Voici la lecture d'avril du cercle Bibliothèque Orange : nous partons sur les traces de l'immense danseur et chorégraphe, Rudolf Noureev.
En tant que fervente admiratrice de son oeuvre, et fan incontestée des différents ballets dont il a créé la chorégraphie (par exemple, le mirifique Romeo et Juliette dont je vous parlais ici, mais ce n'est qu'une drop in the ocean, comme dirait OMI), je me suis d'entrée de jeu réjouie de la perspective de cette lecture.
Le synopsis
Un beau jour, Tristan Feller, psychanalyste parisien, est contacté par Livia F., qui l'informe que le célèbre Rudolf Noureev souhaite le consulter.
Après une première séance atypique, Rudolf renouvelle ses visites, nuant peu à peu une relation étrange avec le médecin, mêlée de jeu de pouvoir et de fascination.
A mesure que Tristan découvre la personnalité de l'artiste, il entrevoit ses failles, ses blessures, ses ambiguïtés. La dissension entre réalité et vérité, la part du mythe dans l'aura qui accompagne le danseur. Et, peu à peu, il réalise aussi qu'il contrevient à ses principes de neutralité, irradié à son tour par le rayonnement de Rudolf, en dépit de ses efforts pour se tenir à distance, comme l'exige la déontologie professionnelle.
Mon avis
Mon point de vue sur le roman de Philippe Grimbert est tout à fait biaisé par la vénération que je porte à l'artiste Rudolf Noureev. Partant, le récit de son parcours m'a tout à fait passionnée, mais il m'est difficile d'établir si cet intérêt aurait été le même si je n'avais pas conçu la moindre inclination pour la danse, et pour l'oeuvre du danseur et chorégraphe.
Si je tâche d'analyser objectivement mon ressenti durant la lecture, je dois souligner en premier lieu que le narrateur ne m'a guère inspirée d'empathie : visiblement préoccupé par ses propres démons tandis qu'il apprivoise le monstre sacré, il était prévisible de devoir en passer par ses tribulations, mais cela n'est clairement pas le cœur de l'ouvrage, et ne mérite pas à mon sens que l'on s'y attarde.
Ce qui, en revanche, est fascinant, c'est la façon dont le mythe est exploré, l'Histoire revisitée, invitant à confronter la vérité et la réalité, ainsi que le met en exergue le narrateur.
Au-delà de cela, la personnalité de Noureev est attrayante, captivante, dans ce qu'elle a d'assuré, de tranché, et de paradoxal aussi. Une réflexion est livrée sur son statut d'apatride, à travers la façon dont il s'est détourné de la Russie, où sa carrière de danseur était condamnée, laissant derrière lui sa famille, et sa mère notamment, figure centrale autour de laquelle le roman évolue, et à laquelle il doit son titre, puisque Rudik était le surnom que Rudolf recevait d'elle enfant.
Le roman de Grimbert est donc particulièrement intéressant dans l'appréhension de l'homme derrière l'artiste incroyable, de ses contradictions, de ses choix et de ses fantômes.
Pour vous si...
- Si voyez vaguement qui est Noureev, et plus encore si vous lui vouez un culte
- Les pratiques de rémunération des psychanalystes vous laissent perplexes
Morceaux choisis
"S'il est une dimension qui importe au psychanalyste, c'est bien celle de la vérité, ce tissu de souvenirs remaniés, embellis par la mémoire, dans lequel nous nous drapons, romanciers de notre propre histoire. Tout souvenir est fiction, récit imaginaire dont nous sommes les auteurs, bousculant lieux et dates, et c'est sur cette fiction que nous nous construisons, plus sûrement sur sur la réalité des faits. En ce sens, Rudolf Noureev avait raison : sa première version de l'événement de juin 61 était du côté de la vérité, celle sur laquelle, comme chacun de nous, il avait bâti son personnage. Sa légende prenait naissance pour lui, autant que pour le monde entier, dans ce récit épique. La destinée d'un homme hors du commun s'y trouvait ainsi intimement liée, par la grâce du grand jeté qui le libéra, à sa raison de vivre : la danse."
"Ce soir-là, comme tous les autres soirs, me dis-je, il jouait sa vie, rien de moins, et ce sacrifice imposait que l'on oubliât tout, sitôt qu'il apparaissait : l'effort douloureux exigé par chaque pas, la souffrance sensible de son corps. Ces contraintes magnifiaient la danse elle-même, qui ne donnait avec lui aucun sentiment d'aisance ou de facilité, mais plutôt l'impression d'un corps à corps avec la pesanteur, combat dont il sortait chaque fois vainqueur, in extremis. Et ce combat avec les limites me fit penser à un autre monstre sacré, Maria Callas, à la fin de sa carrière : comparant sa voix au Parthénon, quelqu'un avait dit de celle-ci qu'elle était encore plus belle en ruine."
Note finale
3/5
(cool)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire