En projetant de lire le premier roman de Sophie Daull, je savais précisément où j'allais mettre les pieds : le récit de la disparition de sa fille de 16 ans, foudroyée par une fièvre inexplicable ayant duré quatre jours à la veille de Noël, ça ne s'annonçait pas très gai. Mais bon, si les échos admettaient la tristesse inévitable, ils disaient aussi que c'était un beau livre.
Comme de toutes façons Février est toujours un mois un peu pourri, j'ai pensé que c'était, en fin de compte, peut-être le meilleur moment pour s'y résoudre.
Le synopsis
La narratrice est précisément l'auteur, et elle raconte les quatre jours qui ont précédé la mort de sa fille Camille, âgée de 16 ans, terrassée par la fièvre et décédée sans véritable motif médical (du moins durant les premières semaines suivant sa disparition). Au cours des quatre mois qui suivent son décès, Sophie Daull prend la plume et retrace les derniers moments passés avec sa fille, et les semaines qui constituent "l'après".
Mon avis
Je ne surprendrai personne en annonçant que ça n'a pas été une grosse marrade.
En fait, Camille, mon envolée est plutôt le roman qui vous fait perdre la face, lecteurs du métro et des lieux publics, qui vous contraint à renoncer à votre dignité, puisque vous vous retrouvez invariablement à pleurer sur chacune des 200 pages du bouquin, sans retenue, et sans la moindre forme d'élégance, il va sans dire (reniflements et sanglots étouffés seront au rendez-vous, je vous en fais la solennelle promesse).
Cependant, cette douleur qui se diffuse et se partage n'est pas exposée sans pudeur, et le récit de Sophie Daull est effectivement un très beau récit, vrai, qui ne sombre pas dans la véhémence ou la haine, la recherche d'un coupable, qui serait toutefois compréhensible.
Bien sûr, les parents s'interrogent, veulent comprendre, savoir ce qui leur a ravi leur fille, se demandent si elle aurait pu être sauvée, mais leur discours n'est pas un discours d'accusation du corps médical (qui a pourtant un peu négligé leur fille aux urgences par exemple, et semble surtout songer à se couvrir les fesses contre toute attaque en justice).
La tendresse de la narratrice imprègne chaque mot, lie les phrases entre elles, j'ai ressenti une émotion proche de celle qui se dégageait d'un tout petit rien de Camille Anseaume, qui évoquait aussi la maternité, mais dans un contexte très différent, et sans le poids du deuil.
Les allers et retours permettent d'appréhender les moments de ce deuil inacceptable, injuste, et toute la palette des émotions éprouvées par la mère.
Il n'y a pas de tentative de dissimuler, d'attendrir, d’apitoyer, le roman, qui s'adresse à Camille et emploie le "tu" qui lui est destiné, nous invite dans une intimité brisée, les vestiges d'une existence perdue, dans laquelle Camille était vivante et illuminait le quotidien de sa mère.
C'est fulgurant, somptueux et cruel, un bijou qui, à l'instar du souvenir laissé par Camille, irradie et déchire.
A découvrir, cloîtré chez soi, à l'abri de tout regard extérieur, si vous ne voulez pas passer pour l'hystérique émotif de service.
Pour vous si...
- Vous avez le cœur accroché
- Vous avez des mouchoirs à portée de main (à ne pas sortir du contexte)
Morceaux choisis
"Demain, chaton, on sera le 23 janvier, le premier anniversaire de ta mort, tant qu'on les compte en mois ; ce sera aussi ma première sur scène depuis que tu ne m'y applaudiras plus jamais."
"Je supporte mal l'idée de vivre encore au moins un temps long comme l'oubli de ta mort.
Je supporte mal l'idée de vivre encore au moins un temps long comme ta vie, seize ans. Et pourtant mon espérance de vie statistique m'y condamne à coup sûr.
Désormais je vais faire ça : vivre la vie des en-allées trop tôt. Je dure dans trois vies de femmes maintenant, la mienne, la tienne et celle de ta grand-mère jamais connue.
Je vais inventer tes après-16 ans, ses après-45 ans. Je vivrai pour trois, mes envolées, je vivrai au cube, je serai l'antifantôme, l'ultraspectre, la démolie qui vit de vos restes, de vos âmes, en miettes."
Note finale
4/5
(très beau)
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