte de temps immorale."

"Nous traversions l'Italie lorsque Emma (Bovary) s'empoisonna." 

Note finale
4/5
(très bon)

jeudi 24 septembre 2015

Le cœur cousu, Carole Martinez

Depuis la lecture Du domaine des Murmures, je m'étais promis d'investiguer davantage l'oeuvre de Carole Martinez. Lire Le cœur cousu, c'était un pas sur ce chemin fleuri.



Le synopsis

Dans le sud de l'Espagne, Soledad nous raconte l'histoire de sa mère Frasquita, qui reçut une boîte mystérieuse contenant des fils de toutes les couleurs et avec lesquels elle cousut les plus belles robes qu'il fut donné de voir, encourageant la contrée à la croire sorcière, avant que le sort ne vienne, sous ses diverses formes, frapper chacun de ses enfants : Anita, qui a juré de ne pas consommer ses noces tant que ses plus jeunes soeurs ne seraient pas mariées, Angela, à la voix ensorcelante et au physique quelconque, Pedro el Rojo, seul fils aux cheveux d'un roux flamboyant, artiste dans l'âme et farouche bagarreur, Martirio, dont le baiser apporte la mort, Clara, opalescente et irrémédiablement attirée par le soleil et tous ses simulacres, et Soledad, la cadette, qui lie son sort à celui de son châle.


Mon avis

Une fois de plus, l'écriture de Carole Martinez est éblouissante, on s'arrête à la lecture pour prononcer les phrases tant la poésie dont elles regorgent nous frappe.
Ses personnages ne manquent pas de caractère ni de singularité, au point que l'on ne peut se détourner d'aucun de ceux qui constituent la fresque familiale. Le talent de conteuse de l'auteur nous emporte très loin, que l'on s'intéresse ou non aux passions et aux travers des uns et des autres.
Un livre très réussi d'un point de vue esthétique, et qui tient ses promesses quant à l'intrigue.


Pour vous si...
  • Vous aimez bien les grandes familles maudites comme les Trueba dans La maison aux esprits
  • Pour vous, la boîte de Pandore est davantage qu'une métaphore
  • Le mélange entre le registre poétique raffiné et le registre de rue vous rend tout chose

Morceaux choisis

"Frasquita entendit de violents coups de marteau.
Ils jaillissaient de l'atelier contigu à la demeure des Carasco. Elle imagina le bras au bout du marteau et l'homme au bout du bras et quelque chose se noya en elle.
Dès lors, son corps la pressa de se marier."

"Sa main voltigeait avec grâce dans le cadre de la fenêtre.
L'homme se soumit au tranquille pouvoir de la main et du fil. Il regarda le visage de celle qui reprisait son être effiloché. Le fil s'enfonçait toujours plus profondément dans l'épaisseur du tissu."

"Je n'ai rien vu de ce voyage qui m'a faite étrangère.
Et pourtant il m'habite."


Note finale
4/5
(très bon)

mercredi 23 septembre 2015

La politesse, François Bégaudeau

L'autre jour, j'ai vu Entre les murs à la télé. Étrange coïncidence, Nombre Premier m'avait justement parlé du livre qui l'a inspiré, et de son auteur François Bégaudeau ainsi que de son dernier petit, La politesse. J'ai donc demandé à ma bibliothèque de l'acheter pour le lire (cette nouvelle fonctionnalité sur le portail en ligne du réseau des bibliothèques municipales de Paris est for-mi-da-ble!!).



Le synopsis

Difficile de résumer La politesse... François Bégaudeau nous offre une plongée dans le monde fabuleux de l'édition et le quotidien des auteurs qui égrainent les salons et événements littéraires où ils sont conviés pour présenter leurs œuvres, tâcher d'en booster les ventes, et aller à la rencontre de leur lectorat (fort diversifié).
Au programme : des conversations sans queue ni tête, du bagout, du pas très politiquement correct, la réalité sans fard, en bref, l'envers du décor, la vie de l'écrivain vue des coulisses.


Mon avis

Je pense que l'on a tout intérêt à aborder le roman comme une sorte de documentaire, à la limite de l'étude sociologique, plutôt que comme un roman classique avec une intrigue qui trouve résolution, car ce n'est pas là l'ambition de François, de toute évidence, qui s'adonne à la joute verbale avec talent, mais n'a pas du tout l'intention de nous servir autre chose qu'une peinture de sa condition, et à travers la sienne, de celle des écrivains en France à l'heure actuelle. C'est assez passionnant pour peu que l'on s'intéresse à ce milieu, de près comme de loin, c'est mordant, et surtout ça lève le voile sur une réalité plutôt éloignée de ce que l'on pourrait se complaire à imaginer : loin de la mission quasi-sacrée et éminemment sociale vantée par Hugo et d'autres il y a un peu plus d'un siècle, la place de l'auteur dans la société a bien évolué, et il est intéressant d'accéder à un témoignage "de l'intérieur"...


Pour vous si...
  • Vous rêvez d'écrire, mais vous n'êtes pas trop sûr. François va tuer vos prétentions dans l'oeuf.
  • L'image que vous vous faites du lien étroit entre l'auteur et son lecteur en serait presque romantique : survivra-t-elle à l'épreuve de la réalité?
  • Vous vous demandez qui sont ces gens qui continuent à écrire en France. Quels adorables naïfs. 

Morceaux choisis

"Michel Field me salue dans le reflet, c'est de la fiction. On le dit ancien trotskiste. Peu de trotskistes sont nouveaux."

"Je vais me lire, tiens. Personne ne le fera à ma place."

"La descente d'un livre irrite, son éloge rend bègue. L'unique réflexe viable de remercier annule la louange en induisant qu'elle est pure politesse. Un compliment est irrecevable, une pique inoubliable. Publier est impossible."

"Ému dans le micro le lauréat rappelle que chaque jour en France un agriculteur se suicide, en référence à son roman où un agriculteur se suicide."


Note finale
3/5
(cool)

mardi 22 septembre 2015

La vie heureuse, Nina Bouraoui

Note : la dédicace sur laquelle s'ouvre La vie heureuse, c'est "A Anne F.".
Hum.



Le synopsis

Marie aime Diane.
Voilà, vous savez tout.


Mon avis

Bon, c'est un peu provoc, mais dans l'idée, le synopsis tient là-dedans. Il y bien sûr des éléments de contexte (elles sont adolescentes, entre Zurich et Saint-Malo), et d'autres qui gravitent autour de cette vérité (Carol, la tante de Marie, dépérit d'un cancer. Diane a tout l'air d'une peste), mais l'essentiel est dans cet amour qu'une fille porte à une autre, et qui éclipse tout le reste.
L'écriture est hachée, précise, incisive, elle taille dans le vif, elle nous prend.
La substance des protagonistes en revanche m'a laissée dubitative. La narratrice ne se définit que par cet amour qu'elle porte à Diane, elle m'a semblé insaisissable, vide dès lors que l'on occulte cela, comme si elle n'existait pas en dehors. Partant, il est difficile de ressentir de l'empathie ou de la juger profonde : ce qui est universel, c'est l'amour tel qu'il est dépeint, tout fait d'ambivalences et de paradoxes extrêmes.
Marie et Diane, elles, sont de pâles figures dont on se soucie guère, en fin de compte.
Mon ressenti est donc mitigé, en demi-teinte.
Le style de l'auteur me donne envie de la découvrir dans une autre oeuvre, car il a toutes les qualités pour m'emporter, si tant est que l'intrigue me touche.


Pour vous si...
  • Vous aimez les phrases courtes.
  • On ne vous fera pas dire que les filles ne sont pas des pestes, à l'adolescence.
  • Quand vous lisez, vous appréciez qu'on vous donne quelques reco musicales (c'est l'effet 2 en 1). La vie heureuse en est bourrée, vive les années 80.

Morceaux choisis

"Je ne suis pas sans désir. Je suis sans amour."

"Tout tenir en soi et ne jamais être volée."

"Il n'y a aucun choix à aimer une fille. C'est violent. C'est l'instinct. C'est la peau qui parle. C'est le sang qui s'exprime. Céline n'a pas choisi d'aimer Olivier. Je n'ai pas choisi d'aimer Diane. C'est une loi physique. C'est une attraction. C'est comme la Lune et le Soleil. C'est comme la pierre dans l'eau. C'est comme les étoiles dans le ciel. C'est comme l'été et la neige. C'est de l'histoire naturelle. Ça reste longtemps dans le corps. C'est inoubliable. C'est la grande vie.
J'aime Diane, je suis milliardaire."

"On ne peut pas vivre sans amour, dit ma sœur. Je crois plutôt qu'on ne peut pas vivre qu'avec son corps. C'est impossible; s'endormir seul, se parler à soi-même, se donner du plaisir avec sa main. C'est l'autre qui fait monter le rire, les mots, le désir. C'est un mélange chimique."

"Toutes les morts parlent de notre propre mort."


Note finale
3/5
(cool)

lundi 21 septembre 2015

Soda & Cie, Maxx Barry

Encore une reco de Nombre Premier!
La couverture était d'un joli bleu, Maxx avec deux "x", c'était intriguant, et puis soda, j'aime ça, alors le moment était venu.



Le synopsis

Le narrateur, qui s'est lui-même surnommé Scat, a fait des études de marketing et se retrouve sur le marché de l'emploi. Bien décidé à devenir riche, lorsqu'il conçoit une idée qu'il estime digne de lui rapporter des millions, il sonne chez Coca, où il fait une rencontre décisive : celle de 6 (c'est vraiment un prénom), une jeune femme dont la beauté le subjugue, et qui s'acharne à repousser ses avances, tout en se disant intéressée par son projet. Lorsque le lancement du nouveau produit qu'ils inventent est sur le point de se réaliser, Scat découvre qu'une de ses connaissances, Sneaky Pete, l'a doublé et déposé le nom du produit avant lui. Les aventures se succèdent alors, entre alliances, idées et coups montés, tandis que Scat réprime de moins en moins sa passion pour 6.


Mon avis

Un très bon livre!
D'abord, le ton est drôle, la dérision est à chaque page, les personnages sont hauts en couleurs, les rebondissements s'enchaînent avec brio, rendant l'intrigue haletante, au point que l'on ne lâcherait pas le bouquin!
Il y a des préjugés un peu partout qui sont démontés à coups de pelle, ou au contraire consacrés magistralement, en bref, on ne s'ennuie pas, c'est une lecture des plus divertissantes!


Pour vous si...
  • Vous avez une grande opinion du marketing
  • De la même manière, vous avez une grande opinion de Coca Cola
  • Vous admirez la résilience à toute épreuve. A la limite de la bêtise. Vous allez être servis. 

Morceaux choisis

"J'ai lu, je ne sais plus trop où, qu'un adulte moyen avait, par an, trois idées susceptibles de faire de lui un millionnaire."

"J'ai choisi marketing parce que je suis arrivé en retard aux inscriptions." (qui osera lui jeter la pierre?...)

"Pour moi, le marketing, c'est comme si on m'offrait un coussin péteur pour mon anniversaire, me répond-elle du tac au tac. C'est inutile, stupide et de très mauvais goût." (un coussin péteur, ah ah ah!!)


Note finale
4/5
(très bon)

samedi 19 septembre 2015

Le premier été, Anne Percin

Comme souvent, je ne me souviens plus vraiment comment j'ai entendu parler du livre d'Anne Percin, Le premier été. Toujours est-il qu'une fois qu'il était là, il fallait bien en faire quelque chose.
Et voilà.

La Thé Box de septembre a livré ses secrets!

Le synopsis

La narratrice, Catherine, s'adresse à sa soeur, son aînée de 18 mois, celle que l'on a pris un temps pour sa jumelle. Elle lui raconte l'été de ses seize ans, qu'elles ont passé ensemble à Sainte-Marie, dans le village de leurs grands-parents.
Cet été-là, elle a vu sa soeur s'éloigner graduellement, prise dans une romance d'été condamnée à demeurer sans lendemain, et accablée du sentiment d'être laissée-pour-compte.
Un jour de forte chaleur, elle part vagabonder seule dans les champs puis les bois, où elle fait une rencontre inopinée qui aura une inflexion singulière sur le cours de sa vie, et la conduira à se découvrir un visage qu'elle aurait sans doute préféré ne jamais connaître. 


Mon avis

Difficile de retranscrire dans un synopsis ce qui se dégage de ce roman.
En un mot comme en mille, j'ai été subjuguée.
Pas instantanément, je vous l'accorde, il y a même eu un moment où j'ai douté : mea culpa Anne, je suis ensuite complètement revenue sur cette éphémère position, ce moment de faiblesse.
Il y a dans le récit un travail précis de reconstruction d'un contexte particulier, au point parfois que les détails très connotés peuvent paraître superflus, mais ils contribuent finalement au cadre global.
Puis, il y a la trame, qui ne se dévoile pas immédiatement, qui flotte un moment avant de venir s'insinuer et prendre le lecteur presque par surprise, pour déverser alors toute sa sensualité, sa vérité, et bientôt, son venin.
Ce n'est pas une romance légère, l'histoire d'une amourette de jeunesse : la réflexion de l'auteur autour du désir adolescent ne m'a pas laissée de marbre, ni la façon dont les normes sociales peuvent venir le brimer, l'altérer, et pour finir, le briser.
Il y a de la cruauté dans les souvenirs de la narratrice, qui est farouchement enracinée dans la réalité, et qui se ressent d'autant plus qu'elle se refuse la moindre complaisance, et offre une vision d'elle-même sans filtre.
Cette lecture m'a donc confrontée à un flot d'émotions aussi puissantes que diverses, il y a bien sûr l'émulation amoureuse, une certaine pureté animale qui se dégage par exemple de la rencontre initiale, la dualité à travers les figures des deux sœurs, qui évoluent chacune de leur côté jusqu'à ce que la cassure irrémédiable les isole, les sentiments exaltés, la curiosité de l'autre, et puis aussi, la honte, cette honte mortifère, dévorante, incapacitante, le rejet, et pour finir, la tristesse sans fond.
Une lecture très troublante, en conclusion.


Pour vous si...
  • Vous êtes nostalgique de vos seize ans, et il vous est peut-être arrivé de crapahuter dans les bois.
  • Vous êtes sensible à la question de l'impact du regard social sur le choix amoureux, sur le désir: c'est incontestable, tout le monde n'assume pas ses inclinations, et c'est bien triste.
  • Chaque fois que vous vous baladez en forêt en solitaire (ce que je vous souhaite), une partie de vous espère invariablement tomber sur une bonne surprise (évidemment dans la réalité vous ne tombez que sur des mauvaises, y'a de ces trucs dégueus dans ces coins-là des fois...).

Morceaux choisis

"Oui, j'ai une de ces mémoires. Une de celles qui ne laissent pas de zones d'ombre et aucune place au doute.
Une mémoire cruelle."

"Toi, de l'autre côté de la barrière invisible qui sépare les gens qui aiment de ceux qui n'aiment pas."

"Il n'a rien de ce que je pourrais désirer chez un garçon - et je ne sais même pas ce que c'est, ce que je désire. Ça n'a pas d'identité, pas de nom.
Mais ça a un corps."


Note finale
5/5
(coup de coeur)

vendredi 18 septembre 2015

Dans son propre rôle, Fanny Chiarello

Dans son propre rôle a reçu le prix Orange du livre 2015. En 2014, il avait été attribué à Réparer les vivants, la pépite de Maylis de Kerangal.
Impossible de retenir ma curiosité et de ne pas aller explorer l'heureux élu!



Le synopsis

Le roman présente l'histoire de Fennella et Jeanette, deux femmes de chambre dans l'Angleterre de l'après-guerre, à la fin des années 1940. Fennella a perdu la parole à la suite d'un traumatisme. Jeanette a perdu son époux Andrew, et ne parvient pas à surmonter son deuil. Elles ne se connaissent pas, elles ne vivent même pas dans la même ville. Pourtant, un jour, une lettre écrite par Jeanette se perd et se retrouve entre les mains de Fennella, qui nourrit immédiatement la plus grande curiosité envers Jeanette, qui semble partager son goût pour l'opéra.
Un jour, elle décide de partir à sa rencontre.

Mon avis

Le roman de Fanny Chiarello a avant tout un style.
L'écriture est raffinée, on peut s'arrêter pendant la lecture pour relire une phrase et mieux la savourer, tant elle est travaillée et élégante.
Il y a, ensuite, ses personnages attachants, et cette passion pour l'opéra.
D'autres lecteurs seront sans doute moins réceptifs; comme il s'agit d'un de mes dadas, forcément, l'intrigue n'en a été que plus intéressante!
Une lecture agréable donc, qui ne manque pas de cachet.


Pour vous si...
  • Les histoires des domestiques anglais vous fascinent, et vous savez que Downton Abbey est la meilleure série sur terre - il y a aussi la série espagnole Gran Hotel, marrant aussi! En fait je devrais faire un top sur le sujet, il y aurait Kazuo Ishiguro, Natasha Solomons, Julian Fellowes, et maintenant Fanny Chiarello!
  • Ce qui vous laisse le plus perplexe dans ces histoires de guerres mondiales, c'est cet inexplicable baby boom qui s'est ensuivi : si les hommes sont morts au front, ça veut dire que les survivants se sont sacrifiés pour engrosser toutes les veuves à la ronde? Et comment faisaient ces pauvres femmes en l'absence de messieurs potentiels?... Le roman lève le voile sur ce morceau d'histoire!!

Morceaux choisis

"L'injustice est une condition, songe-t-elle, et non un acte malveillant. C'est le socle du monde, qui est fait des os des martyrs, des esclaves et des pigeons."

"Nos vies sont des arias, elles ne retentiront pas pour toujours mais c'est aussi ce qui fait leur beauté tragique."

"Ecoute au service de quelle pureté une femme peut mettre son corps et son temps : c'est une beauté éphémère, qui s'évanouit sitôt émise et qu'il faut chaque instant renouveler ; c'est un don de soi."


Note finale
3/5
(cool)

mercredi 16 septembre 2015

Hate list, Jennifer Brown

La littérature young adult, pour moi, c’est un peu comme le spectacle des Franglaises : il faut aller voir de temps en temps pour voir si c’est du remâché, ou s’il y a de nouvelles pépites!
Bon, avec évidemment une fréquence un poil plus élevée que pour les Franglaises.
Après la jolie découverte de cet été (Aristote et Dante), j’ai été intriguée par Hate List, dont pas mal de blogueurs ont fait la chronique depuis quelque temps.
Un bon verre, et c’est parti!




Le synopsis

Valérie a survécu à la tuerie orchestrée dans son lycée par son petit-ami, Nick, qui, pour finir, lui a tiré dessus avant de retourner l’arme contre lui.
Ses cibles : les personnes figurant sur la liste de la haine, cette liste de ceux qui ont harcelé Nick et Valérie, les prenant comme bouc émissaires, faisant de leur quotidien un enfer.
Dès la rentrée suivante, Valérie réintègre le lycée, avec une appréhension immense.
Avec l’aide de son psychologue, le docteur Hieler, elle tâche de voir clair dans les sentiments qui sont enfouis en elle depuis l’accident, ceux des personnes qui l’entourent et l’épaulent tant bien que mal, tandis que sa présence suscite toutes sortes de réactions, souvent hostiles, plus rarement compréhensives.

Mon avis

Je partais avec des dispositions partagées, étant donné que je considère que Lionel Shriver a déjà tant dit dans le magistral Il faut qu’on parle de Kevin. Sur le sujet, même le chagrin et la grâce de Wally Lamb m’avait laissé circonspecte.
Là, le registre est très différent, et pour cause : le public n’est pas le même non plus, il m’a fallu me le répéter plusieurs fois pour le garder en tête.

Pour vous si...
  • Vous savez intimement que les pères sont quand même souvent des gros lâches
  • Les gothic/émo vous ont toujours un peu fichu la frousse – Est-ce qu’ils croient vraiment à tout ce délire autour de la mort???
  • Antéchrista préconisait une réaction possible face aux bullies. Hate list en suggère une autre.
  • D’ailleurs, vous reconnaissez que ça fait du bien, aussi, de penser deux minutes que les gros bullies du lycée pourraient connaître un retour de bâton (bon là Nick est un peu excessif tout de même).

Morceaux choisis

"Etre un vrai paria, sans alter ego paria pour vous épauler, c'est affreux."

"Etre jolie, c'est pas tout, mais être franchement moche, ça peut l'être". (et oui, je ne retiens que deux phrases et ce sont celles-là, ah ah)


Note finale
4/5
(très bon)

mardi 15 septembre 2015

Antéchrista, Amélie Nothomb

Antéchrista, c’est une reco de chère Nombre Premier (<3)
Probablement la lecture par laquelle va se clôturer temporairement mon cycle Nothomb, puisque j’ai fait le tour de ceux qui me paraissaient incontournables, que je ne suis pas sans savoir qu’il y en a parfois qui sont moins truculents que d’autres... Et que les truculents ont déjà été lus!



Le synopsis

Blanche rencontre Christa à l’université. Elle est aussi solaire que Blanche est terne et invisible.
Lorsque Blanche apprend que Christa vit dans un village à deux heures de l’université, elle l’invite à dormir chez elle le lundi soir, par souci de commodité, pour pouvoir assister aux cours matinaux du mardi en toute sérénité.
Dès lors, elle voit sa vie transfigurée, et Christa en prendre peu à peu possession, comme un démon qu’il lui faudrait exorciser.

Mon avis

J’ai été surprise de trouver un ton résolument différent de ce que j’ai lu pour l’instant d’Amélie! Il y a toujours les traits d’esprit, bien sûr, mais l’humour à déserté les lignes, et pour cause : il s’agit d’un récit angoissant, qui met mal à l’aise.
Le sujet m’intéressait beaucoup, mais je dois admettre que j’ai hâté la lecture tant elle me perturbait.
Le personnage d’adolescente mythomane incarné par Christa est à la fois consistant sans l’être : il n’y a finalement aucune lumière qui soit rendue sur ses motifs, ne sont établies que des suppositions.
Les relations ambivalentes sont en revanche très réalistes, mêlant le rejet spontané et la raison qui voudrait rétablir la balance en faveur de Christa.
Un roman prenant, qui a mon sens aurait peut-être gagné à fouiller encore davantage le personnage de Christa et son emprise sur Blanche – comme d’habitude avec Amélie Nothomb, le roman est court.


Pour vous si...
  • Rien ne vous énerve plus que les galettes sans fève
  • Vous vous êtes toujours demandé comment vous auriez dû réagir face aux moqueries et aux messes basses des ”bullies” : préparez-vous à patiner!
  • Vous savez au fond de vous que vos parents sont des traîtres déguisés, et qu’à la première occasion, ils vont retourner leur veste et vous attaquer sournoisement. Surtout le père.

Morceaux choisis

"A six ans, se déshabiller n'est rien. A vingt-six ans, se déshabiller est déjà une vieille habitude. A seize ans, se déshabiller est un acte d'une violence insensée."

"Défaut de visibilité ou défaut d'existence? Cela revenait au même : je n'étais pas là."

"Je ne lui connaissais qu'un amour au-dessus de tout soupçon : elle-même. Elle s'aimait avec une rare sincérité."


Note finale
3/5
(cool)

lundi 14 septembre 2015

Taro, un vrai roman, Minaé Mizumura

J’ai du trouver Taro dans une liste sur le site de ma bibliothèque ou quelque chose comme ça. Pour être honnête, la première fois que j’ai voulu l’emprunter, j’ai renoncé du fait du volume : 600 pages, il fallait prévoir plusieurs jours pour en venir à bout! Mais j’ai fini par surpasser mon appréhension initiale, après tout, discriminer sur la taille, ce n’est pas très correct, et on en a tous souffert pour une raison ou une autre.


Le synopsis

La narratrice, Minae Mizumura, se confond avec l’auteur de par son nom mais aussi son parcours et sa vocation littéraire. Un jour, un jeune homme venu l’attendre à l’université lui raconte l’histoire d’un homme qu’elle a autrefois côtoyé, Taro, qui lui a été rapporté par Fumuki, l’employée de Taro. Bouleversée, Minae décide d’en faire l’objet de ce roman.
Orphelin, Taro est élevé par la famille de son oncle qui le maltraite et l’exploite. Lorsqu’une vieille dame, appitoyée, le prend sous sa protection, sa vie change. Il peut enfin se consacrer à l’étude et passe ses journées avec sa petite fille, Yoko; ils deviennent très liés. A l’adolescence, la mère et les tantes de Yoko commencent à voir d’un mauvais oeil cette amitié complice, et, à la mort de leur mère, Taro est éloigné, rendu à sa famille adoptive qui rompt rapidement sa promesse de l’envoyer à l’université avec l’argent qui lui a été légué à cette fin.
Conscient de sa condition et du fossé qu’elle creuse entre Yoko et lui, Taro n’a de cesse de travailler pour tâcher de s’élever et mériter enfin Yoko.
Il disparait alors aux Etats-Unis, et ne reparaît au Japon que des années plus tard, à la tête d’une fortune colossale.
Entre-temps, Yoko a épousé Masayuki.
Mais elle n’est pas prête à renoncer à Taro.

Mon avis

La mise en place est assez longue, autant vous prévenir : plus de 300 pages avant que l’on n’entre véritablement dans l’histoire de Taro, après une contextualisation qui prend du temps, mais donne bien sûr de la profondeur à l’histoire qui va suivre.
En revanche, dès que l’on se plonge dans l’enfance et le parcours de Taro, il est difficile de lâcher le livre, les relations sont dépeintes avec beaucoup de finesse et laissent entrevoir les émotions vives qui ne sont jamais dites, mais qui transparaissent à travers les préjugés, les murs auxquels Taro se heurte.
Ce roman m’a donc beaucoup plu! Il n’y a honnêtement que les 300 pages du début qui m’empêchent de le proclamer coup de coeur, mais j’ai été par ailleurs envoûtée par Taro auquel on trouve le désespoir et l’ambition de Gatsby, par Yoko qui est capable d’autant d’égoïsme et d’impulsion qu’Emma Bovary, par cette fresque enfin, qui pourrait rappeler les Hauts de Hurlevent. L’intrigue mobilise ainsi des références majeures, mais n’en est pas plus pâle à leur côté. La fin m’a quelque peu déçue, notamment le rôle attribué à Fumuki qui me paraitrait presque de trop.

Pour vous si...
  • Vous avez apprécié l’un des classiques sus-cités (ah ah, pas facile à placer, je ne suis pas peu fière...)
  • Vous n’êtes jamais trop concentré pendant les premières pages d’un livre. Ici, n’hésitez pas à laisser votre esprit gamberger pendant 300 pages, de toutes façons les choses sérieuses commencent après.
  • Vous vous êtes toujours dit que, pour disperser des cendres, il fallait quand même faire attention au sens du vent.

Morceaux choisis

"Pour moi seul l'esprit comptait chez un homme. Il se traduisait par la hauteur de la volonté. Je ne savais pas moi-même ce que j'entendais par là, sinon une volonté virile de rechercher l'infini au loin."

"Je songeais à l'appartement insignifiant que j'habitais à Tokyo. Et à la mer étincelante que j'avais regardée debout à ses côtés sur la jetée, un jour d'été. Ce jour-là, je croyais être la seule à avoir un avenir. Je m'en étais même sentie coupable vis-à-vis de lui."

"Je n'ai pas le sentiment d'avoir vécu très longtemps, pourtant j'ai l'impression bizarre de ne pas être la même personne que celle que j'étais autrefois."

"Elle avait commencé à l'entraîner dans une relation qui a fait de sa vie une errance sans fin entre béatitude et supplice."


Note finale
4/5
(très bon)

vendredi 11 septembre 2015

San Miguel, TC Boyle

De nouveau, j’oeuvre, à la veille de la fête de l’Huma, pour la paix intellectuelle et le sentiment de progrès, en ayant sélectionné pour ma dernière lecture un petit de ma PAL, San Miguel. Et hop, un de moins!
Je me suis rendue compte à la toute fin de ma lecture que l’auteur, TC Boyle, ne m’était pas complètement inconnu, puisque j’ai découvert de sa plume l’an passé le perturbant Cercle des initiés.
San Miguel, c’est tout autre chose, et ça fait toujours plaisir, au passage, de voir qu’un auteur peut se réinventer entre deux oeuvres au point qu’elles soient absolument dissemblables dans les thèmes évoqués (bonjour Guillaume Musso, oui, cette pique t’est directement adressée!).


Le synopsis

Lorsque son mari Will dépense leurs dernières économies pour acheter un lopin de terre sur une île au large de la Californie, Marantha, atteinte de tuberculose, songe que sa maladie va enfin se résorber sous l’effet bénéfique du climat de l’île. Une fois sur place, elle découvre que la maison qui les attend est crasseuse, et que l’île est balayée par les vents, loin de la chaleur qu’elle escomptait y trouver. Tandis que son état se dégrade, Will s’acharne dans son entreprise. Un demi-siècle plus tard, c’est au tour de la famille Lester de venir s’installer sur l’île avec des espoirs similaires.


Mon avis

Une bonne surprise!
TC a un style, il faut le lui reconnaître. Le récit prend, sans s’embourber, et il a de la profondeur. Le roman est divisé en trois parties, chacune dédiée à l’une des trois femmes qui se sont succédées sur l’île : Marantha, Edith, Elise.
Le rapport à la terre et la confrontation aux désillusions sont omniprésents: il est intéressant de découvrir le parcours des deux familles qui sont venues sur l’île animées des mêmes chimères, et qui découvrent que le quotidien n’est pas celui qu’elles avaient escompté : TC Boyle raconte la solitude, la terre, l’élevage, ce rapport étrange qui se noue avec l’extérieur, le sentiment d’une liberté singulière, loin de la société, mêlé à celui d’être prisonniers de l’île, isolés du continent où se trouve l’avenir, l’éducation, le médecin... Et, bien sûr, la façon dont cette promiscuité insolite affecte les liens familiaux. En conclusion, une fresque intéressante!


Pour vous si...
  • Vous n’avez pas trop confiance dans la nature en général, et ces pauvres fous qui clament le retour aux sources en déplorant l’environnement urbanisé et connecté vous laissent sceptique
  • Vous trouvez que la mention de la tuberculose – cette maladie d’une autre époque – confère à tout récit une dimension ineffablement romantique
  • La mort d’un canasson vous laisse insensible

Morceaux choisis

"Marantha ne savait trop à quoi elle s'était attendue, une masure pittoresque, envahie de lierre, sans doute, tirée de Constable ou de Turner, des haies, des parterres de fleurs, une jolie barrière, bref, une chaumière, or il s'agissait de tout autre chose." (Marantha n'a visiblement jamais vu un tableau de Turner de sa vie - hormis ses œuvres de jeunesse qui sont aussi les plus méconnues, bon courage pour trouver une jolie chaumière dans ses paysages marins). 

"Il existait une sympathie mutuelle entre eux : ou non, plus exactement, il passait entre eux un courant aussi puissant et remuant que tout ce qu'une bobine et un fil de cuivre pouvaient générer."


Note finale
3/5
(cool)

jeudi 10 septembre 2015

Le saut de Malmö, Tristan Garcia

Il y a quelques semaines, j’ai été intriguée par 7 de Tristan Garcia, et me suis promis de me plonger davantage dans l’oeuvre du jeune homme. En attendant de pouvoir lire Faber, voici une petite incursion dans le milieu du sport, avec le saut de Malmö, un recueil de nouvelles d’une centaine de pages. De quoi s’occuper pendant au moins... 35 minutes.



Le synopsis

Le sport dans tous ses états, au travers de quelques nouvelles qui se concentrent sur un épisode de la vie d’un sportif de haut niveau, parfois tragique, parfois cocasse.


Mon avis

A la décharge de Tristan, le sujet retenu ne me passionne pas outre mesure, ce qui explique sans doute que j’ai parfois eu des difficultés à accrocher! Pour autant, je dois lui reconnaître que sa plume est relativement constante, et bien que les histoires présentent pour le lecteur un intérêt variable, on se laisse porter par son humour et sa précision. Une mise en bouche intéressante, avant de m’attaquer à d’autres récits du Monsieur!


Pour vous si...
  • Vous aimez bien médire sur le milieu du sport
  • Vous attendez sur un passage piéton que ça passe au vert – amplement le temps de lire une petite nouvelle
  • Vous avez 2 € dans la poche (collection folio, la panacée pour le portefeuille)

Morceaux choisis

"J'imagine le saut comme un geste qui laisserait resurgir aux yeux du monde ce qui année après année s'était enfoui en moi.
Mais je ne suis pas un peintre, un saut ça ne représente rien.
A moins qu'il ne soit parfait."

"Je ne sais pas de qui il s'agit mais celui qui a écrit que la ligne droite est le plus court chemin entre deux points a oublié d'ajouter que c'est le moins elliptique. On ne peut pas gagner sur tous les plans."


Note finale
2/5
(pas mal)

mercredi 9 septembre 2015

Lignes brisées, Harold Cobert

En ce moment, j’essaie d’écrire une histoire qui m’oblige à me replonger dans mon adolescence (et oui, je ne suis qu’une relou de plus qui entend bien abreuver le monde de ses prétentions d’écriture en commettant des productions vaseuses sans douter une seconde que ça va intéresser quelqu’un \o/).
C’est pénible.
Il y a dans ce ressassement improductif une sorte de nostalgie débilitante, qui me fait voir des ratés et des actes manqués là où je n’ai, à l’époque, éprouvé aucun de ces sentiments (voir éprouvé aucun sentiment du tout).
Bref, je suspecte que, parfois, la mémoire brode toute seule. Peut-être pour me faire croire que mes non-tribulations d’antan recelaient des intrigues passionnantes? Si je cède un jour et que je finis par y croire, s’il vous plaît, jetez-moi des prunes (citrons et oranges proscrits ainsi que tout autre fruit/légume dont la circonférence est plus large que celle de la prune ou la consistance plus ferme).

C’est dans cet état d’esprit un peu partagé que je suis tombée sur Lignes brisées, d’Harold Cobert, sur le présentoir de la bibliothèque.
Deux personnages qui se croisent et qui se manquent depuis la puberté et jusqu’à une maturité bien installée; l’écho a été immédiat, et la curiosité l’a emporté.



Le synopsis

A quinze ans, Gabriel et Salomé se sont aimés. Elle a renoncé à la danse, une passion qui la définissait, il pense intimement que c’est à cause de lui. Il la quitte pour une autre fille.
Les années passent, ils se croisent, l’histoire d’antan n’est jamais résolue. Le récit la retrace, depuis ses débuts jusqu’à leur confrontation, une fois devenus adultes.

Mon avis

Certaines pages valent le détour, cependant j’ai trouvé l’ensemble peu homogène. La première partie m’a convaincue, mais l’altercation finale, vers laquelle tout converge, ne m’a pas semblé à la hauteur, par moment le dialogue se perd dans des méandres presque mélodramatiques qui font perdre de sa force au roman.
J’ai apprécié la plume de l’auteur ; il me faudra je pense m’essayer à une autre de ses oeuvres pour me faire une meilleure idée de son travail.
Une bonne lecture donc, mais quelques inégalités à mon sens.

Pour vous si...
  • Vous ne renoncez jamais, et votre vivier est quelque chose que vous prenez très au sérieux (pour plus de détails, vous reportez à la brillante théorie de Nombre Premier)
  • Vous aimez bien le Pays basque


Morceaux choisis

"Il y a deux sortes d'amours manquées : celles qui n'ont jamais commencé et dont on ne connaîtra jamais les regrets, et les pires, celles qui n'ont commencé qu'après avoir fini - et qui n'en finissent pas de mourir sans que nous ayons pu les vivre jusqu'au bout" (Jean-Edern Hallier)

"Je m'écoute écrire, confonds le bon mot et le mot juste. J'écris tout ce qu'il ne faut pas écrire pour un jour commencer à écrire réellement."

"Tu vis dans l'exigence de ceux qui veulent servir un art; je vis dans la désinvolture de ceux qui veulent s'amuser. [...] Tu n'as pas eu cette insouciance, toi qui étais une adulte dans un corps d'enfant, tendue toute entière vers la quête du geste parfait et l'accomplissement d'une vie".

"Les premières impressions laissent souvent des marques indélébiles, surtout les mauvaises."

"Le chleuasme est une autoapologie par antiphrase pour susciter une réaction compensatrice de l'auditoire!" (je ne plaisante pas, il y a vraiment un point d'exclamation à la fin. Il faut s'imaginer qu'il devait être satisfait de le placer, celui-là, c'était pas évident...)

"Tous les goûts sont dans la nature. Surtout les mauvais."

Note finale
2/5
(pas mal)