mercredi 23 mars 2016

Courrier des tranchées, Stefan Brijs

Courrier des tranchées est un roman qui avait remporté un franc succès auprès du cercle des Explo-lecteurs du site lecteurs.com lors de la rentrée littéraire de septembre dernier.
En dépit d'une petite aversion naturelle pour les récits sur la première et la seconde guerres mondiales (trop d'histoires lues, faut-il croire...), je m'étais promis de surmonter cette réserve et de me plonger dans ce roman-fleuve.
Voilà qui est chose faite.



Le synopsis

John est un jeune homme studieux, passionné de littérature et peu attiré par les campagnes de recrutement de soldats lorsque se déclenche la Grande Guerre en 1914. Exactement à l'inverse de Martin, son frère de lait, issu d'un milieu plus modeste encore, et qui entrevoit dans cet engagement la possibilité d'obtenir une reconnaissance à laquelle il n'a jamais pu prétendre.
Martin s'engage, tandis que John repousse l'heure du choix.
Alors que les hommes tombent au front, John est rapidement stigmatisé, insulté et rabroué par tous ceux qu'il croise, qui lui reprochent d'être lâche et de ne pas être allé défendre son pays.


Mon avis

Malgré son apparence volumineuse, Courrier des tranchées est un roman abordable, qui se lit aisément : la prose est limpide, sans aspérités, et l'on se projette facilement dans l'histoire, auprès des personnages qui ont des caractères marqués, et des doutes comme des ambitions très humains.

Ainsi, on discerne le tempérament de John très rapidement, son inclination pour l'étude, pour la réflexion, loin de ce qui anime et enthousiasme certains de ses pairs plus portés sur l'action, et qui voient la guerre comme une opportunité excitante.

John est réfléchi, et courageux à sa manière, car les pressions dont il fait l'objet ne le détournent pas d'abord de son intention de ne pas s'enrôler. Sa jeunesse rejaillit cependant à travers les sentiments qu'il éprouve pour Mary, et son envie irrépressible de l'éblouir, y compris en s'engageant aux côtés de ceux que Mary admire, et qu'elle ne juge pas poltrons, contrairement à lui.

La description de la façon dont John est fustigé de toutes parts pour son refus de s'engager est extrêmement intéressante, et dévoile les ressorts sociaux à l'oeuvre dans le cadre d'une action collective dont l'individu est moins libre qu'il ne le pense de se dissocier : il lui est difficile de résister à l'isolement et à la répréhension que lui adressent ceux qui se sentent légitimes, parce qu'un de leurs proches s'est engagé ou est tombé sur le champ de bataille. Le pacifisme ou le refus de se battre sont directement traduits comme des actes de lâcheté, comme un défilement honteux.

J'ai regretté que le personnage de Martin ne soit pas davantage exploré : il est évoqué en filigranes, à travers les descriptions qu'en livrent les autres personnages, il est acteur dans les souvenirs de John, mais est en quelque sorte une figure évanescente, qui n'est jamais aussi réelle que dans le dénouement de l'intrigue.

Mme Bromley est un personnage attachant, de même que ses filles à des degrés divers ; d'autres personnages nourrissent l'intrigue sans être véritablement consistants en tant que tels.

Dans l'ensemble toutefois, le roman est bien construit, donne à réfléchir sur des sujets complexes tout en les présentant simplement, et l'on ne s'ennuie guère.

De bons ingrédients réunis pour un résultat très honorable.


Pour vous si...
  • Vous êtes pacifiste dans l'âme, persuadé qu'en temps de guerre, vous n'iriez pas grossir les rangs des soldats (et qu'aucune pression sociale ne viendrait à bout de votre résolution)
  • L'idée d'aller guerroyer avec pour seul motif l'envie de plaire à une fille ne vous paraît pas invraisemblable (ah, les jeunes...)

Morceaux choisis

"Je ne pleurais pas Walter, ni à cause de Gladys, non plus à cause de Mary ; je pleurais sur moi seul, en raison de ce que je n'avais jamais eu et n'aurais jamais. Depuis des années, je menais une vie de pierre. J'en avais pris conscience à mesure que je lisais la lettre. Je regardai autour de moi, la baraque jonchée de lits vides, les gravats sur le sol, les poutres cassées, et je me dis : c'est moi, ça, c'est mon corps, mon âme, un espace où tout le monde n'a jamais rien fait d'autre que passer, où personne n'a souhaité ni pu rester, où le vent et la pluie jouent à leur guise."


Note finale
3/5
(cool)

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