vendredi 29 avril 2016

City on fire, Garth Risk Hallberg

Le premier roman de Garth Risk Hallberg (GRH pour les intimes, et tous ceux qui trouvent le nom imbitable) a fait beaucoup parler de lui, sans même attendre sa publication. 
Il faut dire que son destin est plutôt unique, et très envié, dans le monde fabuleux de l'édition moderne : l'auteur, inconnu, a reçu de la maison d'édition Knopf la modeste somme de deux millions de dollars en échange des droits de publication, et ce alors même que son roman n'était pas achevé. L'histoire a fait son chemin, et a garanti des débuts faramineux à ce trentenaire pour lequel la guerre des éditeurs a fait rage (de quoi rendre vert de jalousie la cohorte des wannabe writers qui n'ont eu droit qu'à la lettre type des grandes maisons, et au courrier gratuitement venimeux et malveillant du Dilettante - Bisous Marie Dubos).
Alors, oeuvre de génie, ou pur produit marketing?
La réponse en quelques lignes. 



Le synopsis

Le roman présente le parcours de plusieurs protagonistes, à partir de Noël 1976, à New York : la famille Hamilton-Sweeney, en particulier William et Regan, les deux héritiers ; Mercer, le petit-ami de William ; Keith, l'époux de Regan avec lequel elle vient d'entamer une procédure de divorce ; Sam, la jeune maîtresse de Keith ; et Charlie, son meilleur ami, et secrètement amoureux d'elle.
Le soir du réveillon, des coups de feu se font entendre dans Central Park, et le corps inanimé d'une jeune fille est retrouvé.
C'est ce drame qui va constituer le point de départ du roman, autour duquel vont graviter tous les protagonistes.

Mon avis

J'ai encore un mal fou à réaliser que j'en suis venue à bout...
Pour tout vous dire, mon expérience de lecture est relativement mitigée!

Il faut d'abord reconnaître à l'auteur un talent indéniable : produire un tel roman n'est pas à la portée du premier quidam venu, et ce à plusieurs titres :

  • La structure du récit est solide et efficace : l'élément déclencheur n'intervient certes pas immédiatement, mais à un stade où les différents protagonistes ont déjà été identifiés, si bien que l'intrigue prend (il faut pouvoir patienter jusque-là). L'alternance entre les différents parcours et les liens qui se tissent petit à petit entre les uns et les autres permet d'appréhender au fil des pages une vision globale de l'histoire, le réseau des relations et les préoccupations spécifiques des uns et des autres. 
  • Les personnages incarnent des visages différents et ont des histoires personnelles qui renforcent leur densité : le spectre de ces visages est relativement étendu, depuis Charlie, Samantha, mais aussi Nicky et SG, qui nous font découvrir les milieux adolescents et alternatifs de l'époque, jusqu'à Keith et Regan, figures beaucoup plus classiques, qui partagent avec nous les aléas de leur mariage, ou même William, plus insaisissable, héritier qui sombre dans l'addiction en dépit de l'amour et du soutien de Mercer, qui est quant à lui un brave garçon ;
  • Le style est bon : le vocabulaire est riche, on ne peut pas taxer l'auteur de facilité ; il y a de l'ambition y compris dans la façon d'écrire de ce dernier, car l'écriture est visiblement travaillée;
  • Au-delà de ces ingrédients, l'auteur parvient à capturer et à peindre une atmosphère singulière, à restituer une expérience vivace de New York dans les années 1970, servie par les nombreuses références qui donnent corps au récit (qui n'en manquait déjà pas) et cultivent sa complexité.

Cependant, je ne me suis pas laissé complètement séduire par City on Fire, pour les motifs suivants :

  • Le rythme : la matière se révèle par moment étouffante, et ne contribue pas toujours de manière directe et incontestable à l'intrigue. Il faut s'armer de patience pour venir à bout du roman!
  • Les personnages : s'ils sont denses, comme mentionné plus haut, ils ne sont pas forcément attachants pour autant, et j'ai peiné à trouvé de l'intérêt à Samantha, Charlie et leur bande, mais aussi à William ou à Amory, qui aurait gagné, à mon sens, à être constitué en personnage plus central qu'il ne l'est, car ses traits principaux étaient tout à fait dignes d'être plus développés;
  • Le style : si l'on ne peut pas lui reprocher techniquement grand chose, il m'a semblé parfois manquer d'âme, sans doute parce que les références me parlaient peu, que je ne suis pas fine connaisseuse de New York, et que je m'attendais à me sentir davantage "connectée" avec les protagonistes. De fait, alors que j'ai clairement souvenir de passages prouvant le contraire, j'ai comme le sentiment de n'avoir pas été traversée par des émotions vives en lisant.
City on Fire est à mon sens un roman prometteur, et surtout, audacieux (ce qui est en soi très précieux, dans la jungle des romans sans prétentions qui ne cesse de s'étendre au-delà des frontières du raisonnable). Peut-être pas le chef d'oeuvre entrevu, mais une fresque très honnête, et, pour un premier roman, relativement exceptionnelle.

A relire dans quelques années ?

Pour vous si...
  • Vous raffolez des pavés (970 pages, Messieurs Dames...)
  • Vous êtes un amoureux de New York et de son histoire récente (cinquante dernières années)

Morceaux choisis

"Cela dit, ce n'est plus la même ville maintenant, ou bien les gens sont en quête d'autres choses. Sur Union Square les buissons qui abritaient les transactions de la main à la main n'existent plus, ni les cabines téléphoniques d'où on appelait son dealer. Hier après-midi, quand j'y suis allé pour me changer les idées, un spectacle de danse moderne au tempo lent faisait un tabac sous les arbres revitalisés. Des familles tranquillement assises sur des couvertures baignaient dans une lumière lie-de-vin. On voit ces trucs-là partout aujourd'hui, l'art de rue se distingue difficilement de la vie de rue, ces voitures à pois sur Canal Street, ces kiosques à journaux enrubannés tels des paquets-cadeaux. Comme si les rêves se résumaient à des articles référencés dans un catalogue d'expériences disponibles. Curieusement, cependant, la possibilité de satisfaire son moindre désir - la profusion qu'offre à profusion la ville aujourd'hui - tend à vous rappeler que ce dont vous avez réellement faim, c'est précisément ce que vous ne trouverez jamais là-bas."

"_Je peux revenir? demanda Charlie.
Le sourire de Nicky fut de toute beauté - une déchirure artistique dans le denim du temps.
_Oh, bien sûr. Oh, absolument. On attend ton retour, Prophète. Une fois que tu en es, tu en es."

"Ce dont ils firent l'autopsie, d'une voix étouffée, fut le mariage lui-même. Ou plutôt, de deux mariages : sa version à lui et celle de Regan. A tour de rôle, ils égrenèrent jusqu'au dernier grief, comme s'ils marchaient sur des charbons ardents, jusqu'à ce que la douleur parût presque rassurante (Au moins là, la douleur, la répétition, ils étaient encore ensemble)."

"Cette ville n'était-elle pas la somme de chaque petit égoïsme, de chaque ignorance, de chaque acte de paresse, de défiance et de malveillance jamais commis par chacun de ceux qui y vivaient, ainsi que de tout ce qu'elle avait aimé, elle?"


Note finale
3/5
(cool)

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