lundi 29 février 2016

J'aimais mieux quand c'était toi, Véronique Olmi

Une irrépressible et inexplicable impulsion m'a conduite à la rencontre du dernier roman de Véronique Olmi, J'aimais mieux quand c'était toi. Un titre un peu énigmatique, s'il en est, et une couverture qui n'était pas sans rappeler la géniale comédie musicale Wicked, que j'ai eu le grand bonheur de découvrir il y a près d'un an à Londres. Voilà bien une bonne raison pour lire un livre.



Le synopsis

Le récit de la journée d'une femme comédienne, le jour d'une représentation de théâtre à laquelle elle travaille depuis des mois. Le soir-même, dans la salle, elle reconnaît la figure d'un homme qu'elle a aimé et qui l'a quittée six mois plus tôt. Prise d'une émotion débilitante, elle est tétanisée et ne peut pas remonter sur scène à l'issue de l'entracte.

Mon avis

Note pour moi-même : une couverture qui évoque une comédie musicale n'est pas garante d'une découverte littéraire significative (ou alors : penser à trouver des vrais critères pour choisir des bouquins, ça peut servir).
Comprenez-moi bien : les premières pages m'ont semblé tout à fait divertissantes, cependant la situation et les pensées de la narratrice m'ont rapidement désintéressée, et il m'a, par la suite, été impossible de retrouver le moindre sel au récit.
L'écriture est pourtant fluide est agréable à lire, mais les méditations présentées ne sont guère palpitantes. Il y a cependant de jolis passages sur le travail de comédienne de la protagoniste, mais l'intrigue amoureuse vient ajouter un mouvement qui, à mon sens, porte tort au roman, dans la mesure où l'histoire d'amour dont il est question m'a paru superficielle, peu crédible, comme fabriquée de toutes pièces. C'est souvent le problème, j'ai l'impression, avec les histoires d'amour dans les livres : selon son état d'esprit du moment, on peut se sentir tout à fait en phase avec les sentiments décrits et l'expérience relatée, ou les trouver complètement hermétiques au point de penser qu'ils sonnent faux - mon cas présentement.
Une lecture qui ne me marquera donc guère, mais qui ne présente cependant pas de défaut majeur, si ce n'est celui peut-être d'être tombée au mauvais moment.


Pour vous si...
  • Vous. Adorez que l'on. Vous parle en. Découpant les phrases. Comme ça.
  • Vous n'avez pas peur des histoires d'amour à la limite du mélo (mais pas comme dans The Notebook. The Notebook, c'est cool).
  • Vous ne voyez pas ce qu'il y a de stressant et énervant à imaginer que quelqu'un puisse mettre par terre des mois de travail (de lui-même et d'autres collègues) du fait d'une émotion vive.

Morceaux choisis

"J'ai grandi dans un monde où le soleil dévore l'horizon, et la beauté ne me surprenait pas, je la croyais répandue à égalité. Le monde ressemblait à ce que j'en voyais. Prise entre la montagne et la mer. Soutenue par le bruit des vagues. La vie à mes pieds. Comme une fidélité naturelle. Tout paraissait en place..."

"J'avais compris déjà que nous nous emparons de l'être aimé pour le détourner et le façonner, et c'est ainsi que la lutte commence : un jour le personnage se révolte et s'échappe. Sa liberté est notre déchirure."

"C'est tout. Vous qui m'avez écoutée, vous pouvez m'oublier à présent. Oubliez tout ce que j'ai dit, vous en avez le droit. Jetez l'histoire aux orties, noyez-la dans la vinasse. Oubliez celle qui n'existe plus. Celle qui plus jamais n'entrera dans la lumière." (on ne me le dira pas deux fois)

"Le problème.
C'est que là.
On n'arrive pas. A faire semblant."
(et c'est aussi la méconnaissance des règles de ponctuation, non?...)


Note finale
2/5
(mauvais timing)

dimanche 28 février 2016

Samarcande, Amin Maalouf

Voici typiquement un must read qui s'est toujours débrouillé pour me passer au travers des mailles du filet. Je m'étais promis de lire Les Désorientés, et je dois bien dire que j'ai légèrement blêmi devant l'ampleur de la tâche et le volume du livre.
Du coup, je me suis rabattue sur Samarcande. Il faut savoir faire des compromissions, de temps à autre.



Le synopsis

Le récit nous emporte sur les traces d'Omar Khayyam, poète de la fin du XIXe siècle, et sur celles d'un manuscrit précieux englouti lors du naufrage du Titanic, au début du XXe s.
On y découvre les complots, la secte des Assassins, le destin du cadi et des hommes de pouvoir, dans la Perse du XIe siècle en proie aux invasions mongoles.

Mon avis

Mon sentiment sur Samarcande est assez partagé.
L'Orient qu'on y découvre est empreint de ferveur, d'enjeux politiques, territoriaux et religieux passionnants, cependant mon attention s'est dissipée pendant des pages entières, en dépit de la plume travaillée d'Amin Maalouf et de son indéniable talent.
J'ai peiné à ressentir la moindre émotion à l'endroit des protagonistes, qu'il s'agisse d'Omar, de Djahane (qui m'a cependant paru la plus intéressante), ou même Benjamin Lesage, qui fait office de narrateur.
Il y a toute la beauté de la Perse telle qu'on peut se la représenter, les mystères fascinants et tout l'exotisme qu'elle recèle, les destins de ceux qui approchent du pouvoir ou le détiennent sont grandioses ou, en tout cas, dignes d'être rapportés, mais force est de constater que mon enthousiasme n'a pas été débordant, y compris parvenue à la fin du roman.
Une découverte intéressante, qui parlera je l'espère davantage à d'autres lecteurs!

Pour vous si...
  • Vous êtes facilement attendri par les personnages hauts en couleur qui ont une fin précoce et pas du tout à l'image de leur envergure, comme les grands conquérants venus à bout de batailles légendaires et qui se font tuer bêtement par le premier gugus venu, lequel leur inflige en plus une lente et douloureuse agonie de plusieurs jours. Une fin pas très digne, quoi.
  • Vous trouvez qu'on n'a pas assez parlé du patrimoine disparu avec le Titanic en dehors de ce gros caillou bleu.

Morceaux choisis

"Et lorsque je penserai, plus tard, à cette ville, c'est une toute autre image que je garderai à l'esprit, l'image d'un homme merveilleux. Je ne parle pas d'Abou-Taher. Le plus bel éloge que l'on puisse faire à un cadi, ce n'est pas de vanter ses qualités, mais la droiture de ceux dont il a la charge." (à ne pas sortir du contexte)


Note finale
2/5
(pas mal)

samedi 27 février 2016

Le maître de thé, Yasushi Inoué

Par les temps qui courent, les livres qui parlent de thé chaud, sain et simple, sont très à propos.
Et puis, comme j'avais été très marquée par Le vieux fusil, j'ai vu dans Le Maître de thé une opportunité en or de retrouver le plume de Yasushi Inoué.



Le synopsis

Des années après la mort du sage maître Rikyu, qui s'est donné la mort après en avoir reçu l'ordre de la part du gouverneur Hideyoshi, son disciple Honkakubo s'interroge sur les circonstances de cette mort et sur les raisons pour lesquelles son Maître s'est rangé sans contestation à l'ordre qu'il avait reçu. A l'aide d'un journal tenu jadis et de méditations au cours desquelles il s'adonne à des entretiens imaginaires avec son maître disparu, il revisite le passé pour tâcher de comprendre.

Mon avis

Le récit est singulier, dans la mesure où il prend place à une époque éloignée (les années 1600) : le respect de certaines figures comme celle de Maître Rikyu frôle la vénération, et il est étrange de songer qu'il s'agit d'un sentiment cultivé à son endroit par un homme qui l'a côtoyé de son vivant, son propre disciple.

Au-delà de l'investigation originalement menée par ce dernier concernant la mort de Rikyu (les réponses sont à trouver dans ses méditations, ce qui est assez loin des méthodes employées par les cyber-experts de CSI), l'approche est quasiment philosophique, et invite à réfléchir à la mort, à la sagesse, au destin.

Bien entendu, certains passages consacrant la cérémonie du thé sont délectables pour quiconque a le moindre attrait pour le sujet, voire cocasses, lorsqu'on les lit avec un peu de second degré (et d'immaturité, mais ce genre d'élan ne se contrôle pas toujours) : vous pouvez vous référer aux extraits ci-dessus pour vous en convaincre.

La prose traduit admirablement l'état d'adoration de Rikyu et des grands de ce monde dans lequel vit Honkakubo, et présente le fil de ses pensées, car il y a peu d'action en tant que telle dans le récit, le narrateur nous fait voyager à l'époque de Rikyu et nous ramène au temps présent, longtemps après sa disparition. Il s'agit en cela d'un roman relativement contemplatif, très japonais.
Une douce lecture.

Pour vous si...
  • Vous recherchez une lecture délassante, qui invite à la réflexion sans y forcer non plus : faites comme vous voulez, après tout
  • Vous vous demandez à quoi pouvait bien ressembler le Japon du XVIIe siècle

Morceaux choisis

"Monsieur le Gouverneur de Nagato, Shigenari Kimura, qui connut une fin prématurée à Kawachi, durant le siège d'été d'Osaka, était venu me voir dans ma salle de thé, six mois avant sa mort. Il avait déjà prévu de mourir six mois plus tard. Pour lui, c'était sa dernière occasion de partager un thé dans cette vie. Cela, je l'avais bien compris... Comment dire? C'était la cérémonie de sa décision de mourir, l'acceptation de sa propre mort... Et il m'a permis d'assister à ce moment. Là, je me suis dit que voilà ce qu'était le thé."

"Vous avez dégainé votre sabre. C'est pourquoi, en tant qu'homme de thé, je ne peux faire autrement que dégainer le mien."

"Lorsque Messieurs Soki et Oribe reçurent l'ordre de se donner la mort, ils acquirent, pour la première fois, une certitude, la même que mon Maître. Ils découvrirent ce qui est le plus important pour l'homme de thé : préparer sereinement le thé, laisser faire le destin et ne pas tenter d'y échapper."


Note finale
2/5
(pas mal)

vendredi 26 février 2016

La maladroite, Alexandre Seurat

Le premier roman d'Alexandre Seurat a reçu le premier prix "Envoyé par la Poste" : un premier ouvrage qui a réussi à tracer son chemin dans le monde semé d'embûches de l'édition, et un auteur qui s'est fait éditer a priori pour la qualité de son écrit, et non parce qu'il connaît un tel ou un tel (loin de moi la volonté de paraître acerbe, mais quand on regarde la liste des auteurs de premiers romans publiés en septembre, on trouve quand même une belle proportion de "fils de" et "filles de", ainsi que de personnes issues du milieu de l'édition / du journalisme / de l'enseignement - je vous laisse en tirer les conclusions que bon vous semblera).
Ma curiosité était donc au plus haut.




Le synopsis

Le récit se présente comme une compilation de témoignages provenant de différentes personnes, et reconstituant la vie de Diana, une petite fille de 8 ans qui vient d'être portée disparue.
Sa grand-mère et sa tante parlent les premières, décrivant les circonstances de la venue au monde de Diana, et ses débuts dans la vie, auprès de parents qui forment un couple peu stable, et qui peu à peu font néanmoins grandir la famille à laquelle elle appartient.
Assez tôt, elles remarquent le retard de l'enfant par rapport à d'autres de son âge, et assistent à des comportements brusques de la part des parents à son endroit. Ceux-ci se dérobent lorsqu'elles abordent le sujet frontalement.
Puis, les différentes institutrices, la directrice d'école, le médecin scolaire prennent la parole, pour raconter les interrogations, puis les suspicions, ou au contraire la prudence et la réserve, lorsque tous constatent les traces de coups, les absences répétées, et tout ce qu'il y a d'étrange dans le comportement de Diana, qui semble indiquer que quelque chose ne va pas.


Mon avis

C'est bien simple, depuis que j'ai refermé le livre, il me hante.

Les témoignages de chaque personnage pourraient ressembler aux extraits d'un journal, et permettent d'appréhender les différents aspects du personnage de Diana, et des comportements qui l'entourent : celui de ses parents, de son frère, de leur entourage.

La voix de la grand-mère est la première que l'on découvre : à travers elle, une affection naît envers Diana, qui vient au monde dans des circonstances difficiles. On ressent l'attachement qu'elle éprouve envers cette petite qui semble rejetée par sa mère, puis au sein de sa fratrie, et qui accuse un retard étrange.
La voix de la tante arrive bientôt, en alternance, révélant les premiers symptômes, les premières brimades, et la réaction lente de la famille qui n'a pour effet que d'éloigner Diana, lorsque ses parents coupent les ponts avec sa grand-mère et sa tante.

Viennent ensuite les voix de la première institutrice, de la directrice, du médecin scolaire, et un sentiment de malaise, d'angoisse prend le lecteur à la gorge, à mesure que se précise la situation de Diana, et que les suspicions grandissent. Le comportement des parents, de nouveau, est insaisissable : il y a, bien sûr, les explications toujours étayées et corroborées par les différents membres de la famille, une histoire pour chaque plaie et chaque contusion, et personne jamais n'y déroge. Le médecin scolaire en personne met en garde contre les suspicions à l'encontre des parents, qui peuvent avoir des répercussions désastreuses, parce qu'elle voit pour sa part une famille équilibrée et aimante, des parents attentionnées, une petite fille maladroite, comme tout le monde s'accorde à le dire.
Mais lorsque les déménagements, et la fuite, se reproduisent, les doutes ne sont plus permis, et ce que l'on redoutait se confirme.
La deuxième institutrice est alarmée comme la première par les marques que présente Diana, elle fait un signalement.
Il n'est déjà plus temps.

Le récit est très bien construit, progresse à bon rythme, et bien que le roman soit court, il fait l'effet d'une gifle douloureuse, il éveille une douleur insidieuse chez le lecteur.

L'auteur se saisit d'un sujet très sensible, et le traite avec intelligence et subtilité, il parvient à démontrer les mécanismes pervers de la maltraitance, le piège dans lequel une enfant est prise et que la société regarde sans parvenir à l'en extraire, en dépit des réactions humaines des différents protagonistes. Il faut dire qu'à l'inverse, le roman aurait pu traiter de l'effet destructeur sur une famille de suspicions non avérées. Ici, il est bien question de maltraitance, et de la passivité, de l'impuissance pourrait-on dire, des parties prenantes, face à des parents qui maîtrisent et entretiennent mutuellement un véritable art de la duplicité, de la mise en scène, de sorte qu'ils parviennent toujours à passer entre les mailles du filet, à continuer à battre leur fille sans qu'aucune autorité ou instance supérieure, ni même aucune personne physique, ne vienne véritablement les en empêcher, ne vienne protéger Diana.

La maladroite révèle une brèche, une faille dans laquelle se retrouvent les enfants maltraités ou abusés, et montre que, si le système judiciaire peut punir, il manque parfois les moyens de prévenir ces situations, d'y mettre fin : il ne reste que la culpabilité pour ceux qui ont assisté en spectateurs à l'horreur sous leurs yeux, car lorsque la vérité est établie, il est déjà trop tard, en dépit des diverses alertes émises par les uns et les autres.

La maladroite est un roman glaçant et dérangeant, en somme, un livre important.


Pour vous si...
  • Vous vous sentez prêt à vous confronter à ce sujet difficile
  • Vous en savez long sur le talent de la duplicité

Morceaux choisis

"Parfois j'écoute des musiques de notre enfance, et je voudrais que la musique me la rappelle, mais la musique ne me rappelle rien, parce que nous n'étions pas ensemble, parce que nous n'avons pas vécu la même enfance."


Note finale
5/5
(coup de coeur)

jeudi 25 février 2016

Kiki de Montparnasse, Catel & Bocquet

C'est l'heure du roman graphique de Février! Direction la première moitié du XXe siècle, le quartier parisien de Montparnasse et la folie des grandeurs de Kiki de Montparnasse, muse de nombreux artistes et de Man Ray, dont elle restera très proche jusqu'à sa mort.



Le synopsis

Le roman retrace le parcours d'Alice Prin, élevée par sa grand-mère et non reconnue par son père, qui monte à Paris, adolescente, pour travailler.
Elle devient modèle et rencontre ainsi de nombreux artistes, pose pour Modigliani et Utrillo, Mendjisky à qui elle devra son surnom de Kiki, Kisling, Foujita, puis Man Ray.
Par son biais, elle rencontre Marcel Duchamp, Tzara, Cocteau, Eluard, Breton...
Kiki est avant tout une femme qui aime la vie et la mord à pleines dents, femme de fête et d'excès, joyeuse et voluptueuse.

Mon avis

Voilà de nouveau une saine et instructive lecture!
Je n'étais pas du tout familière avec la figure de Kiki de Montparnasse, connaissant tout au plus les célèbres clichés de Man Ray, celui de Kiki en femme-violon, et son visage clair couché près d'un masque africain.

Il aurait été regrettable d'en rester là, car Kiki a eu une vie, et quelle vie!

Un tourbillon d'art et d'excès, une fièvre ardente de goûter à la vie, de fuir l'ennui sous toutes ses formes dès qu'il menace de poindre, quitte à négliger pour cela le confort assuré d'un choix de vie facile (par exemple, lorsque sa réputation est faite et que des nantis lui proposent de faire d'elle une "honnête femme", expression abhorrée s'il en est).

Il est incroyable de voir défiler les noms des artistes que Kiki a côtoyés et qu'elle a inspirés. Son caractère passionné la définit avant tout, de sorte que l'on retient sa relation tumultueuse avec les hommes, Man Ray et d'autres, sa liberté qu'elle revendique au risque d'être considérée par beaucoup comme une fille de joie (ce qu'elle est au sens littéral du terme, d'ailleurs). Car, si Kiki a un cœur, elle est aussi sans attache, et jalouse de son indépendance, elle veut vivre selon son envie, elle est en cela effroyablement en avance sur son temps, mais quelle chance pour nous de la voir s'amuser et vivre avec frénésie, tâchant de s'affranchir des carcans quels qu'ils soient, de rejeter l'emprise des hommes en dansant de bras en bras, sans devenir la propriété d'un seul et perdre sa fougue, sa flamme.

J'ai été ravie de rencontrer Kiki, et l'ai quittée à grand regret.
Décidément, ces romans graphiques sont une mine de lectures fructueuses et édifiantes!


Pour vous si...
  • Comme le protagoniste dans Midnight in Paris, vous êtes un peu nostalgique du Paris des années 1920, qui est pour vous et sans l'ombre d'un doute, le Golden Age
  • Vous vous intéressez à la femme derrière le violon

Note finale
4/5
(excellent)

mercredi 24 février 2016

L'intérêt de l'enfant, Ian McEwan

Depuis l'Opération Dent douce, je n'avais qu'une hâte : retrouver la plume de Ian McEwan. C'est la dynamique qui m'a poussée à lire son dernier roman, L'intérêt de l'enfant, plus modeste en volume que Sweet Tooth, mais dont le synopsis n'en était pas moins alléchant. Je vous laisse en juger.



Le synopsis

Fiona Maye a soixante ans et est spécialisée dans le droit des enfants en tant que magistrate reconnue.
Alors que sa vie personnelle bat de l'aile, et que son mari Jack s'éloigne, elle est touchée par une affaire complexe : un adolescent malade, Adam Henry, refuse la transfusion préconisée par le corps médical pour lui sauver la vie, du fait de ses convictions religieuses (papa et maman sont des témoins de Jéhovah, et Adam se range derrière eux en file indienne). Afin de pouvoir trancher, Fiona décide de rencontrer Adam afin de déterminer dans quelle mesure son libre-arbitre s'exerce dans cette position, et où se trouve son intérêt qu'elle se doit de défendre.
Mais la rencontre avec ce garçon singulier s'avère plus marquante que ce qu'elle n'imaginait.


Mon avis

Ce qui m'a plu avant tout dans ce roman, ce sont les cas exposés, qui obligent à sortir des sentiers battus, et sur lesquels il est difficile, je pense, d'avoir un avis catégorique au demeurant.

Il y a, d'abord, le "cas" Jack, ce mari jusqu'alors fidèle et dévoué qui expose à sa femme qu'il a besoin d'un regain de vie sexuelle, et, notant le peu d'intérêt de Fiona sur le sujet depuis un certain temps, il se propose d'aller chercher ailleurs ce qu'elle rechigne à lui offrir. Alors, vous l'imaginez bien, Jack a d'abord été largement conspué par Bibi (appelons Bibi mon jugement qui se manifeste parfois presque par lui-même sans que je n'aie à le solliciter), mais la suite des faits a semé le doute dans l'esprit de Bibi : Jack se targue de faire preuve d'honnêteté en proposant ce "deal" à Fiona, de ne pas pouvoir renoncer à sa vie sexuelle même par amour de Fiona, et là-dessus, Bibi comprend bien qu'il y a des choses difficiles à réconcilier : l'amour doit-il mener à refréner tout besoin personnel pour le bien-être et l'équilibre de l'autre? N'est-ce pas l'autre, alors, qui fait preuve d'égoïsme en acceptant cette négation des besoins de sa moitié par elle-même? Bref, Bibi a son avis sur la question, mais force est d'admettre que ce n'est pas forcément tout blanc ou tout noir (disons simplement que Jack est un peu gonflé).

Ensuite, évidemment, vient le cas Adam : un juge est humain, peut-il savoir en toutes circonstances ce qui est dans l'intérêt d'un enfant? Et lorsque l'enfant presque adulte donne toutes les preuves de son discernement et de sa maturité, peut-on le laisser décider librement de sa vie, et de sa mort? Sous quelles conditions les croyances religieuses peuvent-elles être écartées, qui peut définir le moment à partir duquel elles deviennent nocives pour celui qui s'y soumet?

L'auteur apporte des bribes de réponse, en proposant le choix de Fiona, et en démontrant quelles sont les répercussions possibles de ce scénario. A mon sens, le récit tire sa force de ce que ce scénario n'est pas parfait, et qu'aucune des deux solutions ne pouvait être satisfaisante (bien sûr, dans une proportion différente pour chacune d'elles).
Ian McEwan nous fait donc réfléchir sur des questions qui peuvent s'édifier en questions de société, dans la mesure où elles interrogent les possibilités de cohabitation du libre arbitre de chacun et des règles instituées collectivement pour la bonne marche de la société, règles qui peuvent représenter une certaine ingérence dans le sentiment de liberté de chacun et de disposition de son corps, dans le cas présent.
Ajoutez à cela que le style est clair et efficace, on obtient un roman très intéressant, dont la portée va au-delà du simple plaisir de lire une histoire.


Pour vous si...
  • Vous n'aimez rien tant que les romans qui posent des questions complexes, sur lesquelles trancher n'est pas chose facile. Parce que, bon, dire que le harcèlement conjugal n'est pas une bonne chose, merci Eric, mais il n'y a pas vraiment pas de débat (ce qui ne veut pas dire que ça n'existe pas...).
  • Vous êtes persuadé qu'une femme peut avoir conservé tout son charme à 60 ans, voire, être au paroxysme de son aura.

Morceaux choisis

"L'intérêt d'un enfant, son bien-être, tenait au lien social. Aucun adolescent n'est une île. Elle croyait que ses responsabilités s'arrêtaient aux murs de la salle d'audience. Mais comment auraient-elles pu s'arrêter là? Il était venu la retrouver, cherchant ce que tout le monde cherche, et que seuls les gens qui croient à la liberté de penser, et non au surnaturel, peuvent donner. Du sens."


Note finale
3/5
(dérangeant)

mardi 23 février 2016

Enterré vivant, Sadeq Hedayat

Après la découverte de quelques-unes de ses nouvelles, je poursuis mon exploration de l'oeuvre de l'écrivain iranien Hedayat, avec un court roman au titre anxiogène : Enterré vivant.
Que les iraniens sont gais.



Le synopsis

Le narrateur, accablé par l'absurdité de l'existence, décide d'en finir avec la vie.
Mais se suicider est moins simple qu'il n'y paraît, et ses tentatives se soldent par des échecs successifs, comme si son destin était de souffrir continuellement sans pouvoir mettre un terme à son quotidien terne.


Mon avis

Dans la série des livres qui rendent heureux, je ne demande pas le livre d'Hedayat!
Attention, déprime en perspective : les chroniques d'un dépressif qui cherche à mourir par tous les moyens, avec un peu de recul, cela peu sembler cocasse, mais cela reste néanmoins une lecture un peu lugubre.
L'écriture de l'auteur a quelque chose d'envoûtant, prend le lecteur au piège comme dans la toile d'une araignée, et l'on se retrouve associé au sort du narrateur, en se demandant ce qu'il va advenir de son projet et comment il peut parvenir à le mener à bien (car cela semble être de toute évidence son souhait le plus cher).
Cette courte lecture confirme donc pour moi le talent de conteur d'Hedayat, et, de manière paradoxale, me donne envie de continuer l'exploration de son oeuvre, alors même que j'ai refermé ce petit volume avec des idées un peu noires, et une vision défaitiste de la vie (je vous rassure, deux jours après j'ai mangé un MacDo et ça m'a fait retrouver mon optimisme naturel).
Intriguant, donc, cet univers que je commence à appréhender à travers cet écrit et les nouvelles lues il y a quelques semaines : Hedayat a une empreinte forte, assez captivante, qui me fait entrevoir pourquoi il est ainsi cité comme un grand écrivain iranien.


Pour vous si...
  • Vous vous accommodez fort bien du fait que le titre du roman ne soit qu'une métaphore
  • Vous en avez marre de plaindre les gens qui ont peur de la mort. Et ceux qui la souhaitent, qui l'espèrent, tout cela en vain, hein, on en parle??

Morceaux choisis

"Non, personne ne prend la décision de se suicider : le suicide est en certains hommes, il est dans leur nature. Oui, le sort de chacun se lit sur son front ; et le suicide naît avec certaines gens. J'ai toujours pris la vie à la légère ; le monde, les gens, tout me paraît un jeu, une bagatelle, quelque chose d'absurde et dépourvu de sens. Je voulais dormir et ne plus me réveiller, ne plus rêver. Mais puisqu'aux yeux des hommes le suicide demande un effort étrange et bizarre, je veux tomber gravement malade d'abord, puis m'affaiblir et lorsque tout le monde se sera habitué à mon état, prendre de l'opium et mourir enfin. Ainsi on dira : il tomba malade et mourut."

"Que faire? Le sort est plus fort que moi.
Ah! Si l'homme pouvait renaître et recommencer sa vie avec l'expérience qu'il a de l'existence! Mais quelle existence? Est-elle entre mes mains? A quoi bon? Certains pouvoirs aveugles et effrayants nous dominent ; il y a des hommes dont une étoile néfaste dirige le destin, ils se brisent sous son poids et veulent être brisés..."


Note finale
3/5
(inquiétant)

lundi 22 février 2016

La tyrannie de la réalité, Mina Chollet

Nombre Premier est fan de Mona Chollet, donc il était inconcevable que je ne lise pas Mona Chollet.
Voilà.



Le synopsis

L'auteur s'attaque au concept de réalité, brandi de toutes parts pour nous sommer de nous rendre à sa valeur qui surpasse toute autre, et au nom duquel nous nous enlisons dans des vies qui ne nous rendent pas heureux. Au programme : le travail, la littérature, le consumérisme, avec, à l'horizon, le bonheur.

Mon avis

Ce qui est appréciable, dans cet essai, et entre autres choses, c'est que l'auteur ne mâche pas ses mots, et n'hésite pas une seconde à prendre partie sur des sujets d'actualité sur lesquels on peut être partagé, voire indécis.

Ses différentes réflexions s'articulent habilement toujours autour du concept de réalité, qu'elle déshabille pour voir ce qu'il reste une fois que l'on enlève le vernis et que l'on analyse ses résonances dans différents domaines.

Ainsi, le travail, avec, en trame de fonds, la réalité du marché de l'emploi, et ce que cela recouvre : l'obligation d'occuper un emploi, de renoncer à une part de rêve, de se ranger aux implications concrètes d'un marché saturé et où le bonheur des individus n'est pas la finalité du système.

Ainsi, la littérature, où une part de rêve est encore possible, mais qui peut aussi être prise en otage par des auteurs qui se targuent de lever le voile sur la réalité, et en sont les tristes sbires en décrivant un monde aux mécanismes implacables qui laisse peu de place à l'espoir, à l'humanisme.
C'est en réalité la culture qui est fouillée ici, et notamment, le rôle que jouent la télévision et les médias dans cette vision de la réalité qui est véhiculée, alarmiste et lugubre, en un mot pessimiste.

Car c'est de cela qu'il est question : ceux qui déclarent agir en sachant ce qu'est la réalité, et disent que c'est en vertu de cela qu'ils prennent les mesures requises, que ce soit en politique, dans l'entreprise, ou dans l'art, défendent en réalité une vision de cette réalité qu'ils imposent aux autres, qui est largement diffusée de toutes parts et est avant tout une vision conformiste et défaitiste de la société, qui évacue sans pitié la rêverie chère à l'auteur, et toute forme d'imagination et d'originalité.

L'essai est bien construit, et aborde une belle palette de sujets pertinents autour du thème de la réalité, permettant de dresser un tableau de la supercherie qui nous est jouée au nom de la réalité, et qui nous pousse à renoncer à toute forme d'ambition non-conformiste, de velléité de s'écarter des "existences sérialisées", en nous condamnant nonobstant à une insupportable solitude.

Cette mise en bouche est donc tout à fait réussie, je me réjouis de découvrir prochainement Chez soi, une odyssée de l'espace domestique, un ouvrage dont le seul titre me donne l'impression de m'être personnellement destiné.


Pour vous si...
  • Vous êtes profondément du clan des rêveurs, et à ce titre, vous avez l'impression d'être décalé dans le monde qui vous entoure et qui semble ostensiblement hostile
  • En votre qualité de rêveur, vous vous êtes déjà fait admonester au nom de la réalité : "regarde la réalité en face", etc.
  • Lire Michel se faire défoncer est l'un de vos péchés mignons

Morceaux choisis

"Peu d'idées sont autant galvaudées que celle de réalité. Des hommes politiques, des chefs d'entreprise, des économistes, des intellectuels, des romanciers la brandissent comme un argument terroriste, définitif, censé couper court à toute discussion. Mais ne faudrait-il pas examiner de plus près ce que recouvrent ces invocations? Après tout, la question est sérieuse : la réalité serait-elle inéluctablement dans le camp des réactionnaires?"

"La réalité constitue désormais la valeur étalon. Elle est le seul dieu que nous vénérons ; le dernier qui reste en magasin, peut-être. De tous côtés, on se vante de la connaître (mieux que les autres), de la regarder en face (contrairement aux autres), on s'en prévaut, on s'en dispute la caution. On condamne résolument l'imaginaire et le rêve, perçus comme des enfantillages, comme les symptômes d'un désir de fuite, d'une incapacité à affronter la vie."

"Ne pourrait-on pas prendre acte de la pénurie [de travail], et trouver un autre axe à nos vies, au lieu de continuer à avancer imperturbablement vers l'enfer généralisé? Cette question, les puissances établies ont tout intérêt à l'éluder. La grande majorité de ceux qui perdent leur emploi, et qui le vivent comme un écroulement total de leur univers, n'ont, eux, pas les moyens de la poser. En revanche, une minorité de chômeurs et de précaires a été amenée non seulement à y réfléchir, mais à jeter les bases d'une société de dépassement du travail. Elle a développé spontanément des activités épanouissantes qui échappent à la sphère marchande tout en ayant souvent une utilité sociale bien supérieure."

"La souffrance due au travail et la peur de le perdre ; la souffrance de devoir en chercher un et la peur de ne plus réussir à assurer sa subsistance ; l'obligation de sacrifier son temps de vie à des activités pénibles et inutiles, voire nuisibles, sous peine d'être privé de ressources; mais aussi la généralisation de la précarité et de la flexibilité.
De toute cela, à quoi il faut ajouter la conscience permanente de la violence du monde que  nous donnent les moyens d'information omniprésents, il résulte une impression d'astreinte totale à la réalité. L'expérience contemporaine la mieux partagée est peut-être celle de cet effroi, de cette angoisse taraudante, épuisante, qui interdit de se laisser aller à la rêverie, ce luxe  inaccessible, ne serait-ce qu'un moment."

"L'écrivain n'invente pas, il découvre. Plutôt qu'une fantasmagorie inepte et superflue, le rêve fait figure de composant indispensable de la réalité. Sans lui, elle est une réalité incomplète, malade, mutilée; il est le garant de son intégrité et de sa plénitude."

"La réalité est un serpent paralysant sa proie de son regard fixe : ce serpent, Michel Houellebecq en interprète idéalement le rôle. Même si on est convaincu que sa prétention au statut d'écrivain repose sur une imposture grossière, il n'y a pas à protester contre la place envahissante qu'il occupe : les affinités de ses livres avec la logique médiatique, l'impression de familiarité qui en découle et qu'un vernis habile suffit à faire confondre avec de la pertinence, sont telles que son succès est parfaitement cohérent, parfaitement dans l'ordre des choses. Que l'on puisse prendre ses livres pour de la littérature, en revanche, tient à la facilité avec laquelle on se laisse intimider, hypnotiser par ce regard de Méduse; à la faiblesse de nos défenses immunitaires face à cette réalité proliférante qui nous assiège de toutes parts. Capitulons devant un système qui fait de la réalité immédiate la valeur suprême, et interdit toute autre attitude que celle consistant à la contempler en face, sans ciller, sans interroger les modalités de sa production."

"Il s'agit donc de nous persuader plus ou moins insidieusement que, pour nous rendre heureux, un produit vaut mieux qu'une personne. Il en résulte une solitude dévastatrice, qui permet encore de vendre de la relation et de l'amour."

Note finale
3/5
(stimulant)

dimanche 21 février 2016

Camille, mon envolée, Sophie Daull

En projetant de lire le premier roman de Sophie Daull, je savais précisément où j'allais mettre les pieds : le récit de la disparition de sa fille de 16 ans, foudroyée par une fièvre inexplicable ayant duré quatre jours à la veille de Noël, ça ne s'annonçait pas très gai. Mais bon, si les échos admettaient la tristesse inévitable, ils disaient aussi que c'était un beau livre.
Comme de toutes façons Février est toujours un mois un peu pourri, j'ai pensé que c'était, en fin de compte, peut-être le meilleur moment pour s'y résoudre. 




Le synopsis

La narratrice est précisément l'auteur, et elle raconte les quatre jours qui ont précédé la mort de sa fille Camille, âgée de 16 ans, terrassée par la fièvre et décédée sans véritable motif médical (du moins durant les premières semaines suivant sa disparition). Au cours des quatre mois qui suivent son décès, Sophie Daull prend la plume et retrace les derniers moments passés avec sa fille, et les semaines qui constituent "l'après". 

Mon avis

Je ne surprendrai personne en annonçant que ça n'a pas été une grosse marrade.
En fait, Camille, mon envolée est plutôt le roman qui vous fait perdre la face, lecteurs du métro et des lieux publics, qui vous contraint à renoncer à votre dignité, puisque vous vous retrouvez invariablement à pleurer sur chacune des 200 pages du bouquin, sans retenue, et sans la moindre forme d'élégance, il va sans dire (reniflements et sanglots étouffés seront au rendez-vous, je vous en fais la solennelle promesse).
Cependant, cette douleur qui se diffuse et se partage n'est pas exposée sans pudeur, et le récit de Sophie Daull est effectivement un très beau récit, vrai, qui ne sombre pas dans la véhémence ou la haine, la recherche d'un coupable, qui serait toutefois compréhensible.
Bien sûr, les parents s'interrogent, veulent comprendre, savoir ce qui leur a ravi leur fille, se demandent si elle aurait pu être sauvée, mais leur discours n'est pas un discours d'accusation du corps médical (qui a pourtant un peu négligé leur fille aux urgences par exemple, et semble surtout songer à se couvrir les fesses contre toute attaque en justice).
La tendresse de la narratrice imprègne chaque mot, lie les phrases entre elles, j'ai ressenti une émotion proche de celle qui se dégageait d'un tout petit rien de Camille Anseaume, qui évoquait aussi la maternité, mais dans un contexte très différent, et sans le poids du deuil.
Les allers et retours permettent d'appréhender les moments de ce deuil inacceptable, injuste, et toute la palette des émotions éprouvées par la mère.
Il n'y a pas de tentative de dissimuler, d'attendrir, d’apitoyer, le roman, qui s'adresse à Camille et emploie le "tu" qui lui est destiné, nous invite dans une intimité brisée, les vestiges d'une existence perdue, dans laquelle Camille était vivante et illuminait le quotidien de sa mère.
C'est fulgurant, somptueux et cruel, un bijou qui, à l'instar du souvenir laissé par Camille, irradie et déchire.
A découvrir, cloîtré chez soi, à l'abri de tout regard extérieur, si vous ne voulez pas passer pour l'hystérique émotif de service.


Pour vous si...
  • Vous avez le cœur accroché
  • Vous avez des mouchoirs à portée de main (à ne pas sortir du contexte)

Morceaux choisis

"Demain, chaton, on sera le 23 janvier, le premier anniversaire de ta mort, tant qu'on les compte en mois ; ce sera aussi ma première sur scène depuis que tu ne m'y applaudiras plus jamais."

"Je supporte mal l'idée de vivre encore au moins un temps long comme l'oubli de ta mort.

Je supporte mal l'idée de vivre encore au moins un temps long comme ta vie, seize ans. Et pourtant mon espérance de vie statistique m'y condamne à coup sûr.
Désormais je vais faire ça : vivre la vie des en-allées trop tôt. Je dure dans trois vies de femmes maintenant, la mienne, la tienne et celle de ta grand-mère jamais connue.
Je vais inventer tes après-16 ans, ses après-45 ans. Je vivrai pour trois, mes envolées, je vivrai au cube, je serai l'antifantôme, l'ultraspectre, la démolie qui vit de vos restes, de vos âmes, en miettes."


Note finale
4/5
(très beau)

samedi 20 février 2016

Latitude zéro, Mike Horn

L'une des choses que je kiffe le plus dans la lecture, c'est la liberté absolue de passer du coq à l'âne.
Par exemple, de passer d'un récit douloureux sur la disparition d'un enfant, au journal de bord d'un mec qui décide de faire le tour du monde sans jamais s'éloigner de la latitude zéro.
Douche froide et dépaysement garantis.



Le synopsis

Mike Horn décide d'entreprendre un tour du monde en suivant fidèlement la latitude zéro (c'est un peu comme les soirées à thème, c'est toujours plus ou moins fun, visiblement Mike a chopé "latitude 0" au tirage au sort, j'imagine que ça aurait pu être pire... ("faites le tour du monde à cloche-pied", ou "faites le tour du monde sans parler à personne"....)).
Il nous emmène donc dans cette aventure, qui n'est pas de tout repos.


Mon avis

Voici un roman qui va vous donner des sueurs froides, et démystifier la chimère du tour du monde forcément spirituel et romantique.
Avec Mike, on va de galère en galère, et s'il y a une chose qu'il faut lui accorder, c'est que le monsieur est plein de ressources.
Il faut dire que c'est presque un pré-requis, quand on va au-devant de tels déboires...

Reprenons : Mike voyage autour du monde, principalement dans son petit bateau ou dans une pirogue ou à pied, souvent tout seul (et d'ailleurs ça se passe limite mieux quand il est tout seul que quand quelqu'un décide de lui fausser compagnie et se révèle être un boulet), et évidemment il se retrouve à traverser des territoires pas vraiment bien famés, ce qui le conduit à se retrouver dans des situations relativement inextricables, et qui m'ont fait éprouver soudain une irrépressible tendresse pour ma place assise au chaud dans la rame du métro parisien.
Je pense par exemple à sa lente progression en pleine jungle, qui devient encore plus lente quand il se fait piquer par un serpent qu'il n'a même pas vu mais qui dont la morsure le terrasse au point qu'il passe trois ou quatre jours à comater tout seul dans la cambrousse.
Ou alors, en Afrique, lorsqu'il se retrouve aux prises avec des clans locaux sans trop savoir quelle carte jouer pour ne pas être suspecté d'être un espion et ne pas finir sommairement abattu dans un endroit inconnu où son corps ne sera probablement jamais retrouvé.
Forcément, après ça, je me suis sentie un peu douillette en rechignant à aller faire mon jogging hebdomadaire parce qu'il bruinait un peu.

Latitude zéro vous emporte loin de vos zones de confort, vous plonge dans la réalité d'un défi personnel qui n'a rien d'une promenade de santé : il y a, bien sûr, des moments de grâce, un enrichissement fort, mais aussi une tension permanente, des problèmes à résoudre continuellement, avec ce sentiment tenace que, si Mike a du soutien au travers de son entourage qui l'aide à distance (pour obtenir ses visa d'entrée dans les pays, le réapprovisionner à certaines étapes du parcours, etc), sa subsistance dépend en grande partie de lui, de l'énergie déployée au quotidien pour éviter les embûches et trouver des solutions là où semble n'en exister aucune.

Une lecture instructive, en somme, où le style n'est bien entendu pas le critère d'appréciation principal, mais où l'on voyage sans se laisser bercer d'illusions douces, en appréhendant avec pragmatisme les enjeux réels qu'il peut y avoir à mener à bien une entreprise scindée entre ce qu'elle a d'idéaliste en tant que projet, et les obstacles concrets auxquels elle est confrontée.


Pour vous si...
  • Vous avez besoin d'exotisme, mais en même temps sans trop prendre de risques (ie sans mettre le nez dehors)
  • Pour vous sortir du marasme de février, vous aimeriez mettre en perspective vos petits malheurs avec des trucs qui craignent vraiment, histoire de vous dire que vous n'êtes pas si mal lotis (bravo pour la positive attitude, Dieu ou votre boss vous en seront gré)

Note finale
3/5
(dépaysant)

vendredi 19 février 2016

Le renversement des pôles, Nathalie Côte

Voici, de nouveau, un premier roman, qui promettait de parler du couple et de ses désillusions.
La Saint Valentin est désormais derrière nous, il n'y a aucun scrupule à détricoter les belles apparences pour dévoiler la morne réalité qui se cache derrière le mode de vie exclusivement reconnu comme le meilleur dans notre merveilleuse société moderne (comment, j'ai vraiment l'air aigrie?...).



Le synopsis

Près de la Méditerranée, deux couples louent deux appartements voisins dans une résidence de vacances, les Bourdon et les Laforêt.
D'un côté, Arnaud et Claire, l'un passionné de microphotographie, l'autre férue de sport et de son apparence physique, et s'ennuyant ferme dans son couple, jusqu'à la rencontre par hasard de Simon, un cinquantenaire marseillais au style clinquant qui lui offre son premier orgasme (merci Monsieur).
De l'autre, Vincent et Virginie, le premier devenu accros au trading en ligne et aux sites pornos, frustré de ne pouvoir répondre aux attentes consuméristes de sa femme qui lui reproche infatigablement de ne pas gagner plus, et la deuxième, mal dans sa peau et persuadé que son mari va finir par la tromper étant donné qu'elle se juge absolument repoussante du fait de son surpoids.
Au fil de leur séjour, les apparences vont se craqueler, et les mettre face à leurs contradictions et à l'insatisfaction que leur procure leur vie (rien que ça).


Mon avis

J'avais repéré Le renversement des pôles depuis septembre, parmi la liste des publications de la deuxième moitié de 2015.
C'est donc avec une certaine impatience que je me suis plongée dedans, et mon ressenti est assez partagé.

Les premières pages du roman sont absolument truculentes, l'auteur y démontre un humour féroce dans le portrait brossé de nos quatre protagonistes, on se croirait dans une satire de la classe moyenne française.

Et puis, on rentre dans l'intrigue, et cet humour s'estompe graduellement, il y a bien sûr toujours des touches d'humour ça et là, mais le style sardonique de l'introduction se dilue définitivement et n'est jamais retrouvé dans les mêmes proportions par la suite.
Cet aspect m'a quelque peu déçue, je dois le dire, car j'avais vu dans les premières pages une promesse, qui, n'étant pas tenue, m'a donné un sentiment d'inégalité.

Cependant, en dépit de ce point, l'intrigue ne manque pas d'intérêt par ailleurs, et l'on se plaît à voir évoluer nos personnages comme des souris cobayes dans un labyrinthe sans sortie.

L'auteur dresse des portraits au vitriol : ses protagonistes sont mesquins, faibles, insatisfaits et égoïstes, ils n'hésitent pas à tomber dans les menaces, le chantage (Arnaud face à Claire lorsqu'elle le trompe), ou à blesser leurs proches pour assouvir leurs plaisirs (Claire qui délaisse Arnaud et son fils pour aller coucher avec son amant). Ils ne sont guère courageux (Vincent se cachant pour s'adonner à ses petits vices), leurs préoccupations sont à la fois commune, et parfois un peu méprisables (l'intérêt de Virginie pour les apparences au travers du modèle de sa voiture). Ils sont très humains, dans ce que cela implique de peu glorieux. Il serait facile de s'identifier, tant ils ressemblent à tout le monde, et pourtant, toute ressemblance serait honnie, dans la mesure où il n'y a rien d'admirable chez ces êtres lambda.

On se plaît à détester l'un, puis l'autre, à leur trouver des excuses, c'est une danse cruelle, qui égratigne l'image d'Epinal des couples bercés dans une routine débilitante, révélant les petites compromissions, les bassesses, les déceptions ravalées pour faire bonne figure, la solitude infernale.

Une peinture sociale qui ne manque pas de justesse ni de toupet, prompte à dénoncer la condition du couple moderne, de ces hommes et femmes coincés dans des rôles, des images et des obligations qui leur pèsent et brouillent les pistes du bonheur.


Pour vous si...
  • Vous n'en pouvez plus de ces couples qui pullulent autour de vous, et rêvez secrètement, en aigri que vous êtes, qu'ils se fracassent tous irrémédiablement contre les rochers les uns après les autres, pour que les gens arrêtent de vous agresser en affichant sempiternellement le bonheur ineffable d'être deux.
  • Vous êtes un amoureux des bouledogues français. Il y a un dans le roman, et je peux vous dire qu'il a un rôle important.

Morceaux choisis

"L'amour a ceci de commun avec les chambres à air qu'il éclate sans prévenir quand il ne fuit pas sournoisement. [...] Débarrassé de ce présupposé romanesque, l'infortuné trouvera dans la télévision, le bricolage ou le single malt des compensations très valables. Il peut aussi préférer la culture des orchidées ou l'observation des libellules demoiselles au 105 mm." (Best phrase d'incipit ever)

"Pour conjurer les effets délétères du temps, trois fois par semaine elle pédale dans une eau froide sous l’œil faussement inquisiteur d'un coach au crâne rasé. Ni le vent qui balaie le parking l'hiver ni l'odeur suffocante du chlore ne la détournent de ce chemin de Damas tracé par un prophète en slip de bain." (best description de l'aquabike ever)

"Le renversement des pôles est un phénomène récurrent au cours duquel le champ magnétique de la Terre s'inverse. [...] A l'issue de la phase de déplacement, soit le pôle revient à sa configuration initiale et on parle d'excursion, soit il se maintient dans sa nouvelle position, on parle alors d'inversion."


Note finale
3/5
(cool)

mercredi 17 février 2016

Quand j'étais vivant, Estelle Nollet

Deuxième lecture dans le cadre de la bibliothèque Orange : cette fois-ci, direction l'Afrique et ses réserves exotiques, avec Quand j'étais vivant, d'Estelle Nollet.



Le synopsis

Quatre protagonistes se retrouvent alors qu'ils viennent de mourir, qui se côtoyaient de leur vivant, enfermés dans une pièce où sont projetés des films de leur vie : un homme blanc, Harrison, un homme noir, N'Dilo, un jeune garçon albinos, Juma, et l'éléphante Pearl.
Tous ont vécu à proximité d'une réserve en Afrique où ils ont passé leur vie, ont vu leur quotidien changer, les braconniers tuer les animaux sans pitié et laisser derrière eux des charniers pour vendre l'ivoire des éléphants ou la fourrure d'autres bêtes, la réserve s'est transformée au fil du temps en destination touristique. Harrison se remémore la mort violente de sa femme, Travis, l'arrivée de Juma qu'il a pris sous son aile et aimé comme un fils, cet enfant avec un moignon en guise de bras, qui a fui la communauté où il vivait avec d'autres albinos, dont les membres étaient prisés pour être revendus. N'Dilo a été élevé avec Harrison, fils de la domestique employée par la famille d'Harrison, renvoyée après avoir été violée par une connaissance du père d'Harrison. Il a servi toute sa vie durant un chef de guerre brutal qui l'a finalement torturé avant de lui rendre sa liberté. Pearl, quant à elle, a vécu dans la réserve d'Harrison, et a noué un lien de proximité inédit avec Harrison et Juma.
A mesure que les films défilent, leur vie se dessine, et certains enjeux jusqu'alors occultes sont révélés au grand jour.


Mon avis

Voilà une lecture que je ne vais pas oublier de si tôt!

L'approche est assez originale, reconnaissons-le : grâce au procédé consistant à placer les protagonistes morts dans une même pièce en les contraignant à voir défiler leur vie, le lecteur appréhende à la fois les liens et les tensions qui existent entre eux, certains éléments sont dévoilés au fur et à mesure, tandis que les tranches de vie dans lesquels on est plongés à la manière d'extraits vidéos détaillent le parcours de chacun, son caractère, ses blessures, tout ce qui a été marquant pour lui.
La construction est donc particulièrement ingénieuse, maintient le suspense jusqu'à la toute dernière page du roman, et donne à l'intrigue une structure et un rythme agréables.

En outre, il y a, bien entendu, le sujet et le lieu : une réserve africaine dans la deuxième moitié du XXe siècle, c'est aussi insolite que passionnant!
Le cadre est minutieusement décrit, on fait le tour des animaux de la savane, et l'on aborde les enjeux géopolitiques régionaux dont on entend tous parler, sans peut-être les associer à une réalité (celle, par exemple, des charniers d'animaux massacrés pour que certains de leurs attributs soient revendus sur le marché noir).
Il n'y a pas, cependant, de discours simplifié ou parcellaire : les pages consacrées au débat entre Harrison et N'Dilo m'ont paru particulièrement percutantes, dévoilant la complexité qu'il y a derrière des situations dont au peut, au demeurant, croire qu'elles sont faciles à lire : Harrison a beau jeu de reprocher à N'Dilo son engagement aux côtés d'un homme sanguinaire qui a décimé un grand nombre de gens et plus encore d'animaux, il est intéressant de lire les arguments que lui oppose N'Dilo, concernant l'appropriation des terres par les blancs, le double jeu joué par les pays occidentaux condamnant les guerres ethniques locales mais fournissant les armes et achetant l'ivoire, ou encore la transformation de la réserve en lieu de tourisme où les animaux évoluent comme dans un zoo.
Personne ne ressort blanc ou noir de cette confrontation, en revanche, le lecteur dispose d'éléments instructifs pour comprendre les problématiques soulevées par l'intrigue.

Le style est vif et imagé, les mots d'Estelle Nollet ont une saveur d'ailleurs, même les comparaisons s'écartent des lieux communs et sont revisitées à la sauce locale, donnant au récit une empreinte et une couleur singulières.

Cette découverte est donc très concluante, j'ai pris grand plaisir à m'immerger dans l'aridité africaine et la palette des animaux étranges qui y prospèrent - ou pas, justement.


Pour vous si...
  • Vous attendez d'une lecture qu'elle vous transporte en territoire inconnu
  • Vous êtes persuadé que les éléphants ne nous en veulent pas vraiment
  • Vous ne vous faites pas d'illusion sur l'amitié, et savez bien, au fond, que vos amis seront les premiers à vous poignarder dans le dos quand l'occasion se présentera (auquel cas, vous apprécierez sans doute le livre, mais prenez soin s'il vous plaît de me soigner ce petit côté misanthrope, hein?)

Morceaux choisis

"Ce jour-là, Harrison réinstalla le hamac sous la véranda et s'endormit en moins de temps qu'il n'en faut à un python pour mordre un daman et l'étouffer."

"Domino devant lui semblait ne pas se soucier de la boue qui le ralentissait à peine, alors qu'Harrison serrait les mâchoires à chaque fois qu'il extirpait les pieds du sol gluant et s'essoufflait comme un zèbre qui aurait tenté maintes fois de ruer et de se relever malgré les griffes des lionnes qui l'auraient cloué au sol avant de planter leurs crocs dans sa trachée et de resserrer leur étau pour l'étouffer." (Voilà quelqu'un qui a le sens de la comparaison. A réexploiter).


Note finale
4/5
(excellent)

mardi 16 février 2016

Un printemps 76, Vincent Duluc

Voici le fruit de ma première participation à l'opération de Babélio, Masse Critique, qui propose de recevoir un livre et d'en faire la chronique.
J'ai reçu un roman choisi un peu par hasard, Un printemps 76, de Vincent Duluc, et je dois bien dire que je suis restée un peu circonspecte en comprenant que l'auteur est un journaliste sportif.
Mais vous serez ravis de savoir que je ne me suis pas dégonflée pour autant.



Le synopsis

L'auteur livre les souvenirs qui constituent son été 1976, dans la ville de St Etienne. Il nous parle des Verts, de Dominique Rocheteau, du stade, mais aussi du contexte économique et social, et de ses préoccupations d'adolescent.


Mon avis

Les premières pages, je dois bien l'avouer, m'ont fait redouter le pire : la perspective de 200 pages passant en revue les matchs de la saison 1976 n'était guère réjouissante pour la béotienne que je suis.

Pourtant, peu à peu, j'ai été surprise de constater que l'histoire m'absorbait, et que le récit prenait. La restitution réalisée par Vincent Duluc est saisissante : nombre détails de toutes sortes contribuent à dessiner le contexte de 1976, si bien que l'on peut appréhender en lisant l'atmosphère de cette année-là, l'euphorie mêlée d'ennui du narrateur adolescent, la relation contradictoire qu'il entretient avec St Etienne et son équipe.
Force est de reconnaître que je n'ai pas forcément pu identifier tous les protagonistes, figures emblématiques du foot de ces années-là, mais cela rajoute à l'exotisme de l'ensemble, et rendre St Etienne exotique, c'est tout de même remarquable.
Et puis, les faits et les descriptions font du récit par moment une analyse quasi-sociologique du milieu dans lequel évolue le narrateur, ce qui ajoute encore à l'intérêt du récit.
La langue, enfin, est précise et travaillée, rend la lecture fluide et vivante.
C'est en somme une belle découverte que la lecture de ce roman, que rien ne me prédestinait à apprécier, et dont je garderai pour finir un souvenir agréable.
Inattendu!


Pour vous si...
  • Même si vous ne comprenez rien au foot (et n'avez pas l'intention d'en savoir quoi que ce soit un jour)
  • Même si vous avez la plus grande antipathie pour le club de St Etienne : il n'y a pas que le foot dans la vie, vous apprendrez des choses intéressantes sur les milieux ouvriers dans la région pendant les années 1970.

Morceaux choisis

"Grandir dans ma province avec Saint-Etienne juste à côté, en 1976, c'était habiter Naples au pied du Vésuve, c'était savoir que le cœur de l'univers avait soudain été déplacé, qu'il se rapprochait de nous mais sans nous inclure, et c'est pour cela que l'on se levait, pour voyager, franchir la frontière et ressentir l'appartenance au monde."

"Les footballeurs qui remerciaient le ciel pour leurs victoires n'avaient pas assez confiance en eux, le ciel n'y était pour rien et partageait ses bienveillances avec leurs adversaires, mais c'était une manière de mettre un nom sur ce qui échappait à leur contrôle, le hasard, le rebond, l'irrationnel. Le ballon."

"J'ai toujours voulu partir mais ma province est devenue ma mesure du temps, je le sens filer en voyant grandir les enfants des autres lorsque mes retours s'espacent. Je ne nous aurais pas vus changer, sinon."

"Je n'ai jamais cessé de courir mais je vais un peu moins vite, j'ai essayé de ne pas passer d'un rêve à un objectif, d'un idéal à une perspective réaliste ; le rêve est nimbé de modestie et mieux considéré, l'objectif a un goût de plan quinquennal accouché par l'administration, et si le point d'arrivée est le même, le chemin a tout changé, il dit ce que nous sommes et ce que nous avons vécu."


Note finale
3/5
(cool)

lundi 15 février 2016

Retour à Zornhof, Gérard Oberlé

Gérard Oberlé était sur ma liste des auteurs à découvrir depuis que je l'avais découvert dans une émission littéraire. J'ai emprunté Retour à Zornhof un peu par hasard, en pensant qu'il s'agirait d'un recueil de poésie. Et bien non : c'est un roman.
Et comme le nom aurait dû me le suggérer, ça se passe dans l'Est. 
Allons donc faire un tour en Alsace.



Le synopsis

Après une longue absence, Henri Schott, écrivain, rentre dans son village natal. Il se souvient de sa grand-mère Baba, de son oncle Gus, qui lui a inspiré un roman. Sur sa route, qui s'apparente à un pèlerinage sur les lieux de sa jeunesse, il croise Marlène, tenancière d'une auberge, et Mathias, le gitan. Avec eux, il partage des moments de connivence et de nostalgie, sur les traces d'un passé qui le hante soudain.


Mon avis

Cette ballade alsacienne aux côtés d'Henri Schott a été des plus plaisantes!

Il faut dire que l'auteur nous fait voyager dans le passé du narrateur, nous conte des anecdotes oubliées, met en scène les figures qui ont marqué son enfance puis son adolescence, et jusqu'à sa dernière entrevue avec sa chère Baba.

L'homme se cherche, il trouve comme souvent sur sa route d'autres êtres singuliers, parfois fêlés eux aussi, à l'instar du gitan, Mathias, devenu paria dans sa propre famille et dédaigné par ses fils, lui qui est avant tout un homme humble et amoureux de la nature. Marlène est, elle, pleine de vie, elle en impulse à Henri à son tour, avec naturel et légèreté.

Henri Schott pérégrine, en forêt, au cimetière, il revisite les lieux de son passé, ses errances sont ponctuées par ses méditations, et l'on se prend au jeu avec plaisir, baguenaudant avec lui dans les dédales de sa mémoire, en proie à la nostalgie, à la mélancolie.

Étrangement, l'ambiance imprègne le lecteur, et lui donne, qui l'eut cru, comme des envies d'Alsace! (n'est-ce pas tout à fait loufoque!)
Il y a, finalement, de la douceur qui se dégage de ce récit où point, par moment, une vague tristesse.
De quoi vouloir s'aventurer davantage dans l'oeuvre d'Oberlé!


Pour vous si...
  • Vous êtes sceptiques sur le pouvoir d'attraction du grand Est, et ne demandez qu'à être débouté dans cette croyance solidement enracinée

Morceaux choisis

"Compliqués comme sont les écrivains! Mais comment être simple sans se renier? S'asseoir et ne plus rien faire qu'écouter, puis raconter des histoires avec des phrases simples, des mots de tous les jours? Se dépouiller de ce qu'on est réellement? Brider un cœur qui sans cesse vers son labeur retourne, un cœur saturé d'allégories et de musiques, lourd de tous les deuils que les crépuscules ravivent, un cœur de vieille race chevauchant sans trêve par des contrées qui n'existent plus, prospecteur inlassable en quête de mystères, et qui raconte l'amour et le dégoût des hommes avec des mots qui ne sont que les siens, en s'exposant à l'incompréhension de tous? Est-ce qu'on écrit pour tuer le temps en attendant la barque du funèbre nocher, pour se libérer de l'âpre étreinte du réel, du périssable? Est-ce qu'on écrit parce qu'on ne sait pas vivre et que le cœur s'épouvante à la vue d'un calendrier? Demander à l'écrivain d'être simple, c'est demander à l'éclopé de ne pas boiter. L'écrivain est singulier, incompréhensible, tenaillé nuit et jour par un désir qu'il n'assouvit jamais. Ses ébauches ne touchent sans doute vraiment que quelques-uns, ceux qui écrivent aussi, et de rares lecteurs qui savent que la simple vue d'un étang peut faire mal, ceux qui comprennent le jargon des ramures dans le vent d'octobre, s'émeuvent devant le visage hébété d'un réfugié sur le quai d'une gare, devant un vieux chien qui claudique, et qui s'émerveillent à la vue d'un citron mûr. Ceux qui comprennent que certains mots recèlent des secrets sauvages que les mots d'ordinaire ne divulguent pas."


Note finale
3/5
(cool)

dimanche 14 février 2016

Le voyant, Jérôme Garcin

C'est le top départ de l'aventure Bibliothèque Orange 2016!
Le cycle débute avec Le voyant, un roman de Jérôme Garcin, qui retrace le parcours de Jacques Lusseyran, qui gagne à être connu.



Le synopsis

L'histoire de Jacques Lusseyran, jeune homme aveugle engagé dans la résistance et déporté à Buchenwald, survivant et écrivain.

Mon avis

Le roman de Jérôme Garcin m'a paru présenter un certain intérêt en ce qu'il s'est révélé instructif : peu familière avec la figure de Jacques Lusseyran, c'était l'occasion de tout apprendre, ou presque.

Il faut dire que l'on ressent, à la lecture, combien le récit est documenté, et la note finale confirme cette impression : il semblerait que l'auteur ait bénéficié du concours de la propre fille du protagoniste de son roman, lui permettant d'aller au-delà des faits et de l'histoire, en restituant le visage humaniste de Jacques Lusseyran.

Ainsi le découvre-t-on enfant, alors qu'il a encore l'usage de ses yeux, ainsi assiste-t-on, impuissant, à l'accident cruel qui le rendra aveugle, ainsi voit-on grandir ses appétences pour la littérature, pour la philosophie, et son engagement en faveur de la résistance dès les débuts de la guerre, qui le conduira à la déportation au camp de Buchenwald.
Il est poignant, en lisant Garcin, d'apprendre quels mots Lusseyran a utilisés pour décrire la colline qui caractérise le lieu, lui qui y a vécu l'horreur, mais qui ne l'a jamais vue. 

Le récit décrit les années passées à Buchenwald (on retrouve beaucoup des témoignages rapportés par les survivants, il n'y a guère d'apport de la part de l'auteur dans le traitement du sujet), la mort de son cher ami Jean, et le retour en France. Puis, après le retour,le vide, l'amertume, la disparition de toute passion : lorsque le pays était en guère, Jacques avait une aura qui disparaît avec elle, il ne reçoit pas les honneurs et n'est plus personne dans la France d'après-guerre.
Jacques se marie, devient père, divorce, se marie de nouveau.
En parallèle, il retrouve la littérature, écrit son premier roman.

La plume de Garcin s'avère servir habilement l'intrigue, et fait du roman une lecture honnête.
Et puis, surtout, cela donne envie de lire Lusseyran.


Pour vous si...
  • Vous vous demandez qui diantre est Jacques Lusseyran
  • En dépit des efforts de Romain Villet pour vous en dissuader (je parle de son roman Look), vous croyez dur comme fer qu'un protagoniste aveugle peut nourrir une intrigue passionnante

Morceaux choisis

"Plus tard, il jugera avec laconisme que, "pour un enfant, le courage est la chose la plus naturelle du monde"."

"Les rescapés intimident. Les survivants sont des statues de verre qu'un simple souffle, fût-il affectueux, pourrait briser."


Note finale
3/5
(cool)

samedi 13 février 2016

Cavale, Jean-Claude Pirotte

Jean-Claude Pirotte fait partie de ces auteurs que j'ai découverts parce qu'ils étaient morts.
Sa disparition en 2014 a été relayée dans le milieu littéraire, presse et émissions de radio/télévision.
Et puis, également, la publication de Today we live écrit par sa fille Emmanuelle Pirotte a été l'occasion d'évoquer son nom, leur filiation, l'oeuvre visiblement grandiose du père. 
Vous le comprendrez aisément, je ne pouvais décemment pas continuer à me tenir à l'écart de telle oeuvre.



Le synopsis

L'auteur, repris de justice, raconte son quotidien, les images d'un passé qui le hante, la réalité de la cavale, de l'exil. Il parle de sa vieille amie la Gitane et son bar, il parle de Mamaque, de Ramiz, du bon vin, de la littérature, des réflexions qui l'habitent, sur la vie, sur la solitude, sur le sens de tout cela.


Mon avis

Sans surprise, c'est une belle découverte que cette Cavale.

J'y ai trouvé matière à réflexion, poésie, figures vivaces et le paysage qui défile, le narrateur emportant partout avec lui ses questionnements, son mal-être ou ses joies, ses goûts, ses souvenirs qui se superposent à la vie réelle.

La plume de Jean-Claude Pirotte est étonnante, elle mélange les mots parfois savants et ceux du franc parler de tous les jours. Des rimes s'insèrent dans sa prose éloquente, le rythme change, la ville aussi, Lille, Joinville-en-Vallage, Corcelles, Figueras... Le mouvement est avant tout celui de la pensée, qui évolue au gré des sujets de tout ordre qui préoccupent notre homme, l'accompagnent dans sa cavale.

Et puis, toujours, certains souvenirs auxquels il revient, parce qu'ils sont empreints de toute l'amertume de ce qui est pour jamais perdu.

Il va sans dire que l'expérience, concluante, est à renouveler, et que je me réjouis de savoir que toute l'oeuvre de Jean-Claude Pirotte m'est encore inconnue, un territoire à explorer, qui promet monts et merveilles.


Pour vous si...
  • Vous vous faites fort de découvrir un poète des temps modernes, qui a véritablement le sens des mots

Morceaux choisis

"Laisser de moi quelque chose, ne fût-ce qu'un soupçon d'apparence, les traces d'un égoïsme mesquin, d'une médiocrité nauséabonde, mais aussi, pourquoi pas après tout? un peu du sel douloureux qui infecte mes blessures. Sempiternelle rengaine de mélo.
Comment demeurer dans la mémoire, sauver de l'oubli la visite d'un couple de pies, la chanson fragile du ciel, et l'agonie des pensées? Comment justifier le droit d'être en vie, d'avoir été vivant? Ai-je donc besoin de me justifier? Quel orgueil enragé m'inflige ce pensum?"

"Ce pays, je n'y suis pas né. Je me l'approprie, j'en épouse les formes, les accidents, les surprises. Je pourrais le désigner comme une terre natale, mais je suis né si souvent déjà, dans le Tyrol, en Gueldre, à Florence, en Sologne. Il fallait que je naisse en cavale aussi, dans la solitude étrangleuse et la misère éblouie. Pourvu que je me souvienne, je pressens bien d'autres naissances, après d'étranges agonies."


Note finale
3/5
(cool)