Encore un premier roman, cette fois-ci sur un thème particulier, puisqu'il s'agit d'un récit inspiré de faits réels, qui parle de l'emprise malsaine d'un jeune homme sur une petite fille, si puissante qu'elle résiste aux années, et à toute tentative d'émancipation.
Difficile de faire d'un tel témoignage (toujours poignant) un objet de littérature.
C'était la question que je me posais, en ouvrant le livre de Corinne Goodman.
Le synopsis
Pour Charlie, jeune homme parfait que son entourage adore, Corinne, 6 ans, est Moutchi.
Charlie est le voisin attentionné, le fils de bonne famille, et le baby-sitter de Corinne et de sa soeur Valérie, car leurs parents, trop occupés à s'entre-déchirer, sont absents, et ne se préoccupent guère de leurs filles.
Ainsi Charlie occupe-t-il tout d'abord une place vacante, celle laissée par les parents désintéressés de leurs enfants, et Corinne se sent exister dans les yeux de Charlie, rien ne compte plus que le regard approbateur qu'il peut porter sur elle.
Rapidement, cependant, leur relation évolue, et il faudra des années à la petite fille devenue jeune fille puis femme, pour mettre les mots sur ce qu'elle a vécue avec cet adolescent, ce jeune homme "très normal", selon les psychanalystes.
Mon avis
Le récit de Corinne Goodman est tout à fait intéressant.
Je ne suis pas exactement une experte sur ce type de sujets, j'avais lu Ne le dis pas à maman, de Toni Maguire, qui dénonçait la culpabilisation, à la limite de la criminalisation, de l'enfant victime, par l'entourage du père coupable d'inceste.
Ici, l'objet n'est pas tant de donner les détails scabreux que de décrire la force de l'emprise de Charlie sur Moutchi, et par ce biais, sur Corinne, en tâchant d'analyser en quoi l'environnement a pu être propice à la naissance et à l'enracinement de cette emprise, qui demeure vivace des décennies plus tard, au point que Corinne adulte n'hésite pas à proposer de témoigner pour disculper Charlie lorsqu'il est poursuivi en justice pour pédophilie, alors même qu'elle a été l'une de ses premières victimes.
Le vide affectif dans lequel se glisse Charlie alors que Corinne est une enfant a sédimenté le lien malsain qui les unit, et qui n'est jamais détruit.
Ainsi, Corinne échoue à construire son identité, la seule qui vaille est celle de Moutchi, ce double inventé par Charlie qui lui a permis de goûter à l'attention absolue de Charlie, sans comprendre dans quel carcan il l'enfermait.
Elle erre des années durant, toute son adolescence et jusqu'à sa vie d'adulte, se confronte à ses échecs consécutifs quand la vie de Charlie rayonne et irradie de réussites. Comme s'il était son seul salut, la seule possibilité pour elle de ne pas être rien, de ne pas être personne.
Le déni des adultes est toujours frappant, y compris des décennies plus tard, ils refusent systématiquement d'endosser la moindre responsabilité, se complaisent à minimiser les faits, voire à les nier en bloc dans le cas de la mère de Corinne, ils ne laissent aucune porte ouverte, trop effrayés d'avoir à se confronter à la réalité.
Moutchi a ainsi le mérite de passer au crible la personnalité de Charlie, la façon dont s'établit son emprise, mais aussi les conditions de son succès qui vient surtout du renoncement des adultes, de leur égoïsme et de la façon dont ils se détournent de ce qu'ils ont sous les yeux, dont ils laissent Corinne être une proie pour ce jeune homme qui remporte l'adhésion de tous, mais dont on dira a posteriori qu'il nourrissait une méfiance, que l'on pressentait ses penchants.
Le travail de reconstruction est gigantesque et ne se termine jamais.
Le roman écrit par Corinne Goodman semble en partie être une pierre apportée à cet édifice, une voix qui prend la parole pour dire ce qui a été, ne pas perpétuer le silence qui la détruit à petit feu.
Pour vous si...
- Vous vous demandez comment une victime peut défendre son agresseur (syndrome de Stockholm, bonjour)
Morceaux choisis
"Il est en moi. Il obstrue mon esprit, paralysé, tapi quelque part, vivant pourtant mais reclus. Lui, il assène sans cesse des vérités, des évidences. Je lui attribue une puissance absolue, je lui cède la clef de mon esprit. Je lui ai donné sans le savoir celle de la prise dans laquelle il m'emprisonnera peu à peu, nourrissant chaque jour son emprise sur moi, comme une araignée tissant une toile géante."
"Je sais pourtant que quelque chose d'autre est vivant en moi que je n'ai pas le droit de montrer à Charlie parce qu'il n'aimerait pas. Je suis divisée en deux, Moutchi sa princesse, et Corinne qui a un esprit curieux, intrépide."
"Moutchi n'existe plus depuis longtemps et Corinne n'arrive pas à exister.
Je faisais bien le lien entre ma difficulté à exister et Charlie. C'était une intuition, pas une certitude."
Note finale
3/5
(cool)
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