mardi 10 novembre 2015

Les faibles et les forts, Judith Perrignon

Je m'étais promis de lire son dernier roman, Victor Hugo vient de mourir. Mais voilà, ma bibliothèque a épuisé ses crédits 2015. Je me suis donc rabattu sur l'existant, et en l'occurrence un roman qui figurait déjà dans le fonds actuel, Les faibles et les forts.

Vous ai-je déjà dit tout le bien que je pensais du Thé Guimet, disponible au Palais des thés?

Le synopsis

Le récit mêle les époques, 1949 et 2010, et les voix des membres d'une même famille noire aux Etats-Unis. Il y a celle de Mary Lee, la grand-mère, hantée par l'épisode violent dont elle a été témoin enfant et qui a laissé son frère Howard handicapé, Dana, sa fille, la mère de cinq enfants que les différents pères ont abandonnés, et ses enfants, Marcus, Wes, Deborah, Jonah, Vicky.
Le roman s'ouvre sur une scène dérangeante, l'irruption de la police dans le foyer familial, qui oblige Marcus à se déshabiller devant ses proches pour le fouiller et vérifier qu'il ne cache pas de drogue.
Cette violence fait écho au passé de Mary Lee, et annonce le drame au cœur du roman, qui trouve ses racines dans l'histoire des Etats-Unis, et dépasse le caractère anecdotique de la tragédie familiale.

Mon avis

Avant toute chose, voici mon message principal : je vous recommande cette lecture.
Qui que vous soyez, là, derrière votre ordinateur ou votre téléphone, allez dénicher ce livre à la bibliothèque et accordez-vous une heure pour vous y plonger (deux pour les plus lents) (il y a dans cette phrase un jeu de mots des plus douteux, je vous laisse le soin de l'identifier une fois que vous aurez lu le livre en question).
Le sujet n'est pas nouveau, on l'a vu traité de plus en plus fréquemment depuis cinquante ans, avec une recrudescence au cours des dernières années, comme le montrent le succès de romans et de films comme La couleur des sentiments ou Twelve years a slave.
Le roman de Judith Perrignon ne se focalise pas sur la période de l'esclavage, elle interroge l'après, elle interroge les séquelles actuelles de l'Histoire, cinquante ans après le mouvement des droits civiques, dans un monde où on pourrait penser que les faits sont anciens, qu'ils n'ont plus qu'une résonance mineure dans la société d'aujourd'hui.
L'écriture est incisive, elle sert efficacement le récit sans verser dans un lyrisme ou une emphase qui rendraient l'ensemble mélodramatique et lui feraient perdre de sa puissance.
Ce que j'ai aimé, c'est la façon dont le contexte est posé, à travers les regards croisés de chaque personnage, chacun en proie à ses propres démons, Mary Lee qui porte le poids de l'Histoire, Déborah victime des premières affres de l'adolescence, Marcus révolté, Dana fatiguée... Le drame qu'ils partagent est digne d'un fait divers, une ligne factuelle dans un journal local, mais il recèle tellement plus, il incarne à lui seul les traces laissées par des décennies d'esclavagisme et l'empreinte oubliée dans les mœurs, par la ségrégation raciale, par la force de ce qui a été intériorisé et qui, avec le temps, a été recouvert par les non-dits.
Il est d'une banalité confondante.
Et il est plus bouleversant que tout ce que j'ai lu depuis des mois.


Pour vous si...
  • Vous avez aimé des romans comme Mississipi d'Hillary Jordan ou Beloved de Toni Morrison (pour le thème du roman plus que pour la prose, qui est très différente ici)
  • Comme dirait Delphine, vous préférez les histoires vraies, ou qui pourraient l'être
  • Vous partagez la conviction que la simplicité est parfois d'une puissance inique
Morceaux choisis

"Mais je pense tout le temps à lui, c'est comme s'il avait oublié quelque chose sous ma peau, une petite boule brûlante qui roule sous mon ventre, ma poitrine, jusque dans ma tête. Comme le cancer de ma mère, a dit Beth." (Déborah)

"La peur est en moi et je lutte pour ne pas être comme ma mère". (Mary Lee)

"Je ne sais rien de l'histoire de ces enfants, et pourtant je pourrais vous la raconter. Leur vie obéit à une statistique contre laquelle je me bats."

"[Le système esclavagiste] consistait à contrôler le corps de l'homme noir, à le bestialiser, par des règles mais aussi par des représentations, le Noir dangereux, le Noir qui potentiellement viole les femmes blanches. [...] Pendant des siècles, on a castré l'homme noir, physiquement d'abord, puis socialement, il a du mal à trouver du travail, à nourrir sa famille, à jouer son rôle de père."


Note finale
4/5
(très bon)

Je valide l’inscription de ce blog au service Paperblog sous le pseudo romanthe

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire