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jeudi 29 décembre 2016

Tropique de la violence, Natacha Appanah

Mais quelle photo magnifique, un montage technique de toute beauté, c'est du grand art. 
Mesdames et messieurs, sous vos yeux éblouis, Tropique de la violence, par Natacha Appanah.


Le synopsis

Sur l'île de Mayotte, Marie est infirmière. Son compagnon l'a quittée, et sa vie manque terriblement d'un enfant qui lui tombe du ciel lorsqu'une réfugiée lui confie son bébé, parce qu'il a un œil vert et un œil marron, signe irréfutable d'une malédiction.
Marie élève Moïse, et lui révèle ses origines à l'adolescence. Moïse s'éloigne de Marie, et rejoint bientôt Gaza, cette zone de non-droits où les laissés pour compte traînent et obéissent à Bruce, qui y règne en maître.
Moïse, comme d'autres, se plie à ses règles, jusqu'au jour où il rencontre Stéphane, un jeune travailleur humanitaire.

Mon avis

Souvenez-vous, je vous ai parlé de Natacha il y a un bon bout de temps... C'était l'une des premières chroniques abritées par le blog, snif, la nostalgie m'envahit...
Tropique de la violence a reçu un bon accueil depuis sa parution, et il est étonnant qu'il n'ait reçu aucun prix, tant sa qualité flirte avec celle des primés, voire la surpasse...

J'ai retrouvé, en lisant le roman, certains sentiments qu'avait provoqué la lecture de Blue Bay Palace : les émotions à fleur de peau, le cœur à vif, la réalité de la misère sur laquelle on ne pose habituellement pas les yeux.

Tropique de la violence porte si bien son nom : la violence affleure à chaque page, sous mille visages, elle existe pour Marie, abandonnée et confrontée à la solitude et à la stérilité, elle existe pour Stéphane, qui se heurte à une réalité largement occultée en métropole, et face à laquelle il est bien démuni, elle existe pour Bruce, dont l'autorité peut vaciller à chaque instant et qui règne par elle, elle existe pour Moïse, pour tous les réfugiés, les enfants abandonnés à eux-mêmes sur l'île, plus cruelle que ce que l'on soupçonne, plus multiple, plus inéluctable.

Le roman alterne les voix, celles de Marie, de Moïse, de Bruce et de Stéphane, et commence par dresser le tableau final pour reconstruire tout ce qui y a mené. Et cette construction exacerbe la dimension absolument tragique du récit : il y a, dans cet enchaînement, dans cet environnement brutal qui n'épargne personne, une fatalité. Moïse, Bruce, tous étaient condamnés d'avance, sans espoir d'absolution ou d'échappatoire.

Tropique de la violence est un roman d'extrêmes, où l'écriture intime et tendre sait dire les choses les plus crues, où le cadre du bidonville se superpose à la vision de l'île paradisiaque, où l'espoir le plus fou côtoie la plus grande détresse, où l'on est au bord du monde et où l'ailleurs est néanmoins inaccessible. Il n'est pas question de se complaire dans tout le malheur du monde réuni sur cette île, l'auteur est discrète et ne laisse poindre aucun jugement, en dépit de personnages qui bousculent jusqu'à notre compréhension du bien ou du mal. Elle va plus loin encore, et nous confronte à ce dont nous nous efforçons de nous détourner, et orchestre subtilement la prise de conscience à laquelle mène inévitablement la lecture de son roman.

C'est davantage que dérangeant ; en ce qui me concerne, il s'est agi d'un choc, d'un grand coup à la tête. Et j'espère que les séquelles seront durables, car je ne crois pas que l'on puisse quitter cette lecture pour passer à une autre comme si de rien n'était. Le trait majeur d'un grand roman, n'est-ce pas?

Pour vous si...
  • Vous êtes prêt à voir en face l'envers du décor
  • Vous ne jurez pas que par les prix littéraires, et êtes prêt à vous aventurer dans un roman qui, pour ma part, m'a emportée bien plus loin qu'aucun autre primé 2016

Morceaux choisis

"De là où je vous parle, ce pays ressemble à une poussière incandescente et je sais qu'il suffira d'un rien pour qu'il s'embrase."

"Il n'y a jamais rien qui change et j'ai parfois l'impression de vivre dans une dimension parallèle où ce qui se passe ici ne traverse jamais l'océan et n'atteint jamais personne. Nous sommes seuls. D'en haut et de loin, c'est vrai que ce n'est qu'une poussière ici mais cette poussière existe, elle est quelque chose."


Note finale
5/5
(coup de cœur)

lundi 26 décembre 2016

L'étrangère, Valérie Toranian

Le cycle de la Bibliothèque Orange auquel je prends part depuis presque un an touche presque à sa fin, je devrai bientôt me passer de ces lectures édifiantes qui me sortent de mes habitudes...
Avant cela, je goûte les derniers romans du circuit, et ai découvert L'étrangère, de Valérie Toranian. 


Le synopsis

La narratrice nous raconte l'histoire de sa grand-mère, Aravni, qui a survécu au génocide arménien en 1915, dans lequel elle a perdu ses parents et sa jeune sœur. En fuite jusqu'à Alep, puis Constantinople, puis Marseille, puis Paris, elle s'est mariée, est devenue une femme intransigeante, et une grand-mère impressionnante mais profondément affectueuse. 

Mon avis

Attention, roman coup de poing, sous ses allures douces et en dépit de sa couverture aux tons sépias faussement annonciateurs d'une romance à deux sous.

Il n'est pas ici question de chick lit ou de littérature sentimentale, non, on n'est loin du compte.

Dès les premiers mots, une écriture claire, fluide, nous happe et ne nous libère qu'à la toute fin du récit. Ce dernier alterne les passages relatant le parcours d'Aravni, et la relation nouée entre la narratrice, Valérie, et sa grand-mère, depuis son enfance jusqu'à l'âge adulte.

Bien entendu, les conditions de la fuite d'Aravni à l'heur du massacre des Arméniens frappent l'esprit, et éclairent sur ce pan d'histoire dont on entend parfois parler, sans prendre la pleine mesure des événements qui se sont alors déroulés, ni comprendre les enjeux de la reconnaissance de ce génocide, éminemment politiques, et qui ont conduit au refus adressé à ce peuple d'admettre ce dont il a été victime. L'auteur explique avec force et clarté l'impact psychologique de ce refus, le poids de ce passé dont l'existence est dénigrée. A cet égard, le récit, documenté et précis sans jamais verser dans le sordide gratuitement, est sans concessions, et très instructif.

L'équilibre est parfait, entre ces bouts d'Histoire et la trajectoire personnelle d'Aravni durant les décennies suivantes, le lien noué avec Valérie, la relation ambivalente de la petite fille à sa grand-mère au physique peu avenant, et aux élans d'amour très touchants. De même, certaines anecdotes font sourire, lorsque la narratrice met en scène sa grand-mère réfractaire aux familles nombreuses, démunie face à la prolifération d'enfants qui a toujours représenté pour elle une menace pour la mère en charge de la progéniture, et qui devra ensuite mener de front sa vie domestique et sa vie professionnelle, visant à nourrir toutes les bouches conçues.

L'étrangère est un roman multiple, à la fois un témoignage précieux, un livre engagé, intimiste, drôle, tragique, qui laisse son empreinte chez le lecteur, et a le mérite immense de sensibiliser à l'horreur vécue par les Arméniens il y a plus d'un siècle, et qu'aujourd'hui encore certains pays s'efforcent de passer sous silence (l'équivalent du négationnisme, en gros, donc tout à fait sympathique).
Une révélation pour moi, j'espère que ceux qui s'aventureront à le lire partageront mon engouement.

Pour vous si...
  • Vous n'avez jamais bien compris pourquoi la Turquie avait quelque chose à avoir avec les Arméniens. Pour être honnête, vous ne savez pas vraiment où c'est l'Arménie, sur une carte, d'ailleurs (encastrée entre l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l'Iran et la Turquie, me dit l'ami Google maps).
  • Vous conservez de très mauvais souvenirs du collège où des pestes vous tyrannisaient à cause de vos tenues démodées, et nourrissez depuis une frustration qui ne demande qu'à être exorcisée grâce à un épisode cathartique, où la beauté de vos jupes tricotées serait enfin reconnue et clamée à la face du monde. 

Morceaux choisis

"Mange, mon tout-petit, mange. Dans chaque bouchée que tu enfournes, il y a des tonnes d'amour que j'ai gardées au chaud entre mes deux gros seins, et je t'attache à moi par tes papilles, par ta salive, par ta langue, par ton petit ventre dodu d'enfant qui n'a jamais connu la faim, Dieu t'en préserve, et tous ces gâteaux, c'est ma revanche sur la vie, ou plutôt sur la mort. Et je t'attache à moi par le sucre et le sel, par ces épices douces-amères dont ta mère ignore même l'existence, et à chaque nouvelle bouchée je te fais mienne aussi sûrement que ta mère t'a faite sienne lorsqu'elle t'a sortie de ses entrailles en poussant un grand cri."

"Mais je vais rester stoïque. Je suis arménienne, et je suis issue de la même souche à malheurs que ma grand-mère et notre style, c'est de souffrir en silence. Chez nous, la joie est éphémère et le bonheur suspect. Rigolez, mes amies, ricanez, faites-vous les dents et les griffes. On a le cuir dur, on en a connu d'autres. On porte des jupes moches, on n'a pas de jean, on mange des tire-bouchons et il ne nous arrive que des choses dramatiques."

"Que le travail fût pour ma mère, au-delà d'une source de revenus, une source d'enrichissement, importait peu. Ma grand-mère avait la conviction que cumuler travail et enfants était une malédiction dans la vie des femmes.
Lorsqu'elle apprit que ma mère était enceinte pour la troisième fois, elle se tourna, furieuse, vers mon père :
_Mais tu ne peux pas faire attention? Il faut arrêter maintenant!
Mon père et ma mère en restèrent bouche bée."

"Je voudrais être juive parce que c'est comme être arménien avec la reconnaissance en plus.
Je voudrais être juive parce qu'on parle du génocide des Juifs dans les livres, dans les films et dans les débats des Dossiers de l'écran sur Antenne 2, et que c'est rassurant d'être une victime reconnue.
Le fait que les Turcs refusent jusqu'à aujourd'hui de reconnaître le génocide des Arméniens rend fou. Ce serait comme dire aux descendants des Juifs dans une Europe où les nazis auraient gagné la guerre: il ne s'est rien passé, c'était la guerre et ses dommages collatéraux et vous avez émigré pour aller faire fortune ailleurs."


Note finale
5/5
(coup de cœur)

vendredi 2 décembre 2016

Un paquebot dans les arbres, Valentine Goby

J'ai découvert Valentine Goby il y a quelques mois, grâce à la lecture de Kinderzimmer, un petit choc littéraire. Valentine récidive avec Un paquebot dans les arbres, sur un sujet éloigné de son précédent roman, et qui a reçu un très bon accueil auprès des lecteurs et de la critique. 


Le synopsis

Mathilde aurait dû être un garçon. Depuis sa naissance, elle est le ptit gars de son père Paulot, figure incontournable de La Roche, où il tient un bar avec Odile, sa femme. Alors que Mathilde fait les 400 coups dans l'espoir d'attiser l'intérêt de son père, Paulot est frappé par la tuberculose ; bientôt, Odile à son tour est touchée. Leur statut de commerçant fait de Paulot et Odile des oubliés de la Sécurité Sociale, si bien que les soins les ruinent, jusqu'à leur internement dans un sanatorium, tandis que les enfants sont envoyés dans des familles d'accueil, les poussant hors de l'enfance avant l'heure. 

Mon avis

Je suis près de penser qu'Un paquebot dans les arbres était le grand roman de la rentrée littéraire à ne pas manquer...

Il faut en général quelques pages (qui peuvent, chez Stendhal, aller jusqu'à une centaine!) pour "entrer dans un livre", comme on dit, et s'immerger dans ce petit monde dont on ne sait d'abord rien. Une gageure se présente aux écrivains actuels : il est impératif, et même vital, de séduire le lecteur sans délai, car si l'on clame à qui veut l'entendre que la lecture est le passe-temps favori des Français, il ne faut pas perdre de vue que le volume moyen lu, rapporté à la foule des possibilités de lectures, implique un choix drastique, et supporte mal un mauvais aiguillage (les sondages, dont je ne vous dis pas tout le bien que je pense, indiquent à la grosse que les Français lisent 14 livres par an - ce qui me semble beaucoup -, ou encore, que plus de la moitié d'entre eux lisent entre 1 et 9 livres par an - plus réaliste, je crois-.). Donc, je disais : l'écrivain contemporain tâche de plaire dès les premières pages, et même dès les premiers mots.
Ce qui se traduit quelquefois malencontreusement par une dérive vers le sensationnel, la provoc, tout ce qui peut aiguiser la curiosité du lecteur (à l'instar du premier chapitre de La fille de Brooklyn, qui était...naze et non avenu).
Ce qui m'a semblé remarquable, dans le roman de Valentine Goby, c'est la facilité avec laquelle je suis "tombée dans le roman", presque instantanément, ressentant d'emblée une empathie formidable pour Mathilde et les siens. Et pourtant, pas de sensationnel, pas de gros mots, pas d'excès aguicheur.

On fait donc connaissance avec Mathilde, et l'on sait d'elle avant toute chose ce lien indéfectible et paradoxal qui la lie à son père, son besoin instinctif de gagner l'attention, la tendresse du paternel, quitte pour cela à manquer de se rompre le coup, à prendre tous les risques.
La relation entre Mathilde et Paulot, si elle est au cœur du roman, n'est pourtant pas la seule : il y a cet amour fou qui unit Paulot et Odile, jusque dans l'indigence, et les amitiés passagères, décevantes, ou au contraire qui se révèlent robustes, dans un contexte passionnant, celui des années 1950, à la veille de la guerre d'Algérie et tandis que les revendications grondent.

Le regard de Mathilde se transforme peu à peu, au gré des pages et de ce qu'elle endure. Une sorte de ressentiment s'instaure à l'égard de sa grande sœur Annie, que les événements ont relativement épargnée ; à l'inverse, son dévouement pour son petit frère Jacques (lol, un enchaînement dont il ne faut point rire, l'heure n'est pas à la plaisanterie...) est exemplaire, et contribue à rendre Mathilde adulte avant l'heure.

Ce qui fait du roman de Valentine Goby un grand roman, ce pourrait être le style, ce pourrait être la richesse des caractères en présence, ils y participent d'ailleurs, sans le moindre doute. Pourtant, ce n'est pas ce qui m'a le plus profondément marquée. Non, ce qui m'a médusée, c'est le talent avec lequel l'auteur met en perspective une mutation sociale à travers la mise en place de la sécurité sociale au XXe siècle, et conduit le lecteur à prendre conscience de ce qu'il y avait là d'incertain, alors même que cela constitue pour nous une évidence absolue. Paulot et Odile, en 1950, sont laissés pour compte, ils ne sont pas salariés, et à ce titre, n'ont pas de protection sociale, et sont démunis face à la maladie qui les ronge. La sécurité sociale est cette providence que Mathilde va rechercher, ce qui aurait pu changer le cours de sa vie.

On assiste au combat de Paulot peu à peu perdu et pourtant acharné ("Je suis pas mort"), mis au regard de celui de l'OAS en Algérie (" L'OAS refuse l'inéluctable"), et le parallèle remue le lecteur, lui ferait monter les larmes aux yeux. Car pour tous, la possibilité d'une issue heureuse est refusée.

Le récit est profond, douloureux, léger aussi par moment, coloré, saisissant.
J'adhère, j'adore, je voudrais que tout le monde lise Un paquebot dans les arbres.

Pour vous si...
  • Vous voulez me faire plaisir (et en plus c'est vous qui me remercierez après).
  • Vous êtes un peu perdu parmi les romans de l'automne, et vous demandez sur lequel porter votre dévolu. Celui-ci sera un très bon choix.

Morceaux choisis

"Odile supporte toute encore : son homme faible, l'épicerie, la maison, elle travaille tout le jour sans ciller, patiente, tenue ; tout sauf l'alcool. Quand elle surprend Paulot en train de boire elle brise son verre. Mathilde l'a vue, depuis le fond u bar où elle fait ses devoirs. Paulot ne dit rien. Baisse les yeux sur les bris transparents. Puis il se verse une limonade. L'image fend le cœur, Paulot devant la limonade, regardant le verre comme Mathilde fixe le blanc de son cahier en classe après qu'elle a reçu une mauvaise note. La page de cahier, le liquide jaune pâle, y caser toute la honte. S'enfoncer dans le jaune, dans le blanc, échapper aux regards, ne pas voir pour ne pas être vu, un stratagème de gosse."

"_Tu as entendu parler de Sékou Touré?
_Non.
_Le président de Guinée.
La Guinée. En AOF, elle croit se rappeler.
_Il y a trois ans il a refusé que son pays reste dans l'Union française et a demandé l'indépendance. On l'a pris pour un fou, on lui a dit que les conséquences économiques seraient terribles pour son pays. Il a répondu : mieux vaut la liberté dans la pauvreté que la richesse dans l'esclavage.
Est-ce qu'on peut être libre sans argent? Mathilde le sait, la pauvreté est une prison. N'empêche ; elle a voulu son émancipation, préférant la misère aux tyrannies de la veuve et de l'assistante sociale."

"On pourrait rire, vu de 2012, de cette joie intense qui saisit Mathilde à l'instant où elle déplie la fiche de paie, lisant et relisant ces deux chiffres à virgule qui changent toute sa vie, tandis que les mains de son père pèlent à cause des antibiotiques et que de grosses cavernes s'ouvrent dans son poumon. C'est le plus beau jour, c'est certain. Plus tard d'autres joies viendront en concurrence mais aucune n'altérera, rétrospectivement, l'intensité du jour radieux de la première cotisation à la Sécurité sociale: elle tient à distance les spectres de la mort et de la dépendance. Et tu feras quoi avec ta première paie, hein? S'ils savaient. Ce sera magnifique : elle ira chez le dentiste."

Note finale
5/5
(coup de cœur)

jeudi 3 novembre 2016

L'autre qu'on adorait, Catherine Cusset

Le dernier roman de Catherine Cusset, L'autre qu'on adorait, vient de se hisser parmi les finalistes du prix Goncourt qui, à l'heure où j'écris, n'a pas encore été attribué.
Il est toujours extrêmement intéressant de suivre les différentes sélections, et de voir comment évolue l'esprit du Goncourt, notamment en fonction des membres qui en composent le Jury. A noter, cette année, l'arrivée de deux nouveaux membres, Virginie Despentes et Eric-Emmanuel Schmitt...


Le synopsis

Catherine raconte Thomas, fait défiler l'histoire, la leur, éphémère, mais la sienne surtout, celle d'un étudiant brillant et ambitieux, parti à la conquête de l'Amérique. Au fil des ans, les expériences et les obstacles s'amoncellent, qui le mettent à rude épreuve : avec les femmes, bien sûr, mais aussi dans son parcours académique et professionnel. A l'enthousiasme effréné succède de plus en plus souvent la déception cuisante, l'anéantissement des espoirs, les échecs qui l'accablent. Il se débat pourtant, sombre dans la dépression et relève la tête, cherche une issue qui lui permettrait de garder la tête haute.
A 39 ans, Thomas s'est suicidé. 

Mon avis

Il y a beaucoup à dire, au sujet de ce roman où perce la fulgurance de la vie de Thomas, sa force vive et la noirceur qui s'ancre et se répand peu à peu, au fil des ans.

J'ai ressenti, il est vrai, une certaine appréhension : le style me semblait spécieux, l'emploi du "tu" un peu bling-bling, d'une certaine façon, et je doutais qu'il puisse être prolongé sur l'ensemble du récit sans provoquer un agacement. Et bien ce n'était là que présomptions, puisqu'en réalité, on se fait vite à cette forme inusuelle, Thomas devient un personnage multiple, celui qui est raconté, et celui auquel on raconte, un peu de nous, puisque nous lisons ce roman qui ne se cache pas de lui être destiné, et qui s'adresse à lui, nous constituant soit en voyeur, soit en alter ego.

Finalement, il permet même davantage qu'un récit classique, puisqu'il a le mérite de restituer la connivence entre Thomas et Catherine, depuis ses origines et jusqu'à la toute fin, avec ses hauts et ses bas, cette connivence dont on croit qu'elle nous met à l'abri d'un drame, alors qu'il n'en est rien, puisque la perspective du suicide n'est jamais vraiment tangible, et que sa réalisation est foudroyante, met à mal les liens noués entre le suicidé et son entourage qui reste abasourdi, quand bien même les signaux étaient là.

Ainsi, dans cette apostrophe directe, Catherine s'épargne la complaisance, elle instaure une forme proche du dialogue (où, vous l'aurez compris, il n'y a réellement qu'une voix, mais celle de Thomas semble parfois répondre en écho depuis les souvenirs de Catherine, lui remettre des messages qui résonnent encore en elle quand elle écrit) qui n'admet pas de s'en tenir aux convenances d'usage, où les masques tombent : il lui arrive d'être dure envers Thomas, envers elle aussi d'ailleurs, elle traque les faux-semblants et a à cœur de détecter les mouvements d'humeur, les états d'âme.
A cet égard, elle dépeint avec une précision frappante les différents états que connaît Thomas lorsqu'une éclaircie se distingue, et avant que l'espoir ne retombe, au profit d'un nouvel échec. La situation se répète plusieurs fois, depuis son échec à deux reprises à l'ENS, puis lorsqu'il brigue un poste à Princeton notamment.

Car, à travers l'histoire de Thomas, c'est le monde universitaire et ses arcanes dans lequel le lecteur est plongé, qui nous étouffe, nourrit le sentiment qu'il s'agit d'un petit monde à l'accès très élitiste, qui a tôt fait d'exclure. Face aux vaines tentatives de Thomas, il serait tentant de vouloir souhaiter qu'il s'en détourne, qu'il aille rencontrer la vie ailleurs, qu'il tourne le dos à ce microcosme qui le rejette autant de fois que lui se courbe pour y entrer. Les échecs qui l'accablent paraissent, somme toute, tout relatifs, et s'il n'était pas question des difficultés financières qui les accompagnent, on pourrait ne voir là qu'un snobisme étrange, dans la mesure où Thomas prise des sésames proprement inaccessibles à la grande majorité de ses pairs (et par pairs, j'entends les gens de son âge, non uniquement ceux qui ont fait deux khâgne). Difficile, par moment, de ne pas voir dans ce milieu une extrême vanité, une condescendance presque incompréhensible ; pourtant, à travers l'acharnement de Thomas, ce même milieu demeure l'objet de la convoitise, le seul capable de consacrer ses efforts et de conférer à son parcours à la fois du sens et du prestige. Les alternatives qu'il entrevoit grâce à des connaissances de passage ne sont que brèves, il a tôt fait de les rejeter en bloc, car il est fait, cela va sans dire, pour une vie de lettres, de copies à corriger, d'inspiration à créer, le reste ne trouve jamais grâce à ses yeux, et lui voit ce reste comme inabordable. Plus les années passent, plus l'étau se referme, les références sont nombreuses à ces moments charnières, à l'image qui serait la sienne s'il renonçait, s'il rentrait en France, et alors sans cesse celui qu'il est se compare à celui qu'il projetait d'être à vingt ans ; c'est sous le poids de ses illusions d'antan que ploie Thomas, lui dont l'appétit était insatiable, il ne peut se résoudre à la trajectoire plus chaotique que ce qu'il ne projetait qui a été la sienne, il ne montre envers lui-même pas la moindre indulgence.

En amour, il est le même homme qui déborde d'espoir, d'attentes, de chimères, et se lance à corps perdu dans une histoire lorsqu'elle se présente à lui, alors le spectre de l'Amour l'envoûte et il s'y consacre sans demi-mesure, bientôt déçu par le tour que prennent ses aventures invariablement.

L'histoire de Thomas est douloureuse, le lecteur assiste au lent désenchantement, à la vie qui le brise petit à petit, méthodiquement. On pressent puis l'on constate les symptômes insidieux de la dépression, l'alternance entre le désespoir et les regains de confiance, l'énergie que Thomas déploie pour lui échapper avant que de sombrer plus profondément.

On peut ne voir dans L'autre qu'on adorait que le parcours d'un jeune homme idéaliste et un peu trop ambitieux, qui refuse de se départir de ses rêves à temps, qui, en quelques mots, manque d'ancrage dans la réalité et n'a guère les pieds sur terre, certain qu'il est que seule une réussite académique pourra lui apporter la reconnaissance et le bonheur après lesquels il court.
Il me semble néanmoins que Thomas peut incarner davantage, cet appétit humain sans bornes et sans cesse rabroué, cette faculté à croire que le mieux peut advenir, jusqu'à l'acte final.
La prose de Catherine Cusset retranscrit tout cela avec fougue, nous essouffle, nous déborde, jusqu'à se confronter à ce qu'elle tâche de conjurer au moyen d'un roman, ces quelques mots d'un autre temps que Thomas lui avait opposés : "Tu sais, Catherine, les gens ont quand même une vie intérieure".


Pour vous si...
  • Vous avez la plus tendre compassion pour les personnages brisés aux allures de Don Quichotte
  • Vous vous demandez à quoi ressemble le quotidien d'un universitaire

Morceaux choisis

"Echoue-t-on quand le désir est trop fort?"

"Elle aime le jazz autant que toi : sa préférence va à John Coltrane, Cannonball Adderley, Sarah Vaughan, tandis qu'elle connaît mal Keith Jarrett et Nina Simone, tes dieux. Vous vous rejoignez dans l'adoration de Miles Davis et Billie Holiday."

"Cette année tu as suivi le cours d'un grand professeur français sur Baudelaire, et tu t'es rappelé ton unique amour : la littérature. Gagner de l'argent n'est pas une motivation suffisante : tu veux la liberté de lire, de penser et d'écrire. L'Amérique a cela de merveilleux qu'il n'est jamais trop tard pour changer de voie."


Note finale
5/5
(coup de cœur)

mardi 20 septembre 2016

Bellevue, Claire Berest

Son intervention dans la Grande Librairie en avril, face à un François Busnel troublé par la crudité de certains passages de son roman Bellevue, m'avait rendue Claire Berest sympathique et intriguante. Elle avait eu une phrase qui s'est depuis incrustée dans mon esprit, "Le couple, c'est sublime", alors même que son récit racontait une femme qui se détournait d'une relation solide pour expérimenter, sans la préméditer, une passion charnelle avec un quasi-inconnu.
Le roman m'est enfin tombé dans les mains ; l'occasion d'assouvir une curiosité attisée il y a plus de six mois. Vous ai-je déjà dit combien j'étais patiente?



Le synopsis

Le jour de ses trente ans, Alma rencontre Thomas B., un jeune auteur en vue qui lui propose d'écrire un titre pour une nouvelle collection dont il vient de prendre la direction.
Ce jour-là n'est pas comme les autres. Quelque chose se dérègle, conduit Alma à tourner le dos à son quotidien propret et rangé, à briser ses réserves et ses principes, et à assouvir des pulsions qu'elle ignorait elle-même.
Durant deux jours, elle se laisse porter par une folie inconnue, déambule, erre dans les rues de Paris, franchissant un à un les points de non retour balisés dans sa vie, bravant les interdits qu'elle croyait inviolables.

Mon avis

Je ne saurais parler de Bellevue avec objectivité.
De même que certains romans ne vous parlent pas, certains vous parlent au-delà de l'explicable, et créent avec vous un lien intangible et néanmoins puissant.

Le personnage d'Alma m'a bouleversée, dans sa chute vertigineuse, mais peut-on parler de chute? L'auteur interroge à travers ses symptômes ce qui tient de l'ordinaire, la rupture un beau jour déclenchée et révélée au grand jour, sans que l'on ne sache dire pourquoi cette folie-là, pourquoi Alma plutôt qu'une autre.

Le roman se présente comme une restitution, celle que tâche de conduire Alma, après s'être réveillée dans un hôpital psychiatrique, lorsque l'heure vient de comprendre ce qu'elle fait, ce qui l'y a menée, et qu'il est alors inévitable de se confronter aux deux journées écoulées.

Ce qu'elle dissèque, qu'elle observe comme autant de faits qui n'auraient pas relevé de son propre chef, agissent comme un abîme vers lequel on est irrémédiablement attiré, une tentation, un vide au goût sucré, par lequel on pourrait se laisser aspirer par inadvertance. Il y a, dans l'errance d'Alma, nombre de non-dits, de tabous, de limites que l'on pose soi-même dans son périmètre personnel, si bien que l'on en vient à interroger ses propres certitudes et sa propre intransigeance. La folie a cela de fulgurant qu'elle peut s'apparenter, plus que toute autre chose, à une étrange lucidité.

Ainsi, le récit est à la fois sombre et lumineux. Sombre, dans cette fragilité saillante qui l'emporte sur Alma, dans cette perte d'elle-même qu'elle explore sans retenue et sans façons. Lumineux, de par l'écriture qui le porte, les vérités qui jaillissent comme autant de crises de conscience qui saisissent Alma à mesure que les souvenirs reviennent, que l'introspection progresse.

Bellevue a donc été un roman important, qui m'a ébranlée et m'a dérangée, dans ce qu'il a interpellée en moi, ces évidences qu'il m'a fait questionner.
Après tout, j'ai trente ans dans six mois.


Pour vous si...
  • Vous êtes à l'affût d'une épiphanie, et s'il se trouve que nous avons des affinités littéraires

Morceaux choisis

"J'ai éprouvé une intense attirance pour Thomas B., mais en même temps une colère. Une colère euphorisante et terrible, comme je n'en avais jamais ressenti de ma vie. Tout cela : la matinée étrange de mon anniversaire où je regardais mon monde familier avec une curiosité inédite mêlée de dégoût, rencontrer l'écrivain à succès, mes sentiments contradictoires à son égard, je me le remémore assez nettement. C'est après que tout se complique."

"Et moi, je ne suis pas vraiment un auteur. J'ai écrit un livre comme on tombe d'une chaise, en se faisant mal et sans réfléchir."

"Il me fait penser à un de ces pianistes de génie, qui ne vivent plus au monde à force de ressasser leurs averses de notes, leur musique intérieure recouvrant le bruit du dehors."

"Son livre l'avait surpris, elle y adoptait un point de vue curieux pour parler du monde, entre une poésie désuète de dentellière et une violence crue."

"Mais je sais aussi qu'un parfum s'épanouit au contact de la peau qui le porte, qu'il s'ajuste à l'homme. Thomas B. ne sentait en rien comme Paul.
Thomas B. sent l'exil."

"_Tu as raison. Il n'y a jamais un seul fautif quand les couples se désagrègent. Et pourtant, en me coupant, j'ai l'impression de te punir, et ça me réjouit.
_Tu es terrifiante.
_Non, ce qui est terrifiant, c'est que tu n'aies jamais pris la peine de descendre la poubelle durant toute notre vie commune."

"L'amitié prend l'autre en charge dans son absolue et sordide entièreté, comme les mères, elle prend en charge le quotidien et l'exceptionnel au coude à coude sans autre transition qu'une reprise de souffle, les amis sont prêts à tout traiter, la vie, la mort, c'est d'accord. Le véritable ami que l'on rencontre ressemble à une déflagration."

"Ces deux alexandrins me tiennent encore du côté du monde des vivants, du côté où la fenêtre reste close, je songe à ces milliers de données qui construisent ma mémoire : vêtu de probité candide et de lin blanc, ma seule étoile est morte et mon luth constellé, longtemps je me suis couché de bonne heure, aujourd'hui maman est morte, la condition humaine est le premier ouvrage de la collection Folio classique, Aurélien d'Aragon lui aussi obsédé par un vers de Racine, Bérénice, Impression soleil levant donne l'impressionnisme, Mme de Warens, Fabrice, chevalier Des Grieux, qui sont ces serpents dans Andromaque, si une légende est plus belle que l'histoire, écrivez la légende, les missions de fils qui tissent, qui m'irriguent, comme l'aigle de Meaux."

"La nuit, je ne dors pas, je somnole, j'écoute les Nocturnes de Chopin. Ça me brise le cœur, mais je ne peux pas pleurer à cause des médicaments, alors je pleure abstraitement."

"Il y a des hommes que l'on rencontre pour se désennuyer, dont on accepte la compagnie pour l'assaut. Et il y a la personne qui devient un événement. On ne peut pas être à la hauteur, ni agir d'une manière spécifique. Il faut être. C'est tout."


Note finale
5/5
(coup de cœur)

lundi 15 août 2016

Le grand marin, Catherine Poulain

Il y a longtemps que j'avais envie de lire le premier roman de Catherine Poulain. Encensé par la critique, vanté par les lecteurs, son synopsis était aguicheur, et peu de temps après la lecture du marin de Gilbraltar de Duras, il faut croire que j'étais prête à repartir en mer.

La mer, oui, mais dans mon canap.

Le synopsis

Lili quitte la France et rejoint l'Alaska dans le but de pêcher.
Elle n'y connaît personne et n'a pas de ressources, seulement ce besoin irrépressible de partir en mer. Elle embarque bientôt à bord du Rebel pour faire la saison de la morue noire. Elle y fait la rencontre de marins expérimentés, doit faire ses preuves, s'accroche envers et contre tout à sa place en s'acharnant à se montrer aussi résistante et endurante qu'eux.
Plus tard, elle ira à Point Barrow.
Mais en attendant, rien d'autre ne compte que la pêche.
C'est à bord qu'elle fait la connaissance du Grand Marin. 

Mon avis

Le roman de Catherine Poulain est un trésor à ne manquer sous aucun prétexte.

Principalement pour son sujet : une femme dont on ignore l'histoire, veut à tout prix partir en mer, pêcher en Alaska, et qu'aucun traitement de faveur ne lui soit réservé.
C'est un sujet incongru, étonnant, qui dénote dans le paysage des romans actuels.

La première partie, consacrée à la saison de morue noire, m'a fait l'effet d'un ovni (ou d'une gifle, au choix) : il y est question du quotidien en mer, sans fard ni détours, des conditions et de la promiscuité, des blessures, des menaces, de tout ce qui rythme les jours des marins. Le personnage de Lili se révèle peu à peu, au compte-gouttes : d'elle, on ne saura véritablement que sa volonté d'embarquer à bord du Rebel, pour aller pêcher.
On sait ensuite ses efforts pour dissimuler ses faiblesses, ses échecs et ses victoires, sa fierté quelquefois, les obstacles auxquels elle se heurte pour parvenir à se faire accepter par les hommes bourrus qu'elle côtoie sans discontinuité, et qu'elle admire profondément.
Et, graduellement, on se prend au jeu, les lignes et les pages nous brûlent, on partage avec l'équipage l'adrénaline, la concentration, les émotions puissantes qui déferlent, car c'est la vie brute et pure qui se joue à chaque instant.

Les parties qui suivent voient se nouer la relation entre Lili et le grand marin, et sa force tient sans doute à ce qu'elle n'a rien d'entendu, ou de convenu : c'est le corps à corps, les divergences irréconciliables, le manque, l'irrépressible nécessité, cet équilibre fragile à la fois universel et rare, précieux.

La même franchise et la même tension vers l'absolu se déclinent dans leur histoire que celles qui caractérisaient la saison de pêche. A l'instar des personnages que croise Lili, le grand marin est de ceux qui brûlent la chandelle par les deux bouts, il ressemblerait en cela à un personnage de Kerouac: l'intensité de la pêche se retrouve dans son goût immodéré pour l'alcool et l'amour, rien n'est réserve ou patience, rien n'est tempérance, les hommes se consument sans chercher à se préserver, leur vie est cette matière brute entre leurs mains qu'ils pétrissent insatiablement, démesurément, jusqu'à ce qu'il n'en reste rien.

Le style de l'auteur est singulier, les tournures de phrase ne sont pas communes, j'ai eu le sentiment à la lecture de rencontrer une voix plutôt que d'avoir à faire à une écriture neutre comme on en lit beaucoup, notamment lorsque l'écriture est un moyen pour véhiculer une histoire, sans que ne lui soit attribuée une portée particulière.

Le grand marin est un roman extrême, qui se détache de ce que l'on connaît car il ne repose pas sur une trame classique, et ce n'est pas l'issue qui compte : c'est l'expérience de lecture qu'il nous propose, authentique et résonnante. 

Pour vous si...
  • Vous êtes passionné par les romans qui racontent la confrontation de l'homme et de la nature : ceux de Jon Krakauer, de David Vann, TC Boyle, Jim Harrison...
  • Vous êtes en manque de personnages atypiques
  • Vous vous intéressez à la pêche au flétan

Morceaux choisis

"Il me montre les cicatrices blanches de ses doigts noueux. Il me raconte les hameçons plantés, coups de couteau, blessures de pêche et de mer. Je regarde ces mains qui lui font si mal qu'elles le réveillent la nuit. Je ne suis pas fière de moi, petite femme maigre échappée d'un bourg poussiéreux et lointain. Je cache ma main dans une manche sale. Pour être digne de rester à bord près de Jude, je ne me plaindrai jamais. Pour son respect plutôt mourir."

"Je baisse la tête, je regagne la couchette. La mer me berce. J'ai tout perdu. Loin du bateau et de la chaleur des hommes je vais me retrouver bête orpheline, feuille au vent dans l'insupportable froid du dehors. J'entends les hommes sur le pont. Je ne les ai pas encore perdus. Je songe à me cacher... Cela ne changerait rien, on ne me veut plus à bord. On ne garde pas une incapable qui crèverait dans un placard. Mais peut-être vais-je mourir avant. Si la ligne atteint le cœur avant qu'ils terminent de virer les palangres."

"Ma couchette. Je m'allonge, le dos tourné au reste du bateau. Je me recroqueville. Je suis une tueuse comme les autres, j'ai éventré mon premier flétan. J'ai même mangé son cœur encore vivant. C'est moi qui tue à présent. Le sel me brûle le visage, le sang a durci mes cheveux, collé mes mèches entre elles. Je m'endors sous mon casque baroque, le feu aux joues, au coin de mes lèvres un peu de sang séché."

"J'suis pas une fille qui court après les hommes, c'est ça que je veux dire, les hommes je m'en fous, mais il faut me laisser libre autrement je m'en vais... De toute façon je m'en vais toujours. Je peux pas m'en empêcher. Ça me rend folle quand on m'oblige à rester, dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Je suis pas vivable. Etre une petite femelle c'est pas pour moi. Je veux qu'on me laisse courir."

"Ils ne sont pas venus chercher la mort, enfin, pas forcément. Nature is the best nurse. Ce qu'ils ont retrouvé ici, en pêchant, le désir de vivre, brutal, le vrai combat avec la nature vraie... rien ni personne n'aurait pu le leur rendre. Nulle part ailleurs sans doute."


Note finale
5/5
(coup de cœur)

jeudi 7 juillet 2016

En attendant Bojangles, Olivier Bourdeaut

Après des mois d'attente, l'exemplaire d'En attendant Bojangles réservé à la bibliothèque m'est enfin parvenu. Je ne vous dis pas dans quel état de grâce extatique je l'ai récupéré. 
Pour le contexte, le roman a donc reçu un accueil dithyrambique tant des critiques que des lecteurs, alors même qu'il est publié par une petite maison d'édition et qu'il s'agit d'un premier roman (presque l'équivalent français de City on Fire, probablement sans les deux millions, cela dit avec près de 100 000 livres vendus, l'auteur doit commencer à se faire inviter à dîner par son banquier). 
Alors, Bojangles, chef d'oeuvre ou feu de paille? 
L'heure du (de mon) verdict a sonné! 

Bojangles et le thé glacé Dammann Frères à la pêche. Le paradis. 

Le synopsis

L'histoire est celle d'une famille peu commune, qui vit au rythme d'un disque de Nina Simone, des cocktails et des invités qui virevoltent tout au long de la nuit, des samedi après-midi passés à jouer aux dames avec des coussins sur les carreaux noirs et blancs au sol de l'appartement, des escapades au paradis, ce château en Espagne où il fait bon vivre et où le temps s'arrête.
Dans cette famille, il y a le père, Georges, supposé amant de Joséphine Baker et soldat prussien, aux moustaches généreuses et qui fait des mensonges à l'envers, à l'endroit, on ne sait plus vraiment.
Il y a la mère, qui porte chaque jour un prénom différent que son mari choisit, qui déteste l'idée de travailler, le contrôleur des impôts, et n'aime que Bojangles et danser.
Il y a le fils, qui rivalise d'imagination pour s'amuser en compagnie de ses parents, conserve dans sa chambre les trois lits qu'il a occupés dans sa vie, trop peu résolu à se détacher de ceux où il ne rentre plus, et qui raconte en rentrant de l'école des aventures qu'il invente joyeusement.
Et il y a Mademoiselle Superfétatoire, un oiseau exotique avec des manies bien ancrées.
Tous nagent dans un bonheur insouciant, jusqu'au jour où la mère déborde, commet un acte qui lève le voile sur une réalité plus morose que cette vie d'apparence originale et heureuse.

Mon avis

Le roman d'Olivier Bourdeaut, sous ses airs fantasques et légers, est avant tout éminemment tragique.
C'est ce paradoxe qui fait, à mon sens, tout l'intérêt du roman.

Car si les excentricités de la famille du narrateur charment, amusent, et font franchement rire, en arrière plan résonnent, comme l'air de Mister Bojangles, quelques notes étranges, annonciatrices de la noirceur qui grandit et que l'on redoute à mesure que l'on voudrait se convaincre que la folie douce dans laquelle vit la famille n'a rien d'amer.

La peinture des soirées et des nuits m'a fait penser à l'excès retranscrit dans Féroces de Goolrick, j'y ai retrouvé la démesure, l'alcool coulant à flot, la volonté de maintenir debout un monde s'affranchissant de la réalité, quitte à s'aveugler pour en préserver l'illusion.

Le lecteur oscille ainsi, évolue sur un fil et s'interroge sur la part de liberté possible et la part d'insanité dans cette existence bohème et désinvolte.

Car qui ne rêve pas d'une vie ainsi passée à danser et à inventer son nom, ses envies, le monde autour? On voudrait croire que l'on n'a devant les yeux que l'histoire d'un couple heureux, fou amoureux, si amoureux qu'il déjoue le carcan de la société jalouse, les règles et les contraintes qui ne lui ressemblent pas, l'histoire d'un enfant libre lui aussi, épanoui loin des cadres scolaires et plein pour ses parents d'une admiration et d'un attachement sans borne.
On assiste en réalité, sans le savoir d'abord, à un mélange des genres, dans la mesure où la fantaisie amusante se double d'un sujet grave, la démence de la mère que le père et le fils s'efforcent de contenir et de ne jamais nommer, à l'instar de son nom qui demeure inconnu, dissimulé derrière le simulacre du jeu proposé, et la panoplie des prénoms dont Georges l'affuble et que chacun habille d'un nouveau visage.

Les rares épisodes où, à travers les yeux du père surtout, on voit la glace se fendiller, et révéler la sinistre vérité, elle est, bien évidemment, affreusement glaçante.

En attendant Bojangles est un récit empreint d'une mélancolie que l'on ne voit pas venir ; c'est un roman qui réserve bien davantage que les aspects divertissants communément vantés, qui sont, certes, rafraîchissants, mais bien peu de choses au regard de la puissance de ce mariage du grotesque (les tribulations et déclinaisons ordinaires de la folie) et du sublime (l'amour indéfectible porté à la mère par le père et le fils), au sens de Hugo, invoqué par l'auteur.

Le drame romantique n'a jamais été aussi actuel. 

Pour vous si...
  • Vous attendez plus d'En attendant Bojangles que d'un banal "feel-good book" (dans le cas contraire, vous pouvez toujours lire le roman, et en serez content, sans aucun doute. Et je ne me priverai pas de vous dénigrer sans pitié.)
  • Les protagonistes un peu irresponsables ne sont pas une source de stress pour vous.

Morceaux choisis

"Elle ne me traitait ni en adulte, ni en enfant mais plutôt comme un personnage de roman. Un roman qu'elle aimait beaucoup et tendrement et dans lequel elle se plongeait à tout instant. Elle ne voulait entendre parler ni de tracas, ni de tristesse.
_Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de vous en priver.
Alors je lui racontais ma journée imaginaire et elle tapait frénétiquement dans ses mains en gloussant:
_Quelle journée mon enfant adoré, quelle journée, je suis bien contente pour vous, vous avez dû bien vous amuser!"
Puis elle me couvrait de baisers. Elle me picorait disait-elle, et j'aimais beaucoup me faire picorer par elle. Chaque matin, après avoir reçu son prénom quotidien, elle me confiait un de ses gants en velours fraîchement parfumé pour que toute la journée sa main puisse me guider."

"Maman me racontait souvent l'histoire de Mister Bojangles. Son histoire était comme sa musique : belle, dansante et mélancolique. C'est pour ça que mes parents aimaient les slows avec Monsieur Bojangles, c'était une musique pour les sentiments.
[...]
Il dansait Monsieur Bojangles, il dansait vraiment tout le temps, comme mes parents."

"Le temps d'un cocktail, d'une danse, une femme folle et chapeauté d'ailes, m'avait rendu fou d'elle en m'invitant à partager sa démence."

"J'allais pouvoir répondre à une question que je me posais tout le temps. Comment font les autres enfants pour vivre sans mes parents?"


Note finale
5/5
(coup de cœur)

mardi 14 juin 2016

Ceux qui restent, Marie Laberge

Le prochain roman de la sélection du Grand Prix des Lectrices de Elle qui m'a été soumis m'a immédiatement plu, grâce à sa couverture ocre/bleu (meilleur mariage au monde, si vous voulez mon avis).
Ce que je n'avais pas anticipé, c'était le parler québécois.



Le synopsis

Sylvain n'a pas trente ans lorsqu'il se suicide.
Autour de lui, son entourage prend la parole à tour de rôle, et raconte ce qu'est la vie après, jusqu'à quinze ans après sa disparition.
Les voix se mêlent de Vincent, son père, Mélanie-Lyne, celle qui était sa compagne, et Charlène, la barmaid avec laquelle il avait une liaison. Il y a encore sa mère Muguette, sa grand-mère Blanche, et son fils Stéphane, qui gravitent autour, et tâchent eux aussi de surmonter l'insoutenable.
A leur manière, ils portent tous durablement les séquelles du choix de Sylvain.

Mon avis

Je suis tombée en amour avec le roman de Marie Laberge.

Avant même de connaître tous les protagonistes, le lecteur y découvre cette langue à la fois familière et étrangère, qui distrait d'abord, ce sont les codes renversés, les mots qui jouent et sont réinventés, un univers qui s'ouvre. N'ayant lu que très peu de romans en français québécois (il y avait quand même eu le plaisant L'homme idéal existe. Il est Québécois), j'ai été naturellement désarçonnée, puis aguichée par cette particularité.

Une fois cet aspect intégré, on se plonge dans le monde dévasté de Sylvain, où se succèdent les proches désemparés, réagissant chacun à leur manière à son suicide, révélant d'ores et déjà la palette de leurs singularités.
Mais cette palette s'enrichit surtout au fil du temps, car la grande force du roman, à mon sens, est de ne pas s'attacher aux quelques jours ou mois qui suivent la disparition de Sylvain, mais de prendre plus de recul, d'étudier les contrecoups qui s'inscrivent dans la durée qui se compte cette fois en années.
Quinze ans plus tard, chacun porte encore les stigmates, les cicatrices du traumatisme.

Muguette ne se remettra jamais vraiment de la perte de son fils ; Vincent, plus philosophe et tourné vers les autres, trouvera dans le soutien qu'il offre son absolution.
Mélanie-Lyne, quant à elle, entretenait une relation distendue avec Sylvain, ne lui demandant aucun compte, et se montre peu à peu extrêmement possessive avec leur fils Stéphane, lui réclamant toute l'attention qu'il pourrait donner, déplorant qu'il s'éloigne graduellement, fuyant cette mère affectivement dépendante, et émotionnellement instable.
Charlène est sans doute celle qui garde le cap, la seule qui continue à s'adresser à Sylvain au fil des ans, lui jetant à la face sa colère d'abord, ses questions, puis ses pensées, tandis que le temps l'apaise.
La façon dont les protagonistes se croisent et se lient est touchante, et ne manque pas de réalisme tant elle peut sembler improbable (j'assume complètement la dimension contre-intuitive de cette dernière phrase), car ceux qui se retrouvent ne sont pas ceux entre lesquels on aurait pu imaginer, de prime abord, la moindre affinité.

Le roman est dense, et reflète merveilleusement les impondérables de la vie, la façon dont il peut se créer des choses précieuses à partir de contacts que l'on n'avait pas même imaginés, à l'instar de ce qui prend forme entre Charlène, Vincent et Stéphane. La relation que chacun entretenait avec un amant, un fils et un père, ne peut être remplacée, mais c'est la perte qui occasionne, parfois même à son insu, un lien qui devient indéfectible.

Par ailleurs, j'ai trouvé que l'auteur évitait soigneusement de verser dans les lieux communs que l'on pourrait attendre - et redouter - à partir d'un tel sujet : le motif du suicide n'est pas éclairci, ce n'est pas l'objet, et c'est aussi terriblement réaliste. L'apaisement ne vient pas d'une explication rationnelle, parce que le suicide ne découle pas d'un motif rationnel. De même, le rapprochement entre Charlène et Vincent d'une part, et Charlène et Stéphane d'autre part, ne se traduit pas en romance charnelle, car si la littérature et les histoires nous habituent à croire que c'est là la seule issue acceptable, la seule fin heureuse, ce n'est rien d'autre en somme qu'un schéma réconfortant dont on se plait à se convaincre que l'on obtiendra le bonheur comme on obtient un crédit immobilier si tant est que l'on puisse réunir les ingrédients répertoriés sur la liste de courses.
Ainsi, l'auteur parvient avec talent et finesse à montrer que la clef n'est pas dans ce genre de dénouement, que l'amour peut prendre d'autres formes, et qu'il n'en a pas moins de valeur.

Ceux qui restent est un roman d'une grande richesse, tant dans la peinture des personnalités et leur intensité psychologique, que dans les enseignements qu'il véhicule, sans que jamais le ton ne soit moralisateur ou didactique. Selon moi, l'une des révélations du Grand Prix des Lectrices.


Pour vous si...
  • Hostie ça vous crisse ben, et pis ça vous achale pas.

Morceaux choisis

"Plus rien, jamais, n'a été pareil.
Ma vie a été tranchée en deux - il y a avant et après la mort de Sylvain. Avant et après le 26 avril 2000.
Parfois, j'ai l'impression qu'un sabre puissant a fendu mon corps en deux. Chaque partie palpite, mais aucune n'est vraiment vivante."

"A la limite, en profitant du soutien de sa fille, Julie-Lune prouve que les enseignements philosophiques n'ont eu aucune influence sur la pauvre fille et que rien ne saurait la faire évoluer. Elle est une cause désespérée et ne contient rien, comme le pain blanc tranché."

"_Y a rien dit? Rien laissé?
_Rien.
_Hostie d'épais!"


Note finale
5/5
(coup de cœur)

mardi 31 mai 2016

Le clan des femmes, Hemley Boom

Voilà un auteur plébiscité par Nombre Premier, et que je ne pouvais décemment pas négliger plus longtemps : Hemley Boom. La lecture, c'est avant tout beaucoup de bouche-à-oreilles, de recommandations émanant de gens de confiance, ou, le cas échéant, un bon moyen de tester le potentiel d'une amitié (comment rester neutre, voire optimiste, face à une suggestion de lire Sophie Kinsella ou Katherine Pancol ? Tout est question de compatibilité). 
Avec Nombre Premier, l'évidence est sans cesse renouvelée, si bien que je n'avais pas le moindre doute sur la qualité du livre avant même que d'en lire les premiers mots.



Le synopsis

Le clan des femmes nous raconte Sarah, la grand-mère de l'auteur, mariée alors qu'elle n'a qu'une dizaine d'année à un vieil homme qui a déjà une quinzaine d'épouses. Première épouse, la plus ancienne, la prend sous son aile et elle grandit auprès d'elle, jusqu'à la mort du Vieux.
Le décès donne lieu au partage de l'héritage, des femmes et des parcelles, entre les fils du défunt. Sarah est choisie par Fils Aîné, mais le retour au village du fils prodigue, l'enfant de Première épouse parti voyager au loin, bouleverse la vie de Sarah.

Mon avis

Le clan des femmes est un prodige de simplicité et de fulgurance.

Simplicité d'abord, parce que la langue est épurée, elle ne s'embarrasse pas d'un style ampoulé et va droit au but, elle a la franchise de l'oralité et possède l'art du conte, car l'histoire de Sarah nous aspire, nous envoûte dès les premiers instants.

Fulgurance ensuite, parce qu'il recèle des vérités qui font grandir, des enseignements que Sarah partage avec sa petite-fille et, partant, avec nous lecteurs, de ces vérités qui surgissent à l'occasion d'événements quotidiens qui forment pourtant la substance de notre condition : sur la place des femmes, sur le rôle de mère qui octroie à chacune une place dans la société à laquelle elle ne peut accéder sinon, sur ce qui entrave le cycle naturel des étapes de l'existence, par exemple lorsqu'un enfant ne naît pas d'une union, et que cette absence en vient à empoisonner le couple amoureux.

Le cadre du récit est dépaysant, et nous invite à découvrir une culture et des mœurs éloignés en laissant de côté les éventuels préjugés que l'on pourrait nourrir à leur encontre : dans le clan de Sarah, la polygamie est tradition, les hommes décident du sort des femmes qui s'apparentent bien souvent à des enfants dont ils ont la charge, pourtant, au-delà de cette approche très patriarcale, les femmes sont celles qui font tenir le foyer debout, celles dont dépendent l'harmonie et la pérennité du clan, et elles peuvent susciter le respect et la crainte, car on leur prête souvent des pouvoirs ensorcelants.

J'ai été conquise par ce premier roman intime et touchant, relativement court, puisqu'il ne compte que 130 pages, mais qui m'a fait voyager et réfléchir, a nourri en somme une ouverture d'esprit.
Ne le manquez pas!


Pour vous si...
  • Vous appréciez un livre qui vous parle d'un environnement, d'une culture qui ne sont pas les vôtres, et qui vous poussent à questionner le relatif et l'absolu
  • Vous êtes convaincu qu'un bon roman doit avoir au moins un personnage pygmée

Morceaux choisis

"Les femmes étaient l'héritage, pas des héritières."

"Il y a des moments dans la vie où tout est parfait, me dira Sarah des années plus tard, la lune éclaire la nuit et on y voit presque comme en plein jour, des milliers d'étoiles illuminent le ciel, le vent bruisse dans les arbres, et devant le monde entier, un homme vous choisit vous, entre toutes."

"Dans les sociétés traditionnelles, a fortiori polygames, une femme sans enfants était considérée comme peu de chose. Elle a failli par rapport à son mari, dont elle ne perpétuera pas le nom, elle a failli par rapport à sa propre famille en leur faisant honte, elle n'était rien aux yeux des autres femmes. Elle pouvait travailler comme quatre, aider la société autant qu'elle le voulait, sans enfants, elle n'était qu'une moitié de personne, quelqu'un qui n'avait pas rempli sa part de contrat en quelque sorte."

"La maternité n'est pas une évidence, même les animaux laissent mourir de faim leurs enfants les plus fragiles. Un enfant ne fera pas de toi une personne plus belle, plus heureuse. Un enfant ne remplira pas le vide, ne te guérira pas de ta propre enfance. Pas plus qu'un homme, même s'il t'aime de tout son cœur. Tu ne peux pas mettre tous tes espoirs dans un enfant, ce ne serait pas juste. Personne ne devrait avoir à être un médicament pour une autre personne, me disait-elle sans cesse."


Note finale
5/5
(coup de coeur)

vendredi 22 avril 2016

L'amie prodigieuse, Elena Ferrante

Le roman dont je vais vous parler aujourd'hui a été publié l'an passé, par un auteur à l'identité énigmatique, connu sous le pseudonyme d'Elena Ferrante. Parvenir à maintenir un tel secret est déjà remarquable, à l'heure de la médiatisation des auteurs qui apparaissent dans des émissions de télé, de radio, dans la presse, dans les magazines de toutes sortes, et sont très présents sur les réseaux sociaux également. Ce halo de mystère qui entoure Elena Ferrante est en soi déjà très romanesque.
Le synopsis de L'amie prodigieuse a achevé de me séduire, d'autant plus qu'il ne s'agit que du premier tome d'une série de plusieurs romans, dédiée à l'amitié entre deux femmes à travers les âges de leur vie.




Le synopsis

Au cœur de Naples, deux petites filles se lient d'amitié, Elena et Lila, qui grandissent côte à côte dans un quartier pauvre de la ville, où la violence habille le quotidien au point que nul ne s'en émeuve plus, et qu'il faille toujours compter avec elle.
Alors que Lila rejoint la cordonnerie de son père, Elena poursuit ses études au collège ; pourtant, les aptitudes de Lila et son aura se développent au point de la rendre solaire pour tous ceux qui croisent son chemin.
En dépit de leurs routes divergentes, Elena et Lila partagent les rêves, les illusions, les déceptions, la rancœur, la jalousie, les doutes, la colère et le plaisir qui font l'existence des adolescentes dans ce milieu déshérité.

Mon avis

S'il y a une chose que je dois dire, c'est que je ne m'attendais pas à une telle pépite!
Il faut dire que la couverture m'invitait plutôt à me figurer un roman léger, bien marketé, et, partant, peu profond.
Autant de regrettables préjugés qui se sont délités en chemin, car le roman d'Elena Ferrante (ou quel que soit l'auteur) m'a époustouflée.

L'atmosphère qui règne est magistralement rendue : dès les premières lignes, le lecteur est projeté dans la Naples d'il y a plus d'un demi-siècle, et imagine les rues, la saleté, la violence bien sûr, mais aussi la vie, les voix et le bruit qui dominent le reste, l'agitation, la fièvre adolescente qui prend les visages de tous les protagonistes.

Il faut dire que la narratrice, Elena, est un personnage dont il est aisé de se sentir proche, parce qu'en dépit de sa réussite scolaire qui peut bien entendu être clivante, elle expose sans fard des préoccupations parfois futiles, des troubles que l'on ne connaît qu'à l'adolescence, des pensées qui peuvent être étroites, notamment lorsqu'il s'agit de son amie Lila, à laquelle elle est attachée, mais avec laquelle elle cultive un lien ambivalent, balloté au gré des rivalités, des petites vilenies du quotidien, de l'envie, de l'égoïsme.
L'amitié résiste aux temps difficiles, et le fil qui relie Lila et Elena ne se perd jamais.

Autour d'elles, gravite un monde de personnages qui ont leur singularité propre, et qui frappent de par leur force de vie, et leurs faiblesses toutes humaines : on partage viscéralement la répulsion qu'inspirent Donato Sarratore et les frères Solara, on est peiné par l'égarement qui emporte Rino, par la révolte de Pasquale, par l'amour transi et jaloux des garçons qui entourent Lila, par les émois et les questions qui taraudent Linu et Lila.

L'intrigue est déroulée avec brio, je n'ai pas été traversée par le moindre sentiment d'ennui, au contraire le roman m'a paru rythmé, sans pour autant obéir à la tyrannie d'un storyboard mécanique et impatient. Je me suis délectée à la lecture des descriptions de Naples, d'Ischia, des milieux sociaux qui se croisent ça et là, des espoirs et des incertitudes des uns et des autres. Les ambiguïtés des relations qui unissent les différents protagonistes sont également relatées avec une grande subtilité, exposant les paradoxes de l'âme humaine, tout ce qu'il peut y avoir d'indécis et cependant d'avide dans les aspirations d'adolescentes issues des classes populaires.

C'est donc avec la plus grande impatience que j'envisage de me plonger dans le deuxième tome de la série, pour découvrir ce que l'avenir réserve à Lila et Elena...

Pour vous si...
  • Vous appréciez les romans qui passent avec succès le test de Bechdel transposé au monde merveilleux de la littérature
  • L'ambiance napolitaine de la fin des années 1950 revêt dans votre imaginaire un attrait particulier

Morceaux choisis

"Lila apparut dans ma vie en première année de primaire, et elle me fit tout de suite impression parce qu'elle était très méchante."

"J'eus l'impression, à la façon dont elle se servait de moi et dont elle manipulait Stefano, qu'elle se débattait pour trouver, de l'intérieur de la cage où elle s'était enfermée, un moyen d'être vraiment elle-même qui cependant lui demeurait obscur."

" "Tu sais ce que c'est, la plèbe? - Oui, madame." Ce que c'était, la plèbe, je le sus à ce moment-là, beaucoup plus clairement que quand Mme Oliviero me l'avait demandé des années auparavant. La plèbe, c'était nous. La plèbe, c'était ces disputes pour la nourriture et le vin, cet énervement contre ceux qui étaient mieux servis et en premier, ce sol crasseux sur lequel les serveurs passaient et repassaient et ces toasts de plus en plus vulgaires. La plèbe c'était ma mère, elle avait bu et maintenant se laissait aller, le dos contre l'épaule de mon père qui restait sérieux, et elle riait bouche grande ouverte aux allusions sexuelles du commerçant en ferraille."

Note finale
5/5
(coup de cœur)

vendredi 26 février 2016

La maladroite, Alexandre Seurat

Le premier roman d'Alexandre Seurat a reçu le premier prix "Envoyé par la Poste" : un premier ouvrage qui a réussi à tracer son chemin dans le monde semé d'embûches de l'édition, et un auteur qui s'est fait éditer a priori pour la qualité de son écrit, et non parce qu'il connaît un tel ou un tel (loin de moi la volonté de paraître acerbe, mais quand on regarde la liste des auteurs de premiers romans publiés en septembre, on trouve quand même une belle proportion de "fils de" et "filles de", ainsi que de personnes issues du milieu de l'édition / du journalisme / de l'enseignement - je vous laisse en tirer les conclusions que bon vous semblera).
Ma curiosité était donc au plus haut.




Le synopsis

Le récit se présente comme une compilation de témoignages provenant de différentes personnes, et reconstituant la vie de Diana, une petite fille de 8 ans qui vient d'être portée disparue.
Sa grand-mère et sa tante parlent les premières, décrivant les circonstances de la venue au monde de Diana, et ses débuts dans la vie, auprès de parents qui forment un couple peu stable, et qui peu à peu font néanmoins grandir la famille à laquelle elle appartient.
Assez tôt, elles remarquent le retard de l'enfant par rapport à d'autres de son âge, et assistent à des comportements brusques de la part des parents à son endroit. Ceux-ci se dérobent lorsqu'elles abordent le sujet frontalement.
Puis, les différentes institutrices, la directrice d'école, le médecin scolaire prennent la parole, pour raconter les interrogations, puis les suspicions, ou au contraire la prudence et la réserve, lorsque tous constatent les traces de coups, les absences répétées, et tout ce qu'il y a d'étrange dans le comportement de Diana, qui semble indiquer que quelque chose ne va pas.


Mon avis

C'est bien simple, depuis que j'ai refermé le livre, il me hante.

Les témoignages de chaque personnage pourraient ressembler aux extraits d'un journal, et permettent d'appréhender les différents aspects du personnage de Diana, et des comportements qui l'entourent : celui de ses parents, de son frère, de leur entourage.

La voix de la grand-mère est la première que l'on découvre : à travers elle, une affection naît envers Diana, qui vient au monde dans des circonstances difficiles. On ressent l'attachement qu'elle éprouve envers cette petite qui semble rejetée par sa mère, puis au sein de sa fratrie, et qui accuse un retard étrange.
La voix de la tante arrive bientôt, en alternance, révélant les premiers symptômes, les premières brimades, et la réaction lente de la famille qui n'a pour effet que d'éloigner Diana, lorsque ses parents coupent les ponts avec sa grand-mère et sa tante.

Viennent ensuite les voix de la première institutrice, de la directrice, du médecin scolaire, et un sentiment de malaise, d'angoisse prend le lecteur à la gorge, à mesure que se précise la situation de Diana, et que les suspicions grandissent. Le comportement des parents, de nouveau, est insaisissable : il y a, bien sûr, les explications toujours étayées et corroborées par les différents membres de la famille, une histoire pour chaque plaie et chaque contusion, et personne jamais n'y déroge. Le médecin scolaire en personne met en garde contre les suspicions à l'encontre des parents, qui peuvent avoir des répercussions désastreuses, parce qu'elle voit pour sa part une famille équilibrée et aimante, des parents attentionnées, une petite fille maladroite, comme tout le monde s'accorde à le dire.
Mais lorsque les déménagements, et la fuite, se reproduisent, les doutes ne sont plus permis, et ce que l'on redoutait se confirme.
La deuxième institutrice est alarmée comme la première par les marques que présente Diana, elle fait un signalement.
Il n'est déjà plus temps.

Le récit est très bien construit, progresse à bon rythme, et bien que le roman soit court, il fait l'effet d'une gifle douloureuse, il éveille une douleur insidieuse chez le lecteur.

L'auteur se saisit d'un sujet très sensible, et le traite avec intelligence et subtilité, il parvient à démontrer les mécanismes pervers de la maltraitance, le piège dans lequel une enfant est prise et que la société regarde sans parvenir à l'en extraire, en dépit des réactions humaines des différents protagonistes. Il faut dire qu'à l'inverse, le roman aurait pu traiter de l'effet destructeur sur une famille de suspicions non avérées. Ici, il est bien question de maltraitance, et de la passivité, de l'impuissance pourrait-on dire, des parties prenantes, face à des parents qui maîtrisent et entretiennent mutuellement un véritable art de la duplicité, de la mise en scène, de sorte qu'ils parviennent toujours à passer entre les mailles du filet, à continuer à battre leur fille sans qu'aucune autorité ou instance supérieure, ni même aucune personne physique, ne vienne véritablement les en empêcher, ne vienne protéger Diana.

La maladroite révèle une brèche, une faille dans laquelle se retrouvent les enfants maltraités ou abusés, et montre que, si le système judiciaire peut punir, il manque parfois les moyens de prévenir ces situations, d'y mettre fin : il ne reste que la culpabilité pour ceux qui ont assisté en spectateurs à l'horreur sous leurs yeux, car lorsque la vérité est établie, il est déjà trop tard, en dépit des diverses alertes émises par les uns et les autres.

La maladroite est un roman glaçant et dérangeant, en somme, un livre important.


Pour vous si...
  • Vous vous sentez prêt à vous confronter à ce sujet difficile
  • Vous en savez long sur le talent de la duplicité

Morceaux choisis

"Parfois j'écoute des musiques de notre enfance, et je voudrais que la musique me la rappelle, mais la musique ne me rappelle rien, parce que nous n'étions pas ensemble, parce que nous n'avons pas vécu la même enfance."


Note finale
5/5
(coup de coeur)

vendredi 22 janvier 2016

Today we live, Emmanuelle Pirotte

On a entendu parler d'Emmanuelle Pirotte il y a quelques mois, avec la parution de son premier roman, Today we live. Emmanuelle est scénariste, mais elle est toujours et avant tout présentée dans les médias comme la fille du poète Jean-Claude Pirotte, disparu en 2014.
Face à l'écho très positif qu'a reçu son roman, je me suis dit que j'allais à mon tour tenter l'expérience.



Le synopsis

En décembre 1944, dans les Ardennes, une petite fille juive, Renée, est confiée par un curé à deux soldats américains; En réalité, il s'agit de deux SS infiltrés (bravo monsieur le curé, en matière de bonne intention qui se termine en eau de boudin, ça se pose là). Alors qu'ils sont sur le point d’exécuter la fillette, son regard croise celui de l'un des soldats, Mathias, et le conduit à commettre un geste inexplicable : retourner l'arme contre son acolyte.
Dès lors commence leur cavale dans la campagne française, et leur lien tout à fait improbable et cependant instinctif et puissant. 

Mon avis

Le synopsis m'a d'abord laissée suspicieuse tout autant que curieuse, comme vous l'imaginez. Un SS qui se prend de, de quoi au juste? de pitié? d'attachement? de fascination? bref, pour une gamine juive, c'était un topo inattendu.
Et bien figurez-vous que j'ai vite laissé au placard mes réserves et mes objections rationnelles, pour me plonger corps et âme âme dans cette histoire captivante.

Pour ceux qui ont déjà lu quelques-unes de mes chroniques, vous aurez compris que la première épreuve qu'un roman doit surmonter pour me plaire, c'est celle du style : une histoire passionnante relatée dans un style déplorable aura raison de toute ma bonne volonté, et si je saurais - du moins je l'espère - reconnaître ses mérites, il ne pourra pas entrer dans mon panthéon personnel (ce qui devrait être l'ambition de tout roman, non?).
Today we live a passé l'épreuve avec succès : il y a beaucoup de franchise dans la plume, le patois local se marie à quelques mots d'anglais, quelques autres d'allemand, et pour le reste, l'écriture m'a semblé lumineuse et vivante.

Deuxième épreuve : l'intrigue. Cela inclut, pèle-mêle, l'intérêt du contexte, de l'environnement, et, bien sûr, de l'histoire que l'auteur nous raconte.
Globalement, je ne vois pas d'un bon œil les récits sur la Seconde Guerre Mondiale. Je suis très favorable au fait que les horreurs perpétrées ne soient pas oubliées et se maintiennent dans les mémoires, mais en matière de littérature, je trouve que beaucoup choisissent ce cadre-là par facilité, par manque d'imagination peut-être aussi, et au bout du compte, on peut lire tant de récits plus ou moins dignes d'intérêt qu'un ennui mortifère me gagne chaque fois qu'un synopsis place là une intrigue.
Cependant, ici, l'idée saugrenue de confronter deux personnages aux antipodes l'un de l'autre, et que se passe l'inattendu, m'a aguichée.
C'est ainsi que Today we live a surmonté également la deuxième épreuve, alors qu'elle aurait pu lui être fatale.

Troisième épreuve enfin : les personnages. Sont-ils intéressants, sont-ils consistants ? Évitent-ils l'écueil méprisé du manichéisme ?
Ici, il y a Renée, petite fille juive surprenante, à l'instinct de survie aiguisé, à qui la vie, comme on peut se le figurer, n'a pas fait de cadeau. Elle n'est pas simplement la gentille petite fille incarnant la pureté de l'enfance : elle est dure, elle peut être cruelle avec les autres enfants, notamment lorsqu'elle estime qu'il faut qu'ils sachent la vérité et qu'elle se fait un devoir de les en informer (du style : "Tes parents sont morts. Pas la peine d'attendre qu'ils viennent te chercher." Ouh la sale gosse...).
Et puis, il y a Mathias, la machine à tuer, l'allemand caméléon, qui a vécu au Canada parmi les Iroquois, ce qui lui permet de parfaire sa double identité, et de mener à bien sa mission d'infiltration - et surtout, de se tirer d'affaires, parce que, bon, Monsieur a un côté impulsif aussi). Il est beau et animal, mais il est aussi un SS, de ceux qui savaient ce qui se passait dans les camps sans y avoir pris part directement, mais la responsabilité indirecte est là (et oui, quand on laisse faire, il faut assumer une part de responsabilité).
Ce qui se joue entre Renée et Mathias est fascinant : ils se captivent l'un l'autre, s'apprivoisent alors même qu'ils se sont liés l'un à l'autre tacitement et immédiatement.
Les personnages secondaires ne manquent pas non plus de sel : Jules Paquet, le propriétaire de la ferme, bon gars qui déborde un peu parfois, et qui pressent les choses sans mettre le doigt dessus, sa fille Jeanne, qui vit avec transport les sensations qui la tiraillent, les excellents Françoise et Hubert, un peu lâches, qui ont surtout peur pour eux et ne manquent pas de faire ce qu'il faut quand ils pensent qu'en dépend leur survie, et les Américains, Dan, aigri de jalousie et de désir non partagé, Pike, Max, et j'en passe et des meilleurs.
Bref, pas besoin de vous faire un dessin : les personnages de Today we live sont parfois complexes, agités d'intentions parfois paradoxales, au point de questionner leur crédibilité, et c'est là que naît, selon moi, leur part d'humanité. La réaction de Mathias lorsqu'il s'apprête à fusiller Renée est irrationnelle, invraisemblable, comme peuvent l'être certaines réactions que l'on ne s'explique pas, au quotidien, et plus encore dans un contexte où tous les codes sont chamboulés. C'est pour cela, en réalité, que je crois à cette action, que je crois à la scène, et qu'elle scelle, dès les premières pages, mon intérêt farouche pour le roman.

Et puis, ensuite, c'est comme en amour, il y a ou n'y a pas ce petit truc particulier, la fameuse étincelle (ou attraction charnelle, dans le cas de l'amour, mais bon, on ne peut pas vraiment parler de ça ici ou la métaphore tombe à l'eau, donc je reste sur le terme "étincelle" - quoique, je dois dire que la police utilisée par les éditions du Cherche-midi a quelque chose de singulier et de dansant qui me trouble et me séduit assez)
Difficile de décrire ce point, sachez simplement que, dans mon cas, l'étincelle s'est produite, et je n'ai pas lâché le bouquin jusqu'à la dernière page.

Je suis donc absolument convaincue par ce premier roman, et le recommande chaleureusement.
Et, bien sûr, je suivrai avec attention les prochains pas d'Emmanuelle dans le monde merveilleux de la littérature de fiction.


Pour vous si...
  • Vous aimez les figures de grands méchants (mais vraiment méchants) qui ont, quelque part au fond d'eux, une sorte de conglomérat rocheux qui leur sert de cœur 
  • Vous savez intimement que la description de la pureté et de la candeur des enfants, c'est du blabla : certains peuvent être sacrément coriaces et féroces
  • La perspective d'un coït dans une étable vous émeut

Morceaux choisis

"La plupart des enfants dans sa situation se seraient fabriqué des souvenirs à partir de lambeaux de vie confus, recousus et idéalisés par la suite pour former un écran de beauté et de douceur destiné à les protéger de l'enfer de leur réalité. Mais Renée n'était pas faite de cette étoffe-là ; elle faisait preuve d'une lucidité qui avait souvent effrayé les rares personnes qui avaient pris la peine de la connaître. Elle était dure avec elle-même, et tout autant avec autrui. Elle ne négociait pas avec la réalité. En revanche, elle se plongeait avec passion dans les légendes et les contes, des histoires anciennes très éloignées de son présent. Elle les percevait confusément comme les seuls vrais remèdes à la laideur du monde ; et, paradoxalement, comme les éblouissants reflets de sa fulgurante beauté."


Note finale
5/5
(coup de cœur)