lundi 18 avril 2016

Ta façon d'être au monde, Camille Anseaume

Souvenez-vous : c'était en août dernier, je vous promettais monts et merveilles, le blog de Romanthé était encore balbutiant : c'est là que je vous ai parlé, pour la première fois, de Camille Anseaume. Mon tout premier post, sur un tout premier roman, qui m'avait toute chamboulée : Un tout petit rien, l'histoire d'une jeune femme qui décide de ne pas interrompre sa grossesse, et de devenir maman alors que le papa a filé. Lumineux et tendre. 
A l'occasion du Salon Livre Paris, je me suis procurée son petit deuxième, Ta façon d'être au monde, sur un thème plus sombre. 



Le synopsis

Le roman raconte l'amitié de la narratrice et de Justine, son amie d'enfance, sa meilleure amie, à l'épreuve du deuil, lorsque le compagnon de Justine disparaît tragiquement à l'aube de ses trente ans. 

Mon avis

J'ai eu plaisir à retrouver la prose particulière de Camille Auseaume, cette fois-ci dans un contexte où le sourire ne peut guère s'inviter comme il le faisait entre les lignes d'Un tout petit rien. Ce qui n'empêche pas l'auteur d'user parfois d'ironie, de distance, de sorte que le sujet, grave, est teinté de quelque chose d'autre, l'imminence du présent qui se poursuit, l'imperfection des êtres qui, blessés, avancent.

La première partie est dédiée à l'histoire de Justine et de la narratrice, l'histoire de leur amitié, depuis les bancs de l'école primaire, où une trousse parvient à les rapprocher et à faire ce que le temps ne doit pas défaire, jusqu'à l'âge adulte. Le récit s'adresse à Justine il dit "tu", quand la narratrice, dans un premier temps, est "la petite fille" puis la jeune fille", cette autre qui vit comme tous irradiée par la luminosité de Justine, son éclat. A mi-parcours, "elle" devient "je", la narratrice se révèle, mais jamais tant qu'à la dernière page.

Ce mode de construction du récit - dont il faut néanmoins reconnaître et qu'il est relativement complexe, et peut rendre la lecture malaisée tant que les mécanismes n'en ont pas été élucidés - permet d'explorer plusieurs facettes de la narratrice, de voir véritablement Justine à travers ses yeux, de la voir entière, douce, radieuse, et il permet aussi de voir la narratrice à travers ses propres yeux, plus intransigeants peut-être, car la jeune fille est abreuvée et vivifiée de l'amitié que lui porte Justine, ce lien improbable qui les unit et devient l'inébranlable pilier, mais elle n'a pas cet éclat, elle semble beaucoup plus perméable aux doutes, aux questionnements, à l'errance.

La deuxième partie se consacre à la disparition subite de Gabin, et aux mois qui la suivent, pendant lesquels le groupe d'amis auquel il appartenait, ainsi que Justine et la narratrice, resserre ses rangs, s'emploie à soutenir Justine tout en portant le deuil de celui qui n'était qu'un jeune homme, et qui formait avec Justine un couple solide et évident.
On retrouve bien sûr les sentiments bien décrits dans les romans qui racontent la perte, il est intéressant ici de voir évoluer la dynamique du groupe, la façon dont chacun réagit, d'autant plus que les personnages décrits sont très "actuels", très génération Y en gros, ils ont l'humour des gens nés dans les années 1980 ("cmb", un grand classique), ils en ont pour partie les modes de vie, les attentes et les désillusions.

C'est bien simple, la chute m'a laissée sans voix, comme en état de choc, et m'a durablement marquée, au point de me faire oublier tout ce que j'avais pensé du livre jusque-là.

Un deuxième roman réussi, qui se hisse à mon sens au niveau du premier sur un sujet tout autre, démontrant que l'auteur a du talent, et, espérons-le, encore beaucoup à nous raconter.


Pour vous si...
  • Vous aimez les romans qui vous retournent la tête à la toute dernière page
  • Vous supportez tant bien que mal les récits de deuil
  • Vous ne vous laissez pas impressionner par les constructions narratives atypiques

Morceaux choisis

"Tu connais ce rêve étrange que je t'ai souvent décrit. Il m'a hantée chaque nuit pendant des années. Et puis un jour je ne l'ai plus fait. Ce jour-là, j'ai compris que l'été avait duré vingt-six ans."

"Vous goûtez dans chaque coquetterie la douceur d'avoir 16 ans. Vous vous prenez le bec avec les garçons pour le plaisir de vous heurter à eux, mais vous avez l'âge auquel les chamailleries n'en viennent plus aux mains, et où tout le monde le regrette."

"En le regardant, je me demande à quelle heure on n'aime plus. Je veux dire, s'il y a un moment précis où l'amour se transforme, que ce soit en amitié, en dégoût, en tendresse ou en indifférence. J'aimerais pouvoir dater l'événement, savoir en quelle année, quel jour ou quelle heure il était quand j'ai arrêté de minauder. Si le temps a fait son travail, ou si c'est un minuscule événement qui a provoqué le changement."

"J'ouvre ma boîte mail en regardant ailleurs, parce que les bonnes nouvelles arrivent toujours quand on ne les attend pas.
Elles ont dû comprendre mon stratagème, et ne sont pas arrivées. On me propose en anglais d'élargir mon pénis, j'aurais préféré qu'on me propose quelques communiqués à rédiger.
Je referme mon ordinateur avec l'impression d'avoir une petite bite et un travail précaire.
Ça fait beaucoup, pour un lundi matin d'après inhumation."


Note finale
4/5
(excellent)

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