lundi 15 janvier 2018

Konbini, Sakaya Murata

Petite excursion dans la littérature japonaise, avec un court roman de Sakaya Murata, qui a été distinguée à plusieurs reprises dans son pays. Konbini lui a d'ailleurs valu la récompense du prix Akutagawa. 


Libres pensées...

Depuis toujours, Keiko Furukura se sent décalée par rapport aux autres, si bien qu’elle a très tôt fait de son mieux pour tâcher de ne pas sortir du lot et d’être considérée comme une personne normale. Depuis ses études, elle travaille à temps partiel dans un konbini, une supérette où elle a appris le comportement et la gestuelle attendus. Mais, à 36 ans, son entourage commence à se montrer suspicieux, et à attendre d’elle qu’elle rentre dans un schéma classique, à savoir, qu’elle trouve mari et quitte son emploi, ou qu’elle décroche un poste plus sérieux et durable. Perplexe quant à la stratégie à adopter, elle fait la rencontre de Shihara, qui vient d’être recruté comme vendeur au konbini, et se révèle un médiocre employé.

Konbini est un roman typiquement japonais de par son style et l’atmosphère qui y règne. L’intrigue est à mon sens originale, s’éloigne des sentiers battus (la relation développée entre Keiko et Shihara n’est pas celle que l’on pourrait imaginer à la lecture du synopsis), offre un regard intéressant sur le travail dans les petites surfaces et certaines mœurs japonaises (notamment au travers des conventions sociales auxquelles Keiko doit se plier, et qui ressemblent dans une certaine mesure à ce que l’on peut trouver dans de nombreuses sociétés occidentales).

L’évolution de l’intrigue permet de prendre peu à peu la mesure de la situation de Keiko. Le roman dépasse les catégories habituelles, dans la mesure où l’on n’identifie pas au premier abord le rôle romanesque de Shihara, par exemple : est-ce un rôle d’élément perturbateur ? De facilitateur en vue d’une possible résolution ?

Le personnage de Keiko, qui semble justement inapte à ressentir l’empathie, en provoque néanmoins chez son lecteur, de par l’exclusion dont elle souffre, et la solitude qui en découle. Keiko comme Shihara sont tous les deux très singuliers, et ne sont pas des personnages littéraires classiques, ce qui attise la curiosité. 

L’histoire de Keiko sort de l’ordinaire (le lieu du konbini favorise le sentiment d’exotisme et crée une atmosphère particulière), alors que beaucoup peuvent se retrouver pour partie dans l’inadéquation avec les normes sociales dont elle souffre, et la pression dont elle fait l’objet de la part de ses proches, du fait des injonctions sociétales plus ou moins tacites. La chute aurait pu être soignée, mais le lecteur est maintenu en haleine au fil des pages. 

Quant au style, il est typiquement japonais, factuel et loin de toute forme de lyrisme, évoquant les romans d’Ito Ogawa, Takuji Ichikawa, Hiromi Kawakami, Banana Yoshimoto ou encore Ryû Murakami.

Konbini est donc un récit à la fois rafraîchissant et d’un réalisme mordant, qui est en outre facile d’accès. 

Pour vous si...
  • Vous êtes fan de littérature japonaise
  • Vous aimeriez une version japonaise de Nos vies de Marie-Hélène Lafon (avec un peu plus d'action)

Morceaux choisis

"Si j'ai pu évoluer en tant qu'individu, c'est grâce à l'influence des personnes qui m'entourent. 30% pour Izumi, 30% pour Sugehara et 20% pour le gérant, sachant que le reste se répartit entre Mlle Sasaki, arrivée il y a six mois, M. Okasaki, notre chef jusqu'à l'année dernière, et tous les autres qui ont travaillé ici par le passé.
Tout ce qui concerne la façon de parler, en particulier, je l'apprends par imitation. Mon langage actuel est un mélange d'Izumi et de Sugehara.
N'est-ce pas ainsi que fonctionne tout le monde ? Je me souviens avoir vu le groupe de Sugehara passer au magasin de temps en temps : les filles s'habillaient et parlaient comme elle. [...] Nul doute qu'à mon tour j'influence aussi la façon de parler de quelqu'un d'autre. C'est en nous imprégnant les uns des autres que nous préservons notre humanité."

"_Ce n'est pas une tâche naturelle pour un mâle, marmonne-t-il. Il en va ainsi depuis l'Antiquité : les hommes partaient à la chasse tandis que les femmes récoltaient fruits et légumes et gardaient le foyer. Ce genre de corvée correspond mieux au système neurologique féminin.
_Shiraha ! On n'est plus dans l'Antiquité ! Homme ou femme, on est tous des vendeurs ! Venez, je vais vous montrer comment ranger le stock dans l'arrière-boutique."

"_Sa vie est finie. Quel loser, un fardeau pour la société ! C'est le devoir de l'homme de contribuer à la bonne marche de la communauté, que ce soit par le travail ou en fondant une famille."

"Les gens ont une drôle de façon de plisser les yeux quand ils font preuve de dédain. On peut y déceler la peur d'être contredit, et comme une étincelle belliqueuse qui semble défier crânement l'adversaire ; ou à l'inverse, on peut y voir luire la délectation, comme une forme de transe induite par le complexe de supériorité."

"Dans ce monde régi par la normalité, tout intrus se voit discrètement éliminé. Tout être non conforme doit être écarté.
Voilà pourquoi je dois guérir. Autrement, je serai éliminée par les personnes normales.
J'ai enfin compris pourquoi mes parents désespéraient tellement de trouver une solution."

"Tu ne comprends donc pas ? Les individus en marge de la communauté n'ont aucune intimité. Tout le monde vient nous marcher dessus, sans ménagement. Ceux qui ne contribuent pas, que ce soit par le mariage, en ayant des enfants, en allant chasser ou gagner de l'argent, sont des hérétiques. Voilà pourquoi nous ne pouvons mener notre vie sans être dérangés."

Note finale
4/5
(très cool)

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