Le premier roman d'Alexandre Seurat a reçu le premier prix "Envoyé par la Poste" : un premier ouvrage qui a réussi à tracer son chemin dans le monde semé d'embûches de l'édition, et un auteur qui s'est fait éditer a priori pour la qualité de son écrit, et non parce qu'il connaît un tel ou un tel (loin de moi la volonté de paraître acerbe, mais quand on regarde la liste des auteurs de premiers romans publiés en septembre, on trouve quand même une belle proportion de "fils de" et "filles de", ainsi que de personnes issues du milieu de l'édition / du journalisme / de l'enseignement - je vous laisse en tirer les conclusions que bon vous semblera).
Ma curiosité était donc au plus haut.
Le synopsis
Le récit se présente comme une compilation de témoignages provenant de différentes personnes, et reconstituant la vie de Diana, une petite fille de 8 ans qui vient d'être portée disparue.
Sa grand-mère et sa tante parlent les premières, décrivant les circonstances de la venue au monde de Diana, et ses débuts dans la vie, auprès de parents qui forment un couple peu stable, et qui peu à peu font néanmoins grandir la famille à laquelle elle appartient.
Assez tôt, elles remarquent le retard de l'enfant par rapport à d'autres de son âge, et assistent à des comportements brusques de la part des parents à son endroit. Ceux-ci se dérobent lorsqu'elles abordent le sujet frontalement.
Puis, les différentes institutrices, la directrice d'école, le médecin scolaire prennent la parole, pour raconter les interrogations, puis les suspicions, ou au contraire la prudence et la réserve, lorsque tous constatent les traces de coups, les absences répétées, et tout ce qu'il y a d'étrange dans le comportement de Diana, qui semble indiquer que quelque chose ne va pas.
Mon avis
C'est bien simple, depuis que j'ai refermé le livre, il me hante.
Les témoignages de chaque personnage pourraient ressembler aux extraits d'un journal, et permettent d'appréhender les différents aspects du personnage de Diana, et des comportements qui l'entourent : celui de ses parents, de son frère, de leur entourage.
La voix de la grand-mère est la première que l'on découvre : à travers elle, une affection naît envers Diana, qui vient au monde dans des circonstances difficiles. On ressent l'attachement qu'elle éprouve envers cette petite qui semble rejetée par sa mère, puis au sein de sa fratrie, et qui accuse un retard étrange.
La voix de la tante arrive bientôt, en alternance, révélant les premiers symptômes, les premières brimades, et la réaction lente de la famille qui n'a pour effet que d'éloigner Diana, lorsque ses parents coupent les ponts avec sa grand-mère et sa tante.
Viennent ensuite les voix de la première institutrice, de la directrice, du médecin scolaire, et un sentiment de malaise, d'angoisse prend le lecteur à la gorge, à mesure que se précise la situation de Diana, et que les suspicions grandissent. Le comportement des parents, de nouveau, est insaisissable : il y a, bien sûr, les explications toujours étayées et corroborées par les différents membres de la famille, une histoire pour chaque plaie et chaque contusion, et personne jamais n'y déroge. Le médecin scolaire en personne met en garde contre les suspicions à l'encontre des parents, qui peuvent avoir des répercussions désastreuses, parce qu'elle voit pour sa part une famille équilibrée et aimante, des parents attentionnées, une petite fille maladroite, comme tout le monde s'accorde à le dire.
Mais lorsque les déménagements, et la fuite, se reproduisent, les doutes ne sont plus permis, et ce que l'on redoutait se confirme.
La deuxième institutrice est alarmée comme la première par les marques que présente Diana, elle fait un signalement.
Il n'est déjà plus temps.
Le récit est très bien construit, progresse à bon rythme, et bien que le roman soit court, il fait l'effet d'une gifle douloureuse, il éveille une douleur insidieuse chez le lecteur.
L'auteur se saisit d'un sujet très sensible, et le traite avec intelligence et subtilité, il parvient à démontrer les mécanismes pervers de la maltraitance, le piège dans lequel une enfant est prise et que la société regarde sans parvenir à l'en extraire, en dépit des réactions humaines des différents protagonistes. Il faut dire qu'à l'inverse, le roman aurait pu traiter de l'effet destructeur sur une famille de suspicions non avérées. Ici, il est bien question de maltraitance, et de la passivité, de l'impuissance pourrait-on dire, des parties prenantes, face à des parents qui maîtrisent et entretiennent mutuellement un véritable art de la duplicité, de la mise en scène, de sorte qu'ils parviennent toujours à passer entre les mailles du filet, à continuer à battre leur fille sans qu'aucune autorité ou instance supérieure, ni même aucune personne physique, ne vienne véritablement les en empêcher, ne vienne protéger Diana.
La maladroite révèle une brèche, une faille dans laquelle se retrouvent les enfants maltraités ou abusés, et montre que, si le système judiciaire peut punir, il manque parfois les moyens de prévenir ces situations, d'y mettre fin : il ne reste que la culpabilité pour ceux qui ont assisté en spectateurs à l'horreur sous leurs yeux, car lorsque la vérité est établie, il est déjà trop tard, en dépit des diverses alertes émises par les uns et les autres.
La maladroite est un roman glaçant et dérangeant, en somme, un livre important.
Pour vous si...
- Vous vous sentez prêt à vous confronter à ce sujet difficile
- Vous en savez long sur le talent de la duplicité
Morceaux choisis
"Parfois j'écoute des musiques de notre enfance, et je voudrais que la musique me la rappelle, mais la musique ne me rappelle rien, parce que nous n'étions pas ensemble, parce que nous n'avons pas vécu la même enfance."
Note finale
5/5
(coup de coeur)
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