jeudi 30 juin 2016

Dispersez-vous, ralliez-vous!, Philippe Djian

L'adaptation de son roman Oh... au cinéma dernièrement (Elle avec Isabelle Huppert) a été un beau succès (en dépit du thème qui met fort mal à l'aise et donne un peu envie de vomir - mais c'est tout l'art de Djian, la lecture du roman ne retranscrivait pas ce sentiment qui prend à la gorge lorsque l'on se contente de lire le synopsis). 
J'ai donc songé naturellement à m'enquérir de l'actualité de Philippe, et me suis empressée de lire sa dernière production. 



Le synopsis

Myriam est une jeune fille naïve qui a été élevée par son père à l'écart de l'agitation extérieure. Elle a dix-huit ans lorsqu'elle épouse Yann, son voisin bien plus âgé, qui ne lui inspire guère de sentiments, pas plus que les autres êtres qu'elle croise par mégarde.
Ils ont une petite fille, mais la maternité ne constitue pas non plus une révélation.
Myriam consomme de la drogue, prend un amant, retrouve sa mère, et, les années passant, devient une femme affirmée.

Mon avis

Les lecteurs de Djian parlent souvent d'une magie particulière, qui opère dès lors que l'on se laisse tenter par les premières pages de ses romans.

Force est de reconnaître que la plume de l'auteur parvient un tour de force, en engageant de bout en bout le lecteur, alors que l'histoire qu'il raconte est étrange, ses personnages plutôt froids, et qu'une atmosphère de malaise règne dans l'oeuvre.

Après avoir lu Oh..., j'ai en effet l'impression que l'auteur approche la psychologie des femmes sous un angle assez particulier, qui ne reflète rien de ce que je connais : Myriam, a 18 ans, n'a aucune idée de ce que peut être la sexualité, et plus incongru encore, s'en désintéresse (pire qu'improbable, absolument impossible : imaginez une jeune fille qui ne conçoive à cet égard par la moindre forme de curiosité... Bien, nous sommes d'accord.). Elle semble conduire sa vie sans être traversée par la moindre émotion, il faut attendre la maturité pour qu'enfin la coquille se révèle moins vide que ce que tout portait à croire.
Ses relations avec ceux qui l'entourent, quels qu'ils soient, font naître, à mesure que le récit progresse, un trouble désagréable : Myriam vit, jeune fille et jeune femme, dans une solitude étouffante. Peu à peu, son monde se peuple de figures qui viennent apporter du relief et de la densité, cependant Myriam reste relativement impénétrable, voire même, et c'est terrible à dire, insignifiante.

L'épisode relatif à l'introduction de la drogue dans son quotidien, qui en vient naturellement à occuper une place centrale, m'a laissée perplexe, et tout à fait insensible.

La deuxième partie du roman, en revanche, a provoqué un regain d'intérêt, dans la mesure où le personnage de Myriam s'affirme peu à peu, devient moins transparente et moins fade.

Je ne peux donc pas dire que le cadre et les protagonistes du roman m'aient fait forte impression et m'aient passionnée, cependant il serait exagéré de parler d'ennui à la lecture : l'écriture de Djian, virtuose dans l'art du minimalisme, agit comme un sort, et l'on ne saurait abandonner le récit en route.

Un roman qui ravira sans aucun doute les fans de l'auteur!

Pour vous si...
  • La prose de Djian est un peu votre came
  • La perspective qu'une femme découvre l'orgasme à 35 ans avec son mari (après une longue et morne vie sexuelle) ne vous congestionne pas de peine

Morceaux choisis

"J'avais dix-huit ans et je n'avais toujours pas mes règles. [...] Or c'est arrivé au milieu de la nuit, sans prévenir, je me suis réveillée au matin dans une mare de sang." (L'imaginaire masculin, lorsqu'il est question des menstruations, est vraiment sans limite. Pourquoi pas plutôt une cascade de sang, ou mieux, une mer de sang? Une mare, c'est un peu modeste quand même...)

"Je suis tombée enceinte quelques mois plus tard. J'étais habituée à être assommée, à recevoir le plafond sur la tête. Yann m'a fait asseoir sur ses genoux pour me déclarer que je le comblais de joie alors que j'étais sans réaction, aussi froide qu'un jambon." (meilleure comparaison au monde)

"J'avais presque la nostalgie de mon adolescence, quelquefois, de ces années sourdes et blanches au fond desquelles Yann m'avait arrachée, de ces journées où rien n'arrivait, où je restais seule, où je ne voyais personne, de ces journées rythmées par le lever du jour et le retour de mon père, de nos repas silencieux, de la poussière qui retombait faiblement, de la lenteur des saisons, de l'indifférence, de l'immobilité."


Note finale
2/5
(pas mal)

mercredi 29 juin 2016

Le ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras

La résolution d'injecter un peu plus de "classiques" dans mes lectures se renforce avec l'arrivée en grande pompe de Marguerite Duras, qui m'a beaucoup troublée adolescente avec Un barrage contre le Pacifique, Les petits chevaux de Tarquinia, La pluie d'été ou encore, bien sûr, L'amant. Le titre du roman m'intriguait, et en attendant de lire prochainement Le marin de Gibraltar, je me suis lancée dans l'histoire de Lola Valérie Stein. 


Le synopsis

Lola Valérie Stein revient à T.Beach, dix ans après le bal qui a altéré sa vie, au cours duquel son fiancé l'a quittée pour une autre femme.
Depuis, Lol s'est mariée et a eu des enfants.
A l'occasion de son retour, elle croise son ancienne amie, Tatiana, qui lui présente son époux et son amant, Jacques Hold, lequel s'entiche alors de Lol, et est le narrateur du récit.
A partir des informations qu'il a pu glaner, il tâche de reconstruire l'histoire de cette femme insaisissable. 

Mon avis

Le ravissement de Lol V. Stein m'a fait découvrir une Marguerite Duras dont je n'avais pas souvenir.

Le procédé qui fonde le roman est captivant, dans la mesure où le narrateur, amant de Tatiana et épris de Lol, va précéder le réel, combler les vides en laissant son imagination faire diversion, et proposer une histoire de Lol alors même qu'il n'en connaît factuellement que des bribes.

Cette approche génère une complexité qui nécessite une attention entière : Jacques Hold est parfois "je", parfois "il", et le fait que Lol revisite les lieux de son passé crée par moment la confusion sur la temporalité des événements relatés. Ainsi, en dépit (ou pas!) des apparences, le roman est exigeant.

Les deux personnages féminins principaux, Lol et Tatiana, attisent la curiosité, de même que leur amitié, qui est tout à fait particulière : leur relation s'est évanouie au lendemain du bal de T.Beach, et pourtant, lors de leurs retrouvailles, une sorte d'émulsion a lieu, et il semblerait soudain vital pour Lol que Tatiana accepte de la revoir et de passer du temps avec elle.

Car c'est bien de Lol qu'il est question, et si elle polarise l'attention, elle est aussi incroyablement mystérieuse, comme vaporeuse. Les sentiments qui l'ont ébranlée lors du bal se font jour peu à peu, le temps aidant, levant le voile sur un épisode qu'on peut d'abord interpréter faussement, car la personnalité et les émotions de Lol ne sont en rien transparentes ou simples. Et pour cause : Lol n'a jamais directement la parole, ses mots sont retranscrits, de sorte qu'il est difficile, si ce n'est impossible, d'accéder à ses pensées intimes.

On ne peut dès lors que s'interroger, prolonger parfois la pensée de Jacques Hold, ou aller là où il nous emmène avec son regard alangui, mû aussi par la passion que Lol fait naître : est-ce la folie? Est-ce la détresse? Qui est véritablement Lol? Que reste-t-il de l'ancienne flamme pour Tatiana, et qu'est-ce qui est donc désormais possible, entre les deux femmes? 

Il ne s'agit sans doute pas du roman de Duras qui m'ait le plus bouleversée, cependant Le ravissement de Lol V. Stein constitue une expérience de lecture singulière.

Pour vous si...
  • Vous êtes amateur de constructions narratives ambivalentes
  • Vous ne vous formalisez pas si le récit que l'on vous sert ne relève pas exclusivement des faits objectifs
  • La perspective d'une protagoniste nommée Lol vous revigore (et oui, c'est à cela que l'on mesure que le roman est daté...)

Morceaux choisis

"La nuit avançant, il paraissait que les chances qu'aurait eues Lol de souffrir s'étaient encore raréfiées, que la souffrance n'avait pas trouvé en elle où se glisser, qu'elle avait oublié la vieille algèbre des peines d'amour."

"_Pourquoi Tatiana?
_Quelle question Lol." (ma petite soeur qui parle swag aurait pu dire cette phrase.)

"La seule nouveauté pour Tatiana trahie, ce soir, depuis des années, c'est de souffrir. J'invente que cette nouveauté vrille le coeur, ouvre des vannes de sueur dans l'épaisseur de la somptueuse chevelure, prive le regard de sa désolation superbe, le rétrécit, fait chanceler le pessimisme d'hier : qui sait? peut-être, l'étendard blanc des amants du premier voyage passera-t-il très près de ma maison."

"_C'est difficile. Lol V. Stein n'est pour ainsi dire personne de conséquent." (ah bah sympa.)



Note finale
2/5
(pas mal)

mardi 28 juin 2016

Le miroir aux alouettes, Michel Onfray

Une autobiographie politique, voilà qui est prometteur! Il fallait au moins Onfray pour y penser et concrétiser un tel projet...



Le synopsis

Michel Onfray nous parle de ses positions politiques, de leur origine, de ses détracteurs, et passe au crible la scène politique française d'hier et d'aujourd'hui. 

Mon avis

Une lecture rafraîchissante!

Avant toute chose, sachez que je suis assez peu familière avec le parcours et les écrits de l'auteur.
Je me souviens vaguement de l'Antimanuel de philosophie, sans doute un reliquat de cadeaux d'anniversaire, auquel je n'avais, à l'époque, pas entendu grand chose.

Mais son intervention sur le plateau de la Grande Librairie (encore elle) il y a quelques semaines m'a donné envie de voir de quoi il en retournait.
Avec la parution de deux bouquins en ce début d'année, et 80 autres publiés, j'avais un peu l'embarras du choix...

Et bien, figurez-vous que je ne regrette pas un instant!
D'abord parce que ma petite sœur a lu dans un sombre article de journaleux optimiste que 2 minutes de rire valaient autant de temps de vie supplémentaire que 30 minutes de jogging, et a cru bon de m'en faire part.
Ensuite, parce que, temps de vie supplémentaire ou pas, qui n'est pas tout bonnement heureux de tressauter spontanément de rire dans les transports publics parisiens?
Absolument, je vous le dis en mille : Le miroir aux alouettes est proprement hilarant.
Il faut dire que Michel n'y va pas par quatre chemins, et, au-delà d'assumer franchement ses péchés gourmands (Proudhon et Nietzsche) et ses tristes désillusions (menant au vote blanc), il ne se montre pas vraiment miséricordieux pour les plus sinueux que lui, et s'arme d'un humour acéré et cynique pour relater leurs faits d'armes.
D'ailleurs, et c'est peut-être là ce qui lui vaut des taquineries, Michel a un côté rageux qui s'exprime de manière privilégiée dans cette autobiographie politique, puisqu'il entreprend d'y régler ses comptes avec un paquet de médisants.
Pour qui n'est pas connaisseur de cet historique visiblement lourd, cela peut paraître étrange, et un poil rancunier!

Alors, attention, le roman n'est pas que piques et venin, loin de là, et tout comme l'émission Fun with flags de Sheldon Cooper dans TBBT, on apprend en s'amusant : Michel Onfray revient aux sources, et nous rappelle le sens authentique de certains mots devenus galvaudés à force de les utiliser à tort et à travers : ainsi résistant et militant, ainsi antisémite, dont on l'a apparemment largement taxé.

Il interroge ensuite la place de la philosophie, et la possibilité ou l'impossibilité de philosopher à la télé. Sa réflexion s'étend aux réseaux sociaux, avec l'hypothèse que Socrate aurait été notre maître à tous en matière de tweets : il n'y a qu'à voir ses maximes connues, pour la plupart tenant dans moins de 140 signes.

Onfray nous met en garde, pointe du doigt le caractère manipulable des images et des pensées que les médias servent, où l'on ne laisse pas de libre arbitre (ou si peu) au public, et où la conclusion à tirer est mise en exergue de sorte qu'on ne la questionne pas.
Il évoque le règlement violent des problèmes liés à l'islam, et donne envie par là même de se référer à son autre ouvrage paru en mars, Penser l'islam.
Soulignant la ligne de Mitterrand en tant qu'anti-gaulliste forcené, qui a prospéré à gauche en dépit de l'inflexion de droite donnée à la politique dès 1983, Onfray déplore les compromissions actuelles nombreuses et faciles à constater, menant à des politiques et des convictions ni de droite ni de gauche, et ne voit dans les figures possibles de 2017 aucun bon augure pour l'avenir politique de la France.

On peut bien en penser ce que l'on veut, mais je dois dire que le roman est convainquant (le rire est toujours la meilleure arme pour cela), et invite le lecteur à prendre ses responsabilités, à cesser de se trouver des excuses et à prendre la juste mesure de ses actes, ainsi que de son inaction. C'est tranché, mais, à mon sens, c'est aussi salutaire.


Pour vous si...
  • Vous aimez bien que l'on tacle les figures du pouvoir sans s'embarrasser du politiquement correct
  • Vous éprouvez une certaine tendresse à l'égard des anarchistes

Morceaux choisis

"Ce copain d'école, jovial et déjanté, est mort dans la quarantaine, confit dans l'alcool, d'un cancer de testicules qui avaient beaucoup servi." (et oui, parmi toutes les bonnes idées de Michel, je choisis d'en retenir une sur les testicules. Ah ah)

"Je crois que ne pas voter est un devoir quand ceux qui se présentent à nos suffrages se moquent d'honorer les promesses qu'ils font pour parvenir au pouvoir. Ça n'est pas le vote qui devrait être obligatoire, mais le respect de ses engagements de la part des élus."

"Un résistant met sa vie en jeu. Quiconque ne risque pas son existence dans une cause qu'il épouse est un militant, pas un résistant."

"La déréliction d'une époque s'accompagne de la déréliction du langage. Quand plus rien ne fait sens, pourquoi les mots le feraient-ils, eux et eux seuls? [...] Plus besoin de signifiants clairs avec des signifiés précis quand triomphe partout le désir de faire de l'audience."

"Trêve de plaisanterie : notre époque n'a pas inventé le tweet, elle lui a donné un nom anglo-saxon. Avant lui, on parlait d'aphorisme."

"L'Europe libérale, c'est l'augmentation considérable de la paupérisation : les riches de plus en plus riches et de moins en moins nombreux, les pauvres de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux. Des imbéciles sont médiatiquement promus rois du monde parce que, avec le football, le cinéma, la télévision, le rap, le CAC40, la chanson, ils peuvent dépenser sans compter pendant que d'autres les regardent avec envie du caniveau dans lequel ils croupissent."

"Essentialiser l'islam est la pire des choses."

"Si les philosophes n'ont fait jusqu'ici qu'interpréter le monde, il y en a un parmi eux, La Boétie, qui a donné la règle pour le changer radicalement sans violence, ici et maintenant, immédiatement, sans lendemains qui chantent : "Soyez résolus de ne plus servir, et vous voilà libres." Si nous sommes esclaves, chacun sait désormais qu'il ne tient qu'à lui de cesser de l'être. S'il le reste, c'est qu'il l'aura voulu."

Note finale
3/5
(cool)

Comédie française : ça a débuté comme ça..., Fabrice Luchini

Votre attention mes braves : Luchini s'essaye à l'écriture, et nous livre un roman où il nous parle de littérature, de théâtre et de poésie, des mots en somme, et de lui aussi, bien sûr.
En scène!



Le synopsis

L'auteur raconte son histoire, son amour pour la Fontaine, Rimbaud, Flaubert, et surtout Céline, mêlant aux figures d'anthologie des anecdotes insolites qui le mettent en scène, ainsi que d'autres personnalités mythiques.

Mon avis

Voilà un roman absolument délicieux!

On croirait entendre Luchini déclamer en lisant le récit qu'il nous livre, parsemé d'expressions qui lui vont si bien, d'improbables combinaisons de mots où se mêlent une langue précieuse et le jargon de rue.

Il est captivant de lire son amour des grands auteurs, tout autant que les anecdotes dont il nous abreuve, issues des jours actuels comme des jours d'antan. On y croise les figures emblématiques d'époques plus ou moins lointaines, des Roland Barthe, Eric Rohmer, Arielle Dombasle (en un temps où elle ne faisait pas peur), Jean-Pierre Marielle, Juliette Binoche, mais aussi Hollande et Macron (ils sont partout, ces deux là, ou quoi?).

On y croise aussi, et c'en serait divin, Nietzsche (quelle railleuse je fais), Valéry, Baudelaire, Rimbaud, Molière, Spinoza, La Fontaine.

Luchini joue, papillonne, s'impressionne et partage, il se dévoile et se montre tour à tour généreux, marketeur, mauvais garçon, amoureux, impertinent, passionné.

Pour les détracteurs, s'il en est, sans doute percevrez-vous dans l'oeuvre ce qui vous déplaît chez lui, car sa personnalité et son cachet imprègnent les lignes : j'ai eu le sentiment que, à l'aveugle, on pourrait deviner en lisant qu'il est l'auteur de Comédie française.

Pour les inconditionnels, vous serez réjouis de le découvrir en pleine forme, et d'en apprendre davantage sur sa trajectoire, ses amours et son panthéon d'auteurs adulés.

Et pour les curieux, ne manquez pas une occasion de voir son histoire et le monde avec ses propres yeux.


Pour vous si...
  • Vous êtes comme beaucoup fascinés par le comédien de génie...
  • Et vous n'avez rien contre Céline.

Morceaux choisis

" "Tu te dérobes?" Tout est là, dans ce "tu te dérobes?" à cause d'un tee-shirt. Dramatiser ce qui n'a aucun sens. "Tu te dérobes?" Tout un code social qui accompagnait ces quelques lettres : appartenance, force du groupe, crainte de la disgrâce. "Tu te dérobes?" Pas du Bruant, ni du Poulbot, mais la langue des aristos de la rue. Mes Guermantes."

"Avec ma mère, nous en fîmes de grands tours. Elle était fille de l'Assistance publique à Nevers. Elle n'avait pas de parents. Elle s'était mariée avec un homme qui au retour de la guerre était devenu fou : il ne la reconnaissait pas. Ces deux misères s'étaient retrouvées, il en était sorti trois enfants. J'ai deux frères, mais j'ai eu la folie de penser que j'étais le seul. De là vient mon dévorant désir d'être le préféré."

"Etre un acteur, c'est ce moment, à la seconde où tu dis le vers, où tu le ressens, et où il t'inspire un geste théâtral que tu n'avais pas prévu. Quand tu aimes la cadence, c'est magique. Pourquoi est-e que cela me paraît de plus en plus drôle, au fur et à mesure que je joue ces scènes? Parce que je suis de plus en plus près de la structure du vers, je ne rajoute rien. Est-ce que je me dépersonnalise en suivant le conseil de Jouvet? Moi qu'on dit bon client, un cabot, un qui en fait trop, un qui passe en force, un qui fait le show?"

"N'empêche que le nom easyjet me fascine."

"Je ne pensais pas un jour écrire un livre, mais j'ai longtemps été, moi-même, comme un manuscrit envoyé à un éditeur qui ne l'édite pas."

"Très peu de gens vont mal au point d'écouter Wagner et de lire Spinoza le matin. Il doit y en avoir 3500 en France. Si tu lis Spinoza le matin, si tu te tapes un Wagner le soir : tu ne fais pas de jogging, tu ne regardes pas le foot, tu ne bouffes pas, tu ne baises pas et tu ne vas pas bien."

"Cette obsession de la droite et de la gauche à vouloir faire lire les gens : mais de quel droit ils veulent qu'on arrête de travailler pour faire lire les gens? Un sermon de Bossuet offre un rapport fulgurant avec le néant et l'éternité mais soixante-dix millions de gens qui liraient vraiment Bossuet ça créerait quelque chose de très étrange."

Note finale
4/5
(très cool)

samedi 25 juin 2016

Que lire pendant les vacances?

Parfois difficile à croire en regardant dehors (surtout pour certains), mais la période estivale est là, et si le soleil n'est pas forcément au rendez-vous, il va bien falloir prendre quelques vacances.
Pour les chanceux parmi vous qui se trouvent être aussi indécis, voici quelques romans à emporter avec vous pour rattraper le retard accumulé cette année, ou tout simplement parce que certains livres sont encore meilleurs quand on les lit à la plage!

Ou, autre option, en plein champ. Attention aux processionnaires et autres satanés insectes.

Les romans publiés cette année :


Les romans qui ont un goût d'été :
  • Avant toi de Jojo Moyes : le film sort dans les salles noires et a tout l'air d'un nanar, mais croyez-moi, le roman est à couper le souffle! Vous me remercierez...
  • Un roman de Victoria Hislop : L'île des oubliés ou Le fil des souvenirs, par exemple. Depuis quelques années, je m'applique à lire un roman de Hislop chaque été. Le cadre est toujours ensoleillé et passionnant, aucun risque de vous tromper!
  • Cher amour de Bernard Giraudeau : voyagez aux quatre coins du globe grâce à la prose poétique de Giraudeau...
  • Rêves de garçons de Laura Kasischke : les intrigues de Kasischke sont immanquablement des merveilles de trompe-l’œil, dans le piège desquels on tombe sans même s'en rendre compte. 
  • Promenons-nous dans les bois de Bill Bryson : une randonnée comique en compagnie de l'ami Bill, de quoi vous mettre en condition pour tout type d'aventure!
  • Passé imparfait de Jonathan Fellowes : l'humour anglais se décline à merveille dans cette enquête insolite, où un homme mourant cherche à trouver l'expéditrice d'une lettre anonyme reçue des années plus tôt...
  • Les filles de l'ouragan de Joyce Maynard : les destins croisés de deux petites filles issues de deux familles très différentes, et qui partagent un lourd secret. 
  • Mississipi d'Hillary Jordan : sous un soleil de plomb, un couple de fermiers tente de survivre dans une ambiance de regain de racisme et de brutalité. 
Photo de ma collection personnelle la plus proche de la représentation d'un soleil de plomb.

Pour ma part, je vais tâcher de dégoter et d'embarquer avec moi :
  • Le grand marin de Catherine Poulain : mon côté nature writing ne s'exprime jamais aussi bien qu'en juillet...
  • En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut : un succès aussi époustouflant qu'inattendu pour un premier roman publié dans une petite maison bordelaise, Finitude. Il est bien parti pour devenir l'incontournable de 2016...
  • Envoyée spéciale de Jean Echenoz : le petit chéri de la rentrée littéraire de janvier!
  • Purity de Jonathan Franzen : il paraît que j'ai manqué un grand nom en n'ayant jamais lu Franzen, alors je vais m'y atteler fissa.
  • Le nouveau nom d'Elena Ferrante : perspective heureuse et formidable <3 Ne manquez pas L'amie prodigieuse si vous la croisez, car quitte à ne retenir qu'une lecture cet été, je vous recommande celle-là!
  • Les vrais durs de TC Boyle : un été n'est pas digne de ce nom s'il ne comprend pas au moins un roman américain. TC fera l'affaire. Franzen aussi, remarquez : mais comme je ne sais pas trop quoi attendre de lui à ce stade, je préfère miser en sus sur une valeur sûre. 
  • La ville orpheline de Victoria Hislop : je l'indiquais plus haut, les romans d'Hislop sont associés pour moi à l'été chaud et moite, il est donc impensable que je me retrouve en septembre sans avoir lu son petit dernier.
  • Désolée je suis attendue d'Agnès Martin-Lugand : vous connaissez ma devise, il est indigne de pourrir sans savoir, donc, je vais le lire, comme ça je pourrai le pourrir tout mon soûl. Ne me remerciez pas, je sais que ça fait vous plaisir aussi.
Et comme lorsque l'on est confronté à un bac de fraises (très commun), le plus dur est encore de choisir par lequel de ces romans commencer...

A tous, je souhaite de très belles vacances et des lectures édifiantes!

vendredi 24 juin 2016

Toutes les choses de notre vie, Hwang Sok-Yong

L'an dernier, j'ai découvert Le vieux jardin, un récit éprouvant dans lequel Hwang Sok-Yong racontait l'incarcération d'un homme dans une prison sud-coréenne pendant dix-huit ans, et son retour à la vie en société après avoir purgé sa peine.
Un récit aussi léger que distrayant, et cependant, allez savoir pourquoi, en trouvant son petit dernier abandonné sur le présentoir de la bibliothèque, mon cœur a bondi. La combinaison lunettes/pomme/sardine sur la couverture, sans doute.


Le synopsis

A 14 ans, Gros-Yeux arrive avec sa mère dans une immense décharge à Séoul. Avec des milliers d'autres, ils attendent chaque jour les déchargements de déchets parmi lesquels ils se battent pour récupérer des objets de quelque utilité.
Là, il se lie avec le Pelé, un garçon un peu simple qui lui fait découvrir l'île et ses secrets.


Mon avis

Vous vous souvenez de Revoir Tanger, de son cadre luxueux et raffiné?
Bienvenu dans ce qui s'apparente à son exact opposé (vous pouvez maintenant oublier la référence à Revoir Tanger, il n'en sera pas question dans le reste du post, tout ça n'était qu'un prétexte pour une entrée en matière originale et lénifiante pour les adeptes de l'esprit de contradiction).

Sok-Yong avait décrit avec une précision glaçante les conditions de détention dans les prisons coréennes : on retrouve le même souci de précision lorsqu'il choisit de placer son intrigue dans la plus grande décharge à ciel ouvert de Séoul. Rien ne nous est dissimulé de la misère des foyers précairement installés alentour, de leur quête quotidienne parmi les ordures déversées par montagnes, des accidents qui surviennent inévitablement, des familles ainsi sinistrées.

Au milieu des déchets, des débris et des hommes qui s'accrochent à ce travail qui leur rapporte davantage que d'autres plus ingrats encore, il y a ces gamins avides de plus et d'ailleurs, dont la vie et l'imagination animent la décharge : une fois le primaire passé, les enfants n'ont plus de nom, on ne leur connaît que ces surnoms étranges gagnés au hasard d'un épisode qui a marqué les esprits : Gros-Yeux, le Pelé, la Taupe... Par clans, ils investissent les cachettes, la toile de tente qu'ils nomment leur QG, et voient ce qui est invisible aux adultes : les lueurs bleues qui flottent çà et là, sans que l'on puisse prédire quand et pourquoi.

Le roman de Hwang Sok-Yong prétendrait presque au sublime, en faisant se côtoyer ainsi la décharge, ce lieu d'immondices où se concentre ce dont la société n'a pas voulu, les traces par tonnes du consumérisme de masse qui vient défigurer l'île aux Fleurs, et la naïveté, l'énergie adolescente de jeunes garçons à la fois adultes avant l'âge, et exhibant les vestiges de l'enfance, qui se manifestent sous la forme de ces lueurs bleues que le Pelé distingue.

Bourré d'images vivaces, de scènes très visuelles et qui invitent à réfléchir sur ces non-lieux ignorés des sociétés développées, déversoirs géants des détritus d'humains, ce roman marque l'esprit, et laisse comme un arrière-goût amer.


Pour vous si...
  • Les lieux sophistiqués vous mettent mal à l'aise, en fait, ce qui vous plaît, c'est la fange

Morceaux choisis

"Pouvait-il y avoir chose plus effrayante que les odeurs nauséabondes, les essaims de mouches et toutes ces monstruosités déversées par les gros camions? Quand son râteau accrochait le corps d'un animal en putréfaction, il le repoussait d'un coup de pied, et la dépouille était aussitôt recouverte par d'autres détritus. Les innombrables objets dont les gens s'étaient débarrassés avaient subi le même sort que ces têtes de poisson sectionnées, devenues informes, si peu ressemblantes à ce qu'elles furent, ils s'étaient décomposés en de minuscules éléments méconnaissables, sans rien qui rappelât leur aspect initial. Ah, s'il pouvait s'envoler pour un autre monde! songeait Gros-Yeux en regardant défiler les buissons."


Note finale
3/5
(cool)

jeudi 23 juin 2016

Abraham et fils, Martin Winckler

Le dernier Martin Winckler!
Découvert il y a précisément un an avec La maladie de Sachs, il s'agissait d'un auteur qui m'avait intriguée et désarçonnée, de par la complexité de la construction narrative de son roman. 
Abraham et fils m'est parvenu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices, et promettait une lecture assez différente. 


Le synopsis

Abraham Farkas, médecin immigré d'Algérie, s'installe avec Franz, son fils de dix ans, dans la petite ville de Tilliers, après la mort de sa femme qu'il prend soin de ne pas évoquer à Franz, lequel n'a aucun souvenir de son passé. Peu à peu, ils s'intègrent dans la communauté, et lui découvrent une histoire riche et dense.


Mon avis

Abraham et fils est un long roman dans lequel on se promène, où l'on vagabonde sans être assommé par la pression d'une intrigue au mécanisme aussi implacable que celui d'une horloge.

Il y est question de la relation d'un père et de son fils, bien entendu, mais il y a plus encore : leur intégration dans la ville de Tilliers, le halo de mystère qui enveloppe l'accident dont a été victime Franz et qui a causé la mort de sa mère, et, de fil en aiguille, le passé de la ville, l'histoire des occupants de la demeure habitée par les Farkas durant l'épisode de la Seconde Guerre Mondiale.

Les personnalités respectives d'Abraham et de Franz sont attachantes : le père, de par son dévouement à son fils, et la honte qu'il porte liée à la disparition de sa femme, de par son humanité également, à l'égard de ses patients bien entendu, mais aussi de tous ceux qui croisent sa route. Le fils, de par son insatiable appétit pour la lecture, ses misères d'écolier et ses questions parfois presque adultes.

Les autres caractères sont eux aussi très vivants : Claire et Luciane en premier lieu, et ceux qui gravitent alentour, Gérald, Frank Frock et Hans von Homer, le capitaine, Pierre Barrault, et, bien sûr, Marie et Marcel.

Dans la vie quotidienne d'Abraham et Franz, il y a les non-dits, tout ce qui flotte autour de ce passé tu et dont Franz a tout oublié, il y a tout cet amour qui les lie l'un à l'autre, qui les préserve et les isolerait presque du reste du monde, et puis il y a les menues aventures de tous les jours : les échauffourées à l'école, les patients et les maux qui les troublent, mais aussi les fantômes qui hantent les lieux et les vivants.
Comme Franz, on se passionne bientôt pour la correspondance entre Marie et Marcel, pour leur romance brutalement interrompue, et l'on se prend à vouloir dénicher la vérité derrière ce triste fait divers dans la France occupée de 1942.
La façon dont l'auteur nous guide vers les diverses révélations est habile, car à ce point du roman, elles interviennent davantage comme des éclairages sur la psychologie des personnages telle qu'on l'a appréhendée jusque-là, que comme un dénouement classique qui assimilerait l'ensemble à une sorte d'enquête tout au plus.

Abraham et fils constitue un livre qui se lit sans peine, qui porte le lecteur au fil des pages et l'introduit à des protagonistes cohérents et sensibles. Un agréable moment en perspective, n'est-il pas?

Pour vous si...
  • Vous aimez que l'on vous emporte dans un quotidien fait de diverses choses, depuis les plus anodines jusqu'à de plus fascinantes, mêlant ainsi le banal et la péripétie
  • Vous vous intéressez / êtes nostalgique des années 1960

Morceaux choisis

"De la fenêtre de la clinique, j'apercevais, entre les arbres, le bleu de la mer, et je savais ce qu'étaient la mer, les vagues, les nuages et les tempêtes mais j'avais oublié le nom de la ville où nous nous trouvions. Je ne me souvenais même pas de mon nom."

"Je me suis ennuyé furieusement.
Furieusement, j'aime bien ce mot. Mais je déteste m'ennuyer, furieusement ou non."

"L'aventure est partout. Partout, chaque jour, il y a des occasions de faire du bien, d'aider quelqu'un qui souffre, de réparer une injustice.
Impossible? Peut-être. Mais c'est cet impossible qui m'intéresse."


Note finale
3/5
(cool)

mercredi 22 juin 2016

L'origine de nos amours, Erik Orsenna

Le prix Orange du livre a été décerné cette année à Vincent Message (dont je vous parlais ici), pour son roman Défaite des maîtres et possesseurs (que je vais tâcher de me procurer au plus vite).

Erik Orsenna était le président du jury. 
Ce qui, naturellement, m'a fait réaliser que j'avais peu lu de son oeuvre.
Son dernier roman, L'origine de nos amours, m'a mise en confiance, de sorte que je me suis embarquée dans la lecture. On sous-estime beaucoup trop le pouvoir insidieux des vieux escaliers en marbre. 


Le synopsis

De concert avec son père, le protagoniste, Eric, investigue la mécanique du cœur. Ensemble, ils évoquent leurs peines, les complications que la vie leur oppose, et la malédiction dont les hommes de la famille seraient frappés, qui vouerait leurs amours à l'échec. 

Mon avis

Le roman d'Orsenna a des accents de poésie et de nostalgie.

Il y a de l'art et du cœur dans la façon dont le narrateur délie les langues, la sienne et celle de son père, ouvrant la voie aux histoires enfouies dans le passé, dont on interroge la part de véracité et la part de mythe.
Entre les deux hommes, l'infortune amoureuse crée bientôt un pont que rien d'autre n'a su bâtir, si bien que c'est ce qui parvient à les rapprocher alors qu'ils parviennent tous deux à une forme de maturité. Il est touchant de voir le regard du vieil homme se porter avec angoisse presque sur son fils, lui qui redoute plus que tout que le mauvais sort frappe sa descendance, et qui attend sans cesse des preuves de bonheur conjugal pour croire enfin que la malédiction est conjurée.

La fluidité du récit m'a rappelé ce sentiment de facilité délicate éprouvé à la lecture du dernier roman de Philippe Claudel, L'arbre du pays Toraja, dans un contexte très différent, mais où le lecteur était également entraîné dans la vie quotidienne du narrateur sans ressentir la moindre aspérité.
On découvre, au détour des paragraphes, des réflexions d'apparence simple et cependant pleines de sens, qui dépassent le seul roman pour tisser des liens avec notre propre vie.

En parallèle des pensées collectées, l'exploration se tourne vers les racines des deux hommes, et leur ascendant émigré à Cuba, où la malédiction a pris corps. C'est alors une nouvelle atmosphère, un monde qui s'ouvre, et où l'on se plaît ; j'ai seulement déploré que l'on ne s'y hasarde pas davantage.

L'origine de nos amours est un roman doux, qui interroge avec philosophie les vagabondages amoureux, mais aussi les liens entre un homme et son père.


Pour vous si...
  • Vous avez toujours su que les échecs amoureux n'étaient pas vraiment du fait de votre drôle de caractère, mais provenaient plutôt d'un maléfice contracté par un lointain arrière grand oncle, ah le salaud.

Morceaux choisis

"Et puis un jour, j'avais vingt-huit ans, lui cinquante, nous avons divorcé la même semaine.
Je suis parti seul me refaire une santé dans notre île de Bréhat. Pour retrouver des forces, rien ne vaut la proximité de la mer. Peut-être parce que toute vie vient d'elle. Il doit nous rester une très lointaine mémoire de cette énergie première."

"Un bref émerveillement devant les derniers boutons du double rosier Iceberg. Comment s'allient, sous la beauté et peut-être pour la faire naître, la fragilité et l'obstination à trouver la lumière...
C'est ainsi que me revint, d'abord timide puis déployée, la joie de vivre, ce très étrange sourire intérieur."

"Au délice alors ressenti de jouer avec la vérité, à cette soudaine et vertigineuse impression de liberté, j'ai deviné que désormais je ferais tout pour les éprouver à nouveau. Plus tard, allongé dans mon lit, ma lampe éteinte, je me souviens de m'être dit : quand tu mens, des ailes te poussent.
Plus rien ne t'emprisonne.
Et je suis endormi oiseau.
Ainsi naissent les vocations de romancier."


Note finale
3/5
(cool)

mardi 21 juin 2016

L'été d'Agathe, Didier Pourquery

Le prochain roman de la sélection du Grand Prix des Lectrices n'est pas joyeux-joyeux, puisqu'il y est question de la mort de la fille de l'auteur à l'âge de 23 ans.
Le livre parfait pour retrouver le sourire par cet été maussade, donc.


Le synopsis

L'auteur raconte sa fille Agathe, atteinte de mucoviscidose, et avec elle, son long combat pour vivre, jusqu'à ce que la maladie l'emporte, en août 2007. Agathe a alors 23 ans.

Mon avis

Le roman est rédigé de telle sorte que s'alternent les passages de narration, et les souvenirs plus intimes, constitués notamment de dialogues avec Agathe. Il se présente globalement comme une sorte de journal, où les époques se mélangent parfois, et qui relate la vie d'Agathe, passée surtout dès son adolescence dans des chambres d'hôpital, entre Paris et Oléron, l'île de son cœur où elle a voulu que ses cendres soient dispersées.

Il y est question de sa force, de sa vivacité, de ses projets aussi, de sa volonté de vivre comme les autres jeunes de son âge, mais aussi de l'indéfectible soutien qu'elle a été pour ses proches, eux qui attendaient qu'elle aille mieux, qu'elle adresse un sourire, qu'elle soit enfin rétablie.

L'auteur ne s'accorde aucune concession, et ne passe pas sous silence les reproches que sa fille a pu lui adresser, qui l'ont touché au cœur, son investissement excessif dans son travail, ses absences, son rôle dans la destruction de la famille qui était un socle pour elle.

La lecture est éprouvante, les regains d'espoir continuellement condamnés, la proximité créée avec Agathe dangereuse, car l'issue est connue dès les premières pages du roman, si bien qu'il est douloureux de faire sa connaissance, d'assister à sa lutte, à ses aspirations, à ses coups de gueule et à ses fous rires, à la mobilisation de ses proches, à la façon dont une jeune fille appréhende et prépare sa propre mort.

Le roman de Didier Pourquery est extrêmement personnel, terriblement intime, il avance tête nue sur un champ miné, on lit la tendresse infinie qu'il porte à sa fille qu'il cherche encore partout.
Il revisite une histoire bien connue dans laquelle se distille une nostalgie douce et pourtant foudroyante, où le lecteur n'est autre qu'un témoin impuissant, légèrement voyeur, au point que l'on peut questionner la légitimité de son regard sur la vie et la mort d'Agathe.


Pour vous si...

Morceaux choisis

"Un soir, toute pâle, branchée sur ton respirateur, perfusée, fiévreuse, tu me donnes une lettre dans une enveloppe cachetée, "à lire dans l'avion du retour". Dans ces deux pages tu décris tes angoisses...à mon sujet! Tu montres dans ces lignes que tu as parfaitement compris mon état mental, ma confusion et tu me demandes de faire attention à moi, de croire à la vie, qui peut être merveilleuse. Tu as écrit ce mot : "merveilleuse". Tu m'encourages, tu soulignes que tu as besoin de moi en forme, de mon humour, de mon entrain...
Je lis cette lettre alors que l'avion survole la mer, au-dessus de la presqu'île.
Tu es en bas. Tu attends."

"La greffe est une maladie, on nous l'a souvent répété. Il faut le savoir pour se soigner, rester vigilant. Une greffe est aussi une renaissance rythmée d'une suite de combats et de victoires."


Note finale
3/5
(émouvant)

lundi 20 juin 2016

Le piano dans l'éducation des jeunes filles, Stéphane Barsacq

Il y a des titres plus prometteurs que d'autres. Celui choisi par Stéphane Barsacq pour son premier roman titille, chatouille, et, finalement, fait franchir le pas. Comme quoi, ce n'est pas toujours si compliqué. 


Le synopsis

Volodia est un professeur d'histoire parisien. Il travaille à la rédaction d'un livre dédié à l'éducation des jeunes filles, guidé en cela par des écrivains qui le traitent en disciples, et bien sûr, par ses propres amours. Mélomane, il est conquis par Sonia, pianiste et forte tête, qui lui donne l'idée d'étudier la relation entre musique et éducation. A mesure que ses relations se font et se défont, son cheminement intellectuel progresse, tout comme sa conception de l'amour.


Mon avis

Voilà qui est un drôle de roman!

Le nom des protagonistes donne le la dès les premières pages, et nous projette dans une histoire que l'on croirait d'un autre temps, dans un cadre très romanesque : exit les Eric, Valentine, Jean-Louis et Françoise : ici sont Volodia, Hérode, ou encore Anténor. Les hommes ne nomment par leur patronyme, qui a immanquablement des accents de Grèce et de Rome antiques. Ils sont des hommes de caractère, au tempérament prononcé, qui impressionnent et font bien peu de cas des plus faibles ou des moins indécis autour d'eux.

Volodia est le narrateur, notre point d'ancrage dans le roman de Stéphane Barsacq, et il est in fine un personnage en demi-teinte : sa quête, absolue quant à elle, captive, et les femmes qu'il rencontre sont entières, à commencer par Sonia, si sûre de tout, aussi sarcastique que narcissique, que l'on adore détester, au point d'attendre une chute tant elle agace, et d'enrager de voir le protagoniste se perdre en amour pour elle. Aux antipodes, Sophie est inaccessible, elle est pur esprit, un être cérébral et musical, et l'ordre physique n'a pour elle que peu de matière et peu d'existence. Sophie est la passion, absorbée par son art qui la définit toute. Entre les deux, Asma, amie et soutien indéfectible d'Hérode, demeure distante, et c'est bien dommage, car elle était à mon sens la plus prometteuse.

De leur côté, Anténor et Hérode ouvrent les portes d'un monde littéraire auto-centré, qui vivote de l'auto-congratulation et du conflit entre les écrivains en vue qui y cultivent un entre-soi déconcertant, où tout est prétexte à l'altercation, et partant, au scandale.

En filigranes, le sujet du livre de Volodia est toujours présent, et les expériences personnelles du protagoniste y sont liées : les réflexions avancées sont stimulantes, sur ce qui longtemps a été attendu des femmes et donc inséré dans le programme d'éducation des jeunes filles, sur le rôle des modèles véhiculés par la littérature, de la Princesse de Clèves, faite d'abnégation, de renoncement et de discipline de ses sentiments, à Emma Bovary, qui ne demande qu'à vivre, ne déguise pas ce que lui inspire son époux et les hommes auxquels elle s'attache, mais échoue à être heureuse. Ces passages, qui développent les thèses de Volodia, sont particulièrement intéressants.

Le livre est par ailleurs parsemé de références, à la musique et à la littérature principalement, tant et si bien que les citations peuvent accabler le lecteur par leur nombre, et freiner la lecture; à tout le moins, ils concourent à la rendre exigeante.
De par sa vivacité et son rythme, la langue est riche, le style foisonnant; un sentiment que j'avais ressenti à la lecture d'Un jeune homme prometteur de Gautier Battistella également. Il y a cette verve, ce goût des mots qui peut perdre par moment, qui déborde, mais qui charme aussi.

Pour finir, j'ai l'impression d'avoir lu un roman qui accapare, qui questionne, et si les pérégrinations du protagoniste n'ont rien que de très commun dans leurs grandes lignes - sa romance avec Sonia, son ennui dans sa vie de professeur, ses questionnements sur l'amour -, elles se singularisent par la façon dont sa vie baigne dans son oeuvre, dont les deux se lient.


Pour vous si...
  • Vous êtes d'emblée intéressé par un roman qui prend pour cadre le milieu intellectuel/littéraire/artistique européen
  • La Rotonde est votre QG

Morceaux choisis

"L'amitié n'est souvent que le partage du temps enfui et le désir de le retenir au vol."

"_C'est d'un vulgaire! Je déteste Grosmouton, il est toujours à fouiller entre la chemise, les fesses et les cuisses. On eût peut-être fait un grand poète de ce monstre si on l'avait fouetté dûment entre quinze et vingt ans."

"_Vous voulez vous venger? Soyez heureux. Rien ne fait plus enrager vos ennemis que votre bonheur. Qu'il soit insolent. Qu'il s'étende à tout ce que vous faites. Soyez heureux : toutes les femmes voudront coucher avec vous."

"Je ne quittai pas Sophie Baxter des yeux. Il faut dire que sa scandaleuse beauté la désignait d'emblée à l'attention. Je songeai que si elle était belle, Sophie Baxter l'était comme seuls les poètes le sont, par l'aveu de leur vie profonde."

"Rome a la vertu de la beauté. Elle balaie comme un grand vent tous les nuages qui embrouillent l'esprit. Ce miracle opéra dès que je débarquai à l'aéroport de Fiumicino, dans la lumière abondante et voluptueuse de la ville qui ne se compare à nulle autre."


Note finale
4/5
(très bon)

vendredi 17 juin 2016

Le secret de l'empereur, Amélie de Bourbon Parme

Le deuxième roman proposé ce mois-ci par la Bibliothèque Orange nous parle d'un épisode critique de l'Histoire de France : l'abdication de Charles Quint.
Un sujet assez mainstream, en plus j'en avais justement discuté avec mes collègues à la cantine la veille. Mais bon, je me suis quand même efforcée de me pencher sur le sujet.  



Le synopsis

En 1555, à la stupéfaction générale, Charles Quint annonce son intention d'abdiquer, et de laisser le pouvoir et le royaume à son fils Philippe.
En dépit des sollicitations nombreuses de revenir sur sa décision, il se retire dans le monastère de Yuste, en Espagne, et se consacre à sa passion des horloges, et à l'une d'entre elles en particulier, qui semble receler un mystère qui lui échappe. 

Mon avis

Le roman se concentre sur une période historique qui capte immédiatement l'attention : l'abdication d'un empereur vivant (vous me direz, c'est toujours mieux quand on veut abdiquer).

L'épisode est inédit, et justifie en cela que l'on y consacre un livre, si tant est que l'on trouve matière à le nourrir. Ce contexte si particulier ouvre des opportunités pour les empires et royaumes voisins, et met en danger le règne de Philippe, le fils de Charles Quint, que son père met au pied du mur sans lui laisser le temps de conquérir son nouveau rôle, de gagner le soutien des partisans de son père.
Il est étonnant, en cela, de voir combien la lassitude pèse à Charles, et le conduit à camper sur ses positions en dépit du tort que cela pourrait causer au nouvel empereur.

Ce même roi me semble difficile à cerner, car s'il est question à de nombreuses reprises de cette fatigue engendrée par ses multiples voyages, et de sa passion des horloges, il n'est guère défini que par ces deux pans de vie ; on déplore qu'il n'y ait pas eu davantage d'interactions avec son entourage, qui auraient peut-être permis d'appréhender avec plus de clarté et de conviction ses motivations comme ses aspirations. Certains passages sont cependant saisissants : ainsi sa brève rencontre avec son petit-fils, et la gifle qu'il lui assène; ainsi le refus qu'il oppose à ceux qui le visitent dans le seul but de l'enjoindre à reporter son abdication. Il est dommage que ces échanges ne soient pas plus fréquents et plus denses.

En fin de compte, j'ai fait peu de cas du mystère qui se trame autour de l'horloge qui occupe l'empereur, et dont l'auteur est le maître de Cordoue, un homme évanescent dont on viendrait à douter de l'existence même. Cette intrigue, qui intervient comme un fil rouge tout au long de la lecture, m'est apparu comme un prétexte au suspense avant tout, portant des révélations qui sont finalement attendues, et qui ont pour principal effet de détourner de ce qui se joue vraiment : le sort de l'empire, la matière qui se trouve derrière la décision de l'empereur.

L'écriture, quant à elle, est fluide et se fait oublier, elle s'efface au profit de l'histoire qui prend le pas, mais qui reste partagée entre le poids historique qui caractérise l'abdication du roi, et ce que cache l'horloge du maître de Cordoue.

Le secret de l'empereur m'a donc intéressée et attristée à la fois ; j'aurais préféré que les horloges y demeurent anecdotiques, et que l'on reste au plus près des enjeux historiques de la période, ou, à défaut, que le personnage de Charles Quint soit plus creusé, plus exposé.


Pour vous si...
  • Les horloges et leurs mécanismes tortueux vous captivent
  • Vous trouvez aussi qu'on ne parle pas assez de ce cher Charles Quint

Morceaux choisis

"C'était une des raisons pour lesquelles il avait choisi de se retirer en Espagne : profiter d'une lumière plus forte pour mieux voir ce qu'il se passait au fond des boîtiers."

"Son maintien était discret, ses expressions et ses manières rassurantes : toute son apparence confinait à l'effacement et à la dissimulation. C'était lui-même qui lui avait appris ces ambassades feutrées, ces visites tout en rondeur : celles-là mêmes qui viennent contrarier vos résolutions."

"Au bout de longues heures de soleil couchant et de poussière, le cortège arriva enfin aux portes de la ville. Un troupeau de cochons noirs fouillant le sol avec leur nez étonnamment mobile, poussant des petits grognements de plaisir chaque fois qu'ils déterraient une racine plus grass


Note finale
2/5
(pas mal)

jeudi 16 juin 2016

On regrettera plus tard, Agnès Ledig

J'éprouve une curiosité à l'égard des romans d'Agnès Ledig depuis quelque temps déjà. Les titres et les synopsis me faisaient redouter une Martin-Lugand bis, et vous savez bien sûr que ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. J'ai pris cette semaine mon courage à deux mains pour aller voir par moi-même de quoi il en retourne, et me faire ma propre idée.
Promis, pas de langue de bois.

Vous m'accorderez que cette image de couverture a de quoi faire flipper...

Le synopsis

Valentine est institutrice en Alsace, où elle vit dans une ferme non loin d'un village où elle a grandi.
Un soir d'orage, un homme frappe à sa porte, les bras chargés d'une petite fille malade. Ainsi Valentine fait-elle la rencontre d'Eric et de sa fille Anna-Nina (médaille du prénom le plus pourri), qui vivent dans une roulotte et arpentent les routes de France depuis des années, la mère d'Anna-Nina étant morte en couches.
Peu à peu, ils s'apprivoisent, Anna-Nina accompagne Valentine à l'école et découvre une vie sociale dont elle est totalement ignorante, et Valentine se rapproche d'Eric, qui veut d'abord la tenir à distance, mais résiste difficilement à l'attraction physique qu'il éprouve. Pour démêler ses sentiments, Valentine peut compter sur le soutien de Gaël, son meilleur ami lui-même impliqué dans des histoires compliquées, et Gustave, son voisin prévenant et protecteur.

Mon avis

Une chose est sûre : en refermant le livre, le regret ne se fait pas attendre longtemps, si bien que le titre se révèle sinistrement prédictif : oui, on regrettera d'avoir perdu deux heures de vie, ça ne fait aucun doute.

Les débuts n'étaient cependant pas particulièrement mauvais, et m'ont même semblé distrayants.
Assez rapidement néanmoins, l'intrigue prend un tour prévisible, l'auteur multiplie les formules creuses et les lieux communs, ce qui exacerbe l'agacement.

En parallèle de l'histoire de Valentine, on découvre celle de Suzanne, faite prisonnière par les Nazis durant la Seconde Guerre Mondiale, mais elle s'enlise également : on se demande où l'auteur veut en venir, on perd finalement tout intérêt pour ce personnage qui manque de relief, et l'issue prouve qu'il n'y avait pas matière à développer à ce point ce volet, qui donne lieu pour finir à une psychologie de comptoir improbable et inepte.

Valentine n'a rien de très intéressant, Eric la fuit sous prétexte qu'elle est compliquée alors qu'il n'y a rien qui fasse penser que ce serait là un trait du personnage, lui-même ne se caractérise que par son obsession pour sa femme décédée et sa fille et ne semble, par ailleurs, pas manifester la moindre consistance.

La palme revient à Gaël, personnage inutile dont la romance est à vomir (comment se passionner pour un bonhomme marié seulement préoccupé par la liaison adultère qu'il a entretenue avec une certaine Stéphanie, laquelle a eu la présence d'esprit de se carapater en vitesse). Gaël n'apporte rien, il sert tout au plus à démontrer que Valentine est moins seule que ne pourrait le laisser supposer sa réaction à la venue d'Eric et Anna-Nina (je ne me fais pas à ce prénom cul-cul la praline à souhait...), mais il n'a strictement aucune valeur ajoutée et, pour ma part, n'a pas suscité la moindre once d'empathie.

Si l'on récapitule : des personnages assez fades, une intrigue générale entendue et cousue de fil blanc, des intrigues secondaires au contraire complètement décousues et impersonnelles, le tout servi par une écriture engoncée dans les stéréotypes et des images ridicules, voire kitsch...
Mais, ne serait-ce pas...?
Absolument, je confirme.
C'est un bon gros flop.

A ne lire sous aucun prétexte.

Pour vous si...
  • Vous êtes un ennemi de la littérature. Félon, je vous traquerai et vous pourfendrai sans relâche!

Morceaux choisis

"J'aime lire aussi, et je n'ai pas encore pris le temps de voir les titres de ses bouquins. On connaît parfois mieux les gens en observant leur bibliothèque."

"Moi, je lui fabrique des bricolages avec des branches de bois, je trafique son vélo pour qu'il fasse des bruits rigolos quand elle roule, nous faisons la bagarre ensemble, je lui apprends mille choses du quotidien, mais je suis incapable de lui transmettre ces éléments de féminité." (début de la mélopée des remarques sexuées dont on se passerait bien, et qui laissent subodorer le pire - parce que, c'est bien connu, les filles jouent à la poupée et les garçons se bagarrent, pas d'alternative.)

"Valentine tombe amoureuse comme on tombe dans les pommes, ça prévient pas, elle n'est plus consciente de rien, et quand elle se réveille après une bonne paire de baffes, elle n'est pas bien pendant un moment avant de se remettre sur pied." (Contrairement au reste de l'humanité qui reçoit un courrier AR pour prévenir que l'amour est en chemin, et en cas d'échec, retrouve sa joie de vivre dès le lendemain. Donc, Valentine est trèèèès singulière.)

[attention scène de cul]
"Il fait chaud au fond d'elle. Chaud et humide." (Vous ne rêvez pas, ce cher Eric fait bien référence au vagin de cette chère Valentine, avec une originalité qui me scie les jambes. J'aimerais tellement, pour une fois, lire quelque chose comme "Il fait froid en elle. Froid et sec". Allons Agnès, on n'en est plus à un lieu commun près, n'est-ce pas?)

"J'échange quelques mots avec les parents de Charlotte, qui m'assurent que tout s'est passé à merveille et qu'Anna-Nina est adorable de gentillesse et de douceur." (Là aussi, merci du truisme. "Adorable de méchanceté et de vice", ça aurait eu plus de cachet tout de même).

"Juste la froideur d'un cœur de père qui part." (on est au climax poétique du bouquin, d'ailleurs Agnès est tellement fan de sa formule qu'elle la réemploie par la suite, au cas où on l'aurait manquée la première fois. Sympa.)

"Valentine! Tu files un mauvais coton. Ne t'attache pas à elle si tu ne veux rien savoir de lui. Ils sont comme la lune et le soleil, comme la locomotive et les wagons, comme le sable et la mer. L'un ne va pas sans l'autre." (Ouh la la, beaucoup trop d'audace dans ces comparaisons! Je propose pour compléter : la bite et le couteau, la saucisse et les lentilles, la fesse gauche et la fesse droite...)

"Comment, à son âge, peut-on comprendre un tel poème? Comment, si petite, peut-elle discerner la complexité des relations humaines?" (Humm... Peut-être parce qu'elle n'existe pas?...)

"Et en lui expliquant cela, je saisis enfin le lien entre ce qu'a vécu ma grand-mère et ce qui m'arrive. Cet épisode avec les nazis, alors qu'elle était enceinte, a donc inconsciemment imprimé aux générations suivantes de femmes qu'il est dangereux d'aimer un homme. Qu'on peut en mourir." (Alors là...Chapeau, je ne l'ai pas vu venir.... OO....D'ailleurs, tant qu'on y est, c'est aussi la faute des nazis si je suis célibataire et que j'aime pas le ski. Satanés nazis. Qui aurait cru qu'ils auraient un impact sur l'instabilité sentimentale et émotionnelle des jeunes gens du XXIe siècle.) (Le pire, c'est que ce dindon de Valentine, au lieu d'avoir honte de sa grotesque trouvaille, va aller jusqu'à la raconter à ce cher Eric par lettres interposées. Et Eric ne va pas fuir, non non, ça va le faire revenir. J'ai des spasmes de rage qui n'ont rien à envier à ceux des épileptiques.)

Note finale
1/5
(flop flop flop)

mercredi 15 juin 2016

Hotaru, Aki Shimazaki

Hotaru est le dernier volet de l'excellente saga d'Aki Shimazaki, Le poids des secrets.
L'heure des comptes a sonné!


L'excellent thé BB Detox de Kusmi Tea est une pure merveille

Le synopsis

Alors que sa grand-mère Mariko vieillit, sa petite-fille Tsubaki recueille ses confidences sur certains secrets de sa vie, qu'elle n'a jamais révélés à quiconque.

Mon avis

Avec Hotaru, nous revenons sur l'épisode central de la saga, le meurtre de monsieur Horibe le jour du bombardement de Nagasaki, et, en amont, la liaison qu'il a entretenu avec Mariko et qui a conduit à cette situation.

C'est, en quelque sorte, l'histoire revisitée une fois que les principaux protagonistes aient pu en donner leur version.
Il n'y est donc plus question des éléments que l'on a pu glaner au fil de l'eau et très privés sur chacun d'eux, comme les origines coréennes de Mariko ou la découverte faite par Kenji Takahashi à la fin de sa vie.
On a eu le temps de s'attacher à Mariko, à Kenji qui a toujours été un homme patient et aimant, pour elle comme pour Yukio, à Yukiko également.

Plus encore que les précédents volumes, Hotaru met l'accent sur la personnalité manipulatrice de monsieur Horibe, vu comme un père exemplaire par Yukiko avant qu'elle ne découvre sa liaison avec Mariko, et dont on avait pressenti la duplicité.
Un dernier volume de son point de vue aurait pu être tout à fait intéressant!

On voit défiler les références faites aux précédents tomes, depuis les tendres fleurs wasurenagusa jusqu'aux coquillages dont il faut retrouver les paires, hamaguri.

Toujours la même langue claire, la même poésie pudique. Cette saga est décidément envoûtante ; prenez garde à ne pas passer à côté. 

Pour vous si...
  • Vous voulez connaître le fin mot de l'histoire

Morceaux choisis

"Dans l'obscurité clignotent les lucioles. J'e ai attrapé deux tout à l'heure en traversant le jardin. Je les garde dans mon petit aquarium, resté vide depuis l'année passée. Elles rampent lentement sur des feuilles de fougère. L'une suit l'autre comme un couple."

"Tsubaki, voici l'histoire d'une luciole tombée dans l'eau sucrée. Merci de l'avoir écoutée jusqu'à la fin."

Note finale
4/5
(excellente saga)

mardi 14 juin 2016

Ceux qui restent, Marie Laberge

Le prochain roman de la sélection du Grand Prix des Lectrices de Elle qui m'a été soumis m'a immédiatement plu, grâce à sa couverture ocre/bleu (meilleur mariage au monde, si vous voulez mon avis).
Ce que je n'avais pas anticipé, c'était le parler québécois.



Le synopsis

Sylvain n'a pas trente ans lorsqu'il se suicide.
Autour de lui, son entourage prend la parole à tour de rôle, et raconte ce qu'est la vie après, jusqu'à quinze ans après sa disparition.
Les voix se mêlent de Vincent, son père, Mélanie-Lyne, celle qui était sa compagne, et Charlène, la barmaid avec laquelle il avait une liaison. Il y a encore sa mère Muguette, sa grand-mère Blanche, et son fils Stéphane, qui gravitent autour, et tâchent eux aussi de surmonter l'insoutenable.
A leur manière, ils portent tous durablement les séquelles du choix de Sylvain.

Mon avis

Je suis tombée en amour avec le roman de Marie Laberge.

Avant même de connaître tous les protagonistes, le lecteur y découvre cette langue à la fois familière et étrangère, qui distrait d'abord, ce sont les codes renversés, les mots qui jouent et sont réinventés, un univers qui s'ouvre. N'ayant lu que très peu de romans en français québécois (il y avait quand même eu le plaisant L'homme idéal existe. Il est Québécois), j'ai été naturellement désarçonnée, puis aguichée par cette particularité.

Une fois cet aspect intégré, on se plonge dans le monde dévasté de Sylvain, où se succèdent les proches désemparés, réagissant chacun à leur manière à son suicide, révélant d'ores et déjà la palette de leurs singularités.
Mais cette palette s'enrichit surtout au fil du temps, car la grande force du roman, à mon sens, est de ne pas s'attacher aux quelques jours ou mois qui suivent la disparition de Sylvain, mais de prendre plus de recul, d'étudier les contrecoups qui s'inscrivent dans la durée qui se compte cette fois en années.
Quinze ans plus tard, chacun porte encore les stigmates, les cicatrices du traumatisme.

Muguette ne se remettra jamais vraiment de la perte de son fils ; Vincent, plus philosophe et tourné vers les autres, trouvera dans le soutien qu'il offre son absolution.
Mélanie-Lyne, quant à elle, entretenait une relation distendue avec Sylvain, ne lui demandant aucun compte, et se montre peu à peu extrêmement possessive avec leur fils Stéphane, lui réclamant toute l'attention qu'il pourrait donner, déplorant qu'il s'éloigne graduellement, fuyant cette mère affectivement dépendante, et émotionnellement instable.
Charlène est sans doute celle qui garde le cap, la seule qui continue à s'adresser à Sylvain au fil des ans, lui jetant à la face sa colère d'abord, ses questions, puis ses pensées, tandis que le temps l'apaise.
La façon dont les protagonistes se croisent et se lient est touchante, et ne manque pas de réalisme tant elle peut sembler improbable (j'assume complètement la dimension contre-intuitive de cette dernière phrase), car ceux qui se retrouvent ne sont pas ceux entre lesquels on aurait pu imaginer, de prime abord, la moindre affinité.

Le roman est dense, et reflète merveilleusement les impondérables de la vie, la façon dont il peut se créer des choses précieuses à partir de contacts que l'on n'avait pas même imaginés, à l'instar de ce qui prend forme entre Charlène, Vincent et Stéphane. La relation que chacun entretenait avec un amant, un fils et un père, ne peut être remplacée, mais c'est la perte qui occasionne, parfois même à son insu, un lien qui devient indéfectible.

Par ailleurs, j'ai trouvé que l'auteur évitait soigneusement de verser dans les lieux communs que l'on pourrait attendre - et redouter - à partir d'un tel sujet : le motif du suicide n'est pas éclairci, ce n'est pas l'objet, et c'est aussi terriblement réaliste. L'apaisement ne vient pas d'une explication rationnelle, parce que le suicide ne découle pas d'un motif rationnel. De même, le rapprochement entre Charlène et Vincent d'une part, et Charlène et Stéphane d'autre part, ne se traduit pas en romance charnelle, car si la littérature et les histoires nous habituent à croire que c'est là la seule issue acceptable, la seule fin heureuse, ce n'est rien d'autre en somme qu'un schéma réconfortant dont on se plait à se convaincre que l'on obtiendra le bonheur comme on obtient un crédit immobilier si tant est que l'on puisse réunir les ingrédients répertoriés sur la liste de courses.
Ainsi, l'auteur parvient avec talent et finesse à montrer que la clef n'est pas dans ce genre de dénouement, que l'amour peut prendre d'autres formes, et qu'il n'en a pas moins de valeur.

Ceux qui restent est un roman d'une grande richesse, tant dans la peinture des personnalités et leur intensité psychologique, que dans les enseignements qu'il véhicule, sans que jamais le ton ne soit moralisateur ou didactique. Selon moi, l'une des révélations du Grand Prix des Lectrices.


Pour vous si...
  • Hostie ça vous crisse ben, et pis ça vous achale pas.

Morceaux choisis

"Plus rien, jamais, n'a été pareil.
Ma vie a été tranchée en deux - il y a avant et après la mort de Sylvain. Avant et après le 26 avril 2000.
Parfois, j'ai l'impression qu'un sabre puissant a fendu mon corps en deux. Chaque partie palpite, mais aucune n'est vraiment vivante."

"A la limite, en profitant du soutien de sa fille, Julie-Lune prouve que les enseignements philosophiques n'ont eu aucune influence sur la pauvre fille et que rien ne saurait la faire évoluer. Elle est une cause désespérée et ne contient rien, comme le pain blanc tranché."

"_Y a rien dit? Rien laissé?
_Rien.
_Hostie d'épais!"


Note finale
5/5
(coup de cœur)