lundi 11 avril 2016

Avril dans les salles noires - Première partie

Un article où je ne parle ni de sexshops ni de restos à l'aveugle, ni même de cinémas (et oui, la formule est bien traîtresse), mais de spectacles!

Pour honorer la visite d'un éminent membre familial, j'ai sorti le grand jeu en orchestrant trois sorties culturelles qui devaient faire mouche.
Objectif atteint, pas toujours pour les motifs espérés.

Voici donc trois représentations programmées en avril, à voir... ou pas!

1. La gueule de l'emploi, au théâtre Mélo d'Amélie, dans le 2e arrondissement


Je ne mentirai pas, nous sommes tombées sur la pièce un peu par hasard, car mon projet initial a lamentablement capoté lorsque je me suis aperçue que le spectacle que j'avais prévu de voir était "sold out"...
Présageant que la deuxième soirée ne serait guère marrante, mon choix s'est donc porté sur une comédie visiblement grinçante, évoquant la compétition féroce pour décrocher le Graal, l'insertion sur le marché de l'emploi (ici, un poste de directeur d'agence bancaire - gloire et confettis).

La scène d'introduction m'a laissée perplexe, déclenchant une furieuse alarme intérieure : un homme manifestement fébrile en tient deux autres en joue (dont un dans une improbable tenue sur laquelle je reviendrai plus tard), et leur assène qu'il ne se laissera pas prendre le poste qui lui revient de droit, parce qu'il a la gueule de l'emploi (débit rapide, paroles presque indistinctes, pas de grosse marrade alors que c'était l'effet escompté, vous comprendrez ma réserve...)
Noir.
Lorsque les lumières se rallument, l'atmosphère tendue s'est diluée, on retrouve un monsieur à la bonhomie désarmante, visiblement un peu maladroit, bientôt rejoint par un second quidam. Le contexte se précise : ils sont tous deux là (le troisième se matérialisera un peu plus tard) pour un entretien d'embauche, mais il n'y a qu'un poste à pourvoir.

Sur un tel sujet, on attend immanquablement une sorte de satire sociale. 
Et il en est question : avec second degré, on apprend le parcours et le profil de chacun des trois protagonistes, la raison de sa présence pour cet entretien d'embauche, et son degré de désespoir, aussi.
Cependant, la pièce est avant tout comique, en dépit de la première scène : les interactions sont mordantes, les personnalités très colorées et particulières (un chômeur de longue durée attachant en dépit de son côté balourd, aussi gentil qu'un poney, un arrogant à la pointe du chic et très bling-bling, du moins en apparence, et un fanatique d'arts martiaux, qui n'hésite pas à dégainer chemise orange et costume bleu ciel pour se démarquer tout en respectant les règles de mise de tout entretien d'embauche), si bien que, passées les cinq premières minutes, on se met à rire, discrètement, puis très franchement, jusqu'à ne plus s'arrêter jusqu'à la fin de la pièce, habilement structurée, et au rythme réussi.


Preuve à l'appui, je n'ai pas menti sur le costume

Chacun en prend pour son grade, l'humour est décapant, avec en toile de fond, une réalité sociale pas si drôle de ça. Mais l'humour a un formidable pouvoir subversif, et le théâtre le lieu rêvé pour mettre à jour certains aspects déshumanisés et abjects du monde du travail.

On vous le recommande, c'est au théâtre Mélo d'Amélie, jusqu'au 28 mai 2016.


2. Musica deuxième, au Théâtre du Vieux Colombier (Comédie Française)


Naturellement, quand on veut épater sa maman, il n'y a qu'une chose qui vaille (exception faite des gyozas de Higuma et des nounours à la guimauve, dont la réussite ne démérite pas) : la traîner par surprise à la Comédie Française.

Ça, c'était l'idée de départ. Malheureusement, les représentations des pièces auxquelles j'avais pensé, Roméo et Juliette et Lucrèce Borgia, n'étaient, soit pas programmées le soir en question, soit complètes.
Illumination soudaine à l'idée de regarder du côté du théâtre du Vieux Colombier, que je n'avais encore jamais vu : on y passait une pièce de Duras, ou deux plutôt, que je n'avais jamais lues, Musica suivie de Musica Deuxième (la seconde consistant en une réécriture de la fin de la première, vingt ans plus tard, la maturité ayant porté certains fruits, pourrait-on penser).

Le topo était pourtant prometteur : un homme et une femme divorcent, ils se retrouvent dans un hôtel pour la dernière fois, une rencontre inopinée, avant de sceller leur séparation. Au cours de cette dernière nuit, ils revisitent leur histoire, s'interrogent, se dévoilent, ils ne s'aiment plus, pourtant ils s'aiment encore, ils s'aimeront toujours.

Le décor sert une mise en scène parfois étonnante, où les chaises et les verres semblent se multiplier à loisir : les personnages déambulent entre les meubles, se fuyant, se cherchant, sans but précis, il n'y a que l'attraction et la répulsion des corps, les émotions qui les submergent, qui, semble-t-il, guident ces mouvements parfois brusques et autrement inexplicables.


Chaque personnage est désormais engagé de son côté : elle a rencontré un homme, qu'elle dit avoir choisi parce qu'il était quelqu'un d'autre que son mari, lui est l'amant d'une jeune femme, très jeune, d'après ce qu'on a rapporté à sa femme.
Dans Musica, ces personnages secondaires apparaissent à l'extrémité de la scène, lors d'échanges téléphoniques qu'ils ont avec lui puis avec elle : une jeune femme nue, le téléphone à la main, puis un homme tout aussi nu, également un téléphone à la main. Un moyen d'évoquer l'aspect érotique des jeunes amours, par opposition aux amours déchues? Leur apparition en tenues d'Eve et d'Adam semble relativement gratuite, et pas forcément légitime.

Quant à eux, ils ressassent, osent enfin se poser des questions qui les hantent, échangent des confessions, révèlent la douleur, la déception, ce qu'il reste d'une histoire importante.

Sa déclamation à lui est scandée, marquée, au point de perdre tout naturel : il ne reste qu'une théâtralisation excessive de la pièce à travers cette interprétation.
Sa déclamation à elle convainc davantage, on la croirait cependant hystérique, au bout d'un certain temps, ce qui se conçoit, mais enfin, c'est épuisant.

Seul moment de grâce : leur baiser empreint d'une indicible tendresse, alors qu'il est au téléphone avec la jeune femme nue.

Lorsque débute Musica Deuxième, on retrouve les mêmes répliques pendant la première partie de la pièce, mais le ton est changé, plus léger, guilleret, on devine aisément comme un jeu de séduction que l'on s'attendrait à trouver entre un homme et une femme qui viennent de se rencontrer, pas entre un homme et une femme qui ont vécu ensemble, et dont l'histoire parvient à son terme. Ce décalage ragaillardit cependant l'ensemble, très lent et lancinant durant Musica.
Toutefois, l'expérience consistant à revoir pour partie la même pièce avec une interprétation différente au cours de la même soirée est particulière, et il est difficile pour le spectateur de ne pas être las. D'autant plus que la dernière partie de Musica Deuxième, censée traduire vingt ans de réflexion mûries, paraît terriblement longue, au point de transformer la soirée en une souffrance inutile mais qui dure.

Vous l'avez compris, la pièce n'a pas rencontré un succès fracassant : nombre de spectateurs se sont éclipsés à l'issue de Musica, et d'autres se sont enfuis dès la fin de Musica Deuxième, sans même applaudir les acteurs pourtant méritants.

Mon invitée m'a assurée qu'elle se souviendra de la soirée, autant vous dire que je redoute ses représailles.

Jusqu'au 30 avril 2016 (mais y tenez-vous vraiment?).


3. Carmen la cubana, au Théâtre du Châtelet



L'idée de génie, c'était la comédie musicale programmée au Théâtre du Châtelet, dont nous avons assisté à la première.

Imaginez : l'opéra de Bizet complètement revisité, au point d'apparaître comme une inspiration d'une pièce qui a pris toute la liberté qu'elle pouvait, au point d'évoquer l'originale à travers de grands airs transfigurés, sans que cela ne paraisse blasphématoire à quiconque (même pas à moi, pourtant grande puriste dans le domaine).

Il faut dire que l'opéra de départ à des accents andalous, qui se transposent merveilleusement dans le Cuba de la fin des années 1950, à l'époque où Castro est sur le point d'organiser le coup d'Etat qui renversera Batista.

Les acteurs/chanteurs déclament en espagnol, la fougue de la langue sert formidablement l'absolu des tempéraments, l'amour éperdu de José, l'irrépressible liberté de Carmen.
Les décors sont somptueux, les chorégraphies fiévreuses à souhait, invitant sur la scène du Châtelet un rythme contagieux, une danse exaltée et toute l'audace propre aux pas latins (très gros jeu de mots right here).
Les spectateurs sont envoûtés par la voix grave de Carmen et sa fierté, l'amour lancinant de José (et sa tessiture ténor remarquable, certains airs rappelant réellement ce que l'on trouve du côté de l'opéra), la pudeur touchante de Marylu, le jeu de séduction décontracté d'El Nino, la lubricité de Moreno, l'ambiance électrique et brûlante de la Havane sur le point d'imploser...

Vous trouverez un aperçu en cliquant ici.

Seul bémol : le placement au théâtre du Châtelet, où il faut absolument se dégoter une place au premier rang des balcons pour voir sereinement toute la scène, sans quoi, il est fort probable de devoir se contorsionner pendant 2h30 ou renoncer à une partie du spectacle à cause des épaulettes de la veste de votre voisin de devant, du chignon de sa dame, d'un poteau, ou d'un angle mort. Sans parler de l'ouvreur qui a tout simplement refusé de venir placer les spectateurs porte 12, créant un beau chaos pendant la demi-heure précédant le début du show, puisque la lisibilité des places n'est pas si intuitive que cela.

En dehors de ces détails pratiques, Carmen a été un régal, un spectacle excellentissime, qui a valu à la troupe une ovation finale!

Précipitez-vous, ruez-vous, (mais attention, non pas à Carmen, mais à la localisation des places que vous réservez), c'est jusqu'au 30 avril 2016!

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