dimanche 8 novembre 2015

L’Élixir d'amour et Steinbeck

La période de l'année s'installe paisiblement, que je passe ordinairement recluse dans les théâtres et les opéras, pour me distraire du froid et de la grisaille.
Cette semaine, je suis passée du coq à l'âne, d'une comédie légère à une adaptation vibrante d'un roman de Steinbeck.



Commençons par L’Élixir d'amour.
Vous pensez sans doute : quel est donc ce machin? Et croyez n'en rien savoir.
C'est faux. 
L’Élixir d'amour est certes un opéra italien, certes de Donizetti (le père du sublime Lucia de Lammermoor), mais c'est aussi de là que nous vient l'un des airs les plus célèbres au monde, ré-employés à l'envi dans le cinéma notamment.
Je vous assure.
Vous vous souvenez de ça?
Allez à 0:53.
Là, ça vous interpelle? C'est celui-là, tout à fait.
Una furtiva lagrima.
Donc, vous connaissez, ou vous avez déjà entendu quelque part.
J'ai toujours imaginé derrière cet air une trame tragique, digne de Tosca ou bien de Werther
Que nenni!
L'Elixir d'amour, s'il n'est pas non plus du calibre de La belle Hélène ou de la Grande-Duchesse de Gerolstein (opéras bouffe hilarants, où l'on retrouve des morceaux cocasses : Dis-moi Vénus, quel plaisir trouves-tu à faire ainsi cascader la vertu, ou encore Je suis le Général Boum Boum), reste relativement léger : dans un village basque à la fin du XVIIIe s, Nemorino est un paysan amoureux d'Adina, une fermière riche et instruite qui se dit volage et se moque de la passion qu'elle lui inspire. Laissant miroiter par ailleurs le sergent Belcore, de passage dans le village, elle repousse Nemorino alors qu'il tente de lui exprimer ses sentiments, le poussant à acquérir auprès d'un bonimenteur nomade un philtre d'amour. Il s'agit en réalité d'une bouteille de Bordeaux, si bien qu'après avoir ingéré le philtre, Nemorino est tout bourré et affiche envers Adina une distance à laquelle elle n'est pas habituée, et qui l'ébranle. De colère, elle accepte la proposition de mariage de Belcore, conduisant Nemorino au désespoir lorsqu'il retrouve ses esprits (et sa sobriété).
Ne vous inquiétez pas, l'issue n'est pas si triste.

Le spectacle vaut le détour.
Tout d'abord, le décor n'est pas banal : figurez-vous un gros tas de foin sur la scène de l'opéra.

True story

Ensuite, et surtout, la distribution est royale.
L'interprète du docteur charlatan est impressionnant de carrure et de coffre (Ambrogio Maestri), Adina est campée par Aleksandra Kurzak, une soprane qui ne dispose d'atours pas que sa seule voix, et, enfin, Nemorino est confié à Roberto Alagna.

Ah, Roberto.
Même en marcel et bottes de ferme, il est formidable.

Roberto dans une motte de foin, deux fantasmes en un

Alors, imaginez-le, tout penaud, chanter Une furtiva lagrima (si vous manquez d'imagination, cliquez ici). A la fin, je dois l'admettre, j'en suis fébrile (il y a même des sortes de lumières flottantes qui se manifestent au-dessus du tas de foin en début de morceau, comme c'est romantique <3 *_*).

Et en plus, à un moment, y'a un petit chien qui traverse la scène en courant.

Bref, du beau spectacle.

Passons maintenant à la fin de semaine, et à une pièce autrement moins marrante.
Des souris et des hommes, c'est un roman qui m'a bouleversée adolescente, qui m'a arraché des larmes de rage, d'indignation, d'affliction. Un roman court (comparé à d'autres Steinbeck), mais terrassant.
L'adaptation au théâtre attisait naturellement ma curiosité, les personnages étant à mon sens tellement singuliers qu'il serait difficile de trouver à les incarner.


Et bien, en réalité, les acteurs portent la pièce avec un talent confondant.
On retrouve les grandes lignes de la trame bien connue, Georges est un petit nerveux comme décrit par John dans son roman, Candy est un vieil homme long et fin et courbé, usé par les ans, à l'inflexion de voix émouvante, Slim est très bien de sa personne, Crooks est crédible jusque dans sa démarche cahotante, Carlson est à mourir de rire, et Lenny.... Lenny est rien moins qu'exceptionnel.
Jouer un tel rôle (pour rappel, celui d'un homme adulte déficient mental) demande de l'audace et de la démesure sans doute, mais aussi beaucoup de finesse, pour ne pas sombrer à tout instant dans la caricature qui défigurerait l'entreprise en la rendant grotesque. L'acteur qui donne corps à Lenny a développé un jeu d'une impressionnante cohérence, depuis les intonations et les expressions faciales jusqu'à la gestuelle.
Verdict : la pièce est une réussite.

Ça se passe en ce moment au Théâtre du Palais Royal. Allez-y les yeux fermés (pas pendant la séance bien sûr).

Le point commun entre les deux spectacles de ce post? 
Le chien.
Et oui, la tendance en ce moment semble être de ramener sur scène ces pauvres bestioles qui n'ont rien demandé, ce qui ne manque pas de provoquer l'hilarité ou la compassion immédiate et sans limite du public pourtant adulte. 
La prochaine fois, retour en enfance avec une excursion dans le monde du cirque.
Bon weekend!

1 commentaire:

  1. Merci pour le récit de ces deux chroniques - je t'accompagne à nouveau quand tu veux au théâtre :)

    RépondreSupprimer