Mais quelle photo magnifique, un montage technique de toute beauté, c'est du grand art.
Mesdames et messieurs, sous vos yeux éblouis, Tropique de la violence, par Natacha Appanah.
Le synopsis
Sur l'île de Mayotte, Marie est infirmière. Son compagnon l'a quittée, et sa vie manque terriblement d'un enfant qui lui tombe du ciel lorsqu'une réfugiée lui confie son bébé, parce qu'il a un œil vert et un œil marron, signe irréfutable d'une malédiction.
Marie élève Moïse, et lui révèle ses origines à l'adolescence. Moïse s'éloigne de Marie, et rejoint bientôt Gaza, cette zone de non-droits où les laissés pour compte traînent et obéissent à Bruce, qui y règne en maître.
Moïse, comme d'autres, se plie à ses règles, jusqu'au jour où il rencontre Stéphane, un jeune travailleur humanitaire.
Mon avis
Souvenez-vous, je vous ai parlé de Natacha il y a un bon bout de temps... C'était l'une des premières chroniques abritées par le blog, snif, la nostalgie m'envahit...
Tropique de la violence a reçu un bon accueil depuis sa parution, et il est étonnant qu'il n'ait reçu aucun prix, tant sa qualité flirte avec celle des primés, voire la surpasse...
J'ai retrouvé, en lisant le roman, certains sentiments qu'avait provoqué la lecture de Blue Bay Palace : les émotions à fleur de peau, le cœur à vif, la réalité de la misère sur laquelle on ne pose habituellement pas les yeux.
Tropique de la violence porte si bien son nom : la violence affleure à chaque page, sous mille visages, elle existe pour Marie, abandonnée et confrontée à la solitude et à la stérilité, elle existe pour Stéphane, qui se heurte à une réalité largement occultée en métropole, et face à laquelle il est bien démuni, elle existe pour Bruce, dont l'autorité peut vaciller à chaque instant et qui règne par elle, elle existe pour Moïse, pour tous les réfugiés, les enfants abandonnés à eux-mêmes sur l'île, plus cruelle que ce que l'on soupçonne, plus multiple, plus inéluctable.
Le roman alterne les voix, celles de Marie, de Moïse, de Bruce et de Stéphane, et commence par dresser le tableau final pour reconstruire tout ce qui y a mené. Et cette construction exacerbe la dimension absolument tragique du récit : il y a, dans cet enchaînement, dans cet environnement brutal qui n'épargne personne, une fatalité. Moïse, Bruce, tous étaient condamnés d'avance, sans espoir d'absolution ou d'échappatoire.
Tropique de la violence est un roman d'extrêmes, où l'écriture intime et tendre sait dire les choses les plus crues, où le cadre du bidonville se superpose à la vision de l'île paradisiaque, où l'espoir le plus fou côtoie la plus grande détresse, où l'on est au bord du monde et où l'ailleurs est néanmoins inaccessible. Il n'est pas question de se complaire dans tout le malheur du monde réuni sur cette île, l'auteur est discrète et ne laisse poindre aucun jugement, en dépit de personnages qui bousculent jusqu'à notre compréhension du bien ou du mal. Elle va plus loin encore, et nous confronte à ce dont nous nous efforçons de nous détourner, et orchestre subtilement la prise de conscience à laquelle mène inévitablement la lecture de son roman.
C'est davantage que dérangeant ; en ce qui me concerne, il s'est agi d'un choc, d'un grand coup à la tête. Et j'espère que les séquelles seront durables, car je ne crois pas que l'on puisse quitter cette lecture pour passer à une autre comme si de rien n'était. Le trait majeur d'un grand roman, n'est-ce pas?
Pour vous si...
- Vous êtes prêt à voir en face l'envers du décor
- Vous ne jurez pas que par les prix littéraires, et êtes prêt à vous aventurer dans un roman qui, pour ma part, m'a emportée bien plus loin qu'aucun autre primé 2016
Morceaux choisis
"De là où je vous parle, ce pays ressemble à une poussière incandescente et je sais qu'il suffira d'un rien pour qu'il s'embrase."
"Il n'y a jamais rien qui change et j'ai parfois l'impression de vivre dans une dimension parallèle où ce qui se passe ici ne traverse jamais l'océan et n'atteint jamais personne. Nous sommes seuls. D'en haut et de loin, c'est vrai que ce n'est qu'une poussière ici mais cette poussière existe, elle est quelque chose."
Note finale
5/5
(coup de cœur)
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