mardi 30 janvier 2018

Redites-moi des choses tendres, Soluto

Ca sent la fin, pour le cycle d'automne des 68... Je termine en beauté, avec un gros pavé signé Soluto, qui me propose un voyage dans les classes moyennes françaises, au coeur d'une famille bien à tous points de vue, mais aussi au bord de l'implosion.


Libres pensées...

Un homme décide de quitter sa femme, puis se ravise. Trop tard, l'email est parti. Par chance, elle, professeur d'histoire-géographie en voyage scolaire à Berlin, a égaré son téléphone. Eugène, le mari, après s'être vu accourir vers ses maîtresses pour leur annoncer la bonne nouvelle, s'effondre en imaginant sa vie sans Barbara. Barbara, quant à elle, repousse soigneusement les avances de son collègue Rémi, amoureux transi qui s'accroche malgré les rejets successifs qu'il essuie, et se découvre étrangement sensible aux oeillades d'un de ses élèves.
Entre eux, leurs deux enfants, Julien, qui méprise son père et voue à sa mère un amour sans borne, s'éloigne du cadre scolaire et s'attire les remontrances de la principale de l'établissement.
Alice, quant à elle, dissimule une occupation malsaine qu'elle ne peut s'empêcher d'accomplir.

Je me suis plu dans le roman foisonnant de Soluto.
Tout y est fait avec passion, avec morgue, depuis l'entrée en matière (ce fameux mail de rupture envoyé par Eugène et qu'il regrette dès qu'il l'a fait partir) jusqu'à l'issue finale, ainsi que tout au long des nombreux rebondissements.

Cela provient en premier lieu de la langue, qui est d'une richesse impressionnante. Il faut dire que l'auteur adapte le registre et le vocabulaire au protagoniste, de sorte que l'on reconnaît immédiatement le "style Eugène" ou le "style Barbara". On trouve en outre une distance dans l'écriture, un regard humoristique porté sur la situation et les personnages qui donne le sentiment de les regarder se débattre face aux revers de la vie, sans pour autant adopter un ton de commisération ou de condescendance.

Les personnages, comme les situations, sont cocasses, et pourtant graves, et l'apparente légèreté avec laquelle l'auteur joue des développements du récit souligne la distance que le lecteur ressent entre les protagonistes et lui-même, alors même que le récit est très réaliste (on est face à des chroniques des classes moyennes françaises). Ainsi, on rit d'Eugène, de son ton larmoyant et pathétique combiné à une personnalité revancharde, mais l'on est plus mesuré concernant le sort de Barbara, de Julien ou d'Alice, enlisés dans des choix individuels qui les ont piégés. Le roman donne à voir une fresque où chacun, auto-centré, est persuadé d'être au centre de l'intrigue, du drame qui se dessine autour de la famille, souvent indifférent aux affres traversées par ses proches.

Redites-moi des choses tendres fait office de satire sociale, on rit comme on pourrait pleurer, tant les personnages sont pris dans des tourmentes tristement banales, comme on peut soi-même en vivre ou en lire dans les journaux, et qui nous font considérer avec amertume la condition du français moyen, aspiré par son propre égoïsme et l'obsession de répondre à ses désirs.

Pour vous si...
  • Vous vous regorgez de l'usage du subjonctif imparfait dans un roman ;
  • Vous déplorez que l'on ne rencontre pas plus d'Eugène dans la littérature.

Morceaux choisis

"Tu te doutes bien qu'après tes révélations post-partum, j'ai cherché les traces de vos échanges. En ce temps-là tu refusais les téléphones portables. Il fallait bien que vous communiquassiez (du sucre sur mon dos, pardonne cette amertume)."

"Alice souffrait à chaque fois que son père prouvait par ses dires qu'il était un sale con."

"L'écrivain, qui l'observe, reste toujours à sa remorque. La réalité, par ses effets de surenchère, toujours l'épate. Quoi qu'il compose, il reste en deçà. Il ne parvient à approcher les facéties de la fortune, l'injustice de la chance, les reflets des bonheurs perdus, la cruauté des hasards aveugles qu'en attrapant sur le vif quelques croquis piquants qu'il ajuste et qu'il coud."

Note finale
3/5
(cool)

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