lundi 7 novembre 2016

Jean Jaurès, Gilles Candar et Vincent Duclert

Depuis deux mois, je planche chaque soir ou presque sur la biographie dantesque de Jean Jaurès, écrite par Candar et Duclert, et publiée en 2014.
Je vous livre sans attendre les principaux enseignements de cette lecture exigeante et instructive.


Le synopsis

Jaurès naît en 1859 et meurt assassiné le 31 juillet 1914, à la veille de la Première Guerre Mondiale, contre laquelle il s'est longtemps battu, en ardent défenseur du pacifisme.
Entre les deux, la vie bouillonnante d'une figure centrale du socialisme et de l'Histoire de France, souvent détournée et mobilisée de manière abusive. 

Mon avis

Avant toute chose, je me dois de signaler une anecdote intéressante, celle que je retiendrai en premier de cette biographie fleuve : dans sa famille, Jean Jaurès était surnommé "Gros". Marrant. Ah ah ah.

Trêve de légèretés, la tentative de Candar et Duclert de restituer fidèlement la vie de Jaurès et ses postures idéologiques est politique, est bluffante.
La matière est riche, et les auteurs ont le mérite de citer largement leurs prédécesseurs en la matière, en particulier Madeleine Reberioux et Max Gallo, mais d'autres également, ce qui fait de leur oeuvre une synthèse impressionnante de l'état des savoirs et de la littérature concernant Jean Jaurès.

En effet, au-delà de son parcours, on peut trouver des extraits de ses discours, des articles écrits pour les différents journaux dans lesquels il œuvrait, et ce afin de cerner sa pensée sur les différents sujets qui ont marqué son temps, et de la voir évoluer. C'est le cas par exemple de l'affaire Dreyfus : si Jaurès est devenu graduellement un ardent défenseur du capitaine, il ne l'a pas été dans un premier temps, et a peiné à entraîner avec lui le camp des socialistes, pour lesquels Dreyfus était du côté des capitalistes, et n'était donc pas l'un des leurs pour qu'ils se positionnent en sa faveur.

On constate les influences humanistes et philosophiques dans la pensée de Jaurès, qui s'infléchit tôt en faveur du prolétariat, du monde ouvrier qu'il connaît pour venir d'une région où il est fortement ancré, sans pour autant être lui-même issu de ce milieu-là, car Jaurès a eu une scolarité exemplaire, est devenu normalien, reçu à l'agrégation de philosophie derrière Bergson qui lui souffle la première place, et c'est dans ce monde académique qu'il a noué les liens les plus indéfectibles, les quelques amis qui le suivront tout au long de sa vie.

Jaurès se prononce et se bat en faveur de la laïcité, il est de ceux qui combattent pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat, alors même que sa femme et sa fille sont très proches de la religion catholique, ce qui qui sera reproché par ses détracteurs.

Pragmatique, il met la force de sa prose au service de la cause ouvrière, et défend de nombreuses mesures qui améliorent concrètement le quotidien des ouvriers et des petites gens (l'instauration d'un système de retraite, largement décrié à l'époque car l'âge de départ était fixé à 65 ans, ce pourquoi beaucoup dénonçaient un système qui ne servirait qu'à une minorité de la population).

De Jaurès, on retient le pacifiste bien sûr, mais il a été bien davantage, présent dans l'espace public y compris lorsque ses mandats n'étaient pas reconduits et donnaient le sentiment d'un désaveu, persévérant dans la ligne qui a été la sienne dès ses débuts en politique, et l'on peut mesurer en cela le chemin parcouru en un siècle, car le socialisme d'antan avait pour vocation de donner la voix au prolétariat, mot qui ne se prononce plus aujourd'hui en France, et ceux qui étaient représentés jadis sont devenus moins visibles.

L'oeuvre est foisonnante, instructive, et très structurée, allant jusqu'à analyser l'homme privé derrière la figure de Jaurès (initiative complexe, tant l'homme était discret, loin de l'objet marketing que sont aujourd'hui les politiciens).

Pour vous si...
  • Tout comme votre serviteuse, vous êtes incapable de raconter la vie de Jaurès sans pleurer en arrivant à la date fatidique du 31 juillet. 
  • Vous êtes partisan de rétablir la vérité historique et les positions politiques de ceux dont les politiciens d'aujourd'hui, bien plus ternes, cherchent à se réclamer à tort et à travers.

Morceaux choisis

"Comment travailler en historien sur la vie d'un homme alors que les postérités multiples, politiques, sociales, culturelles, artistiques même, ont fait naître un "autre Jaurès", souvent très différent de celui qui a vécu, écrit et combattu? Difficilement, tant Jaurès est convoqué pour apporter ce supplément d'âme si nécessaire aujourd'hui à la démocratie ou pour désigner les vertus du socialisme." (il a, il a ce je n'sais quoi, que d'autres n'ont pas...)

"C'est une chose inique que des hommes libres, travaillant dans une entreprise, soient pour ainsi dire tenus en dehors d'elles ; qu'ils n'en connaissent ni les ressources ni la conduite, qu'ils n'aient, en un mot, aucune part dans la propriété même de l'entreprise. Il est absurde que, dans une démocratie libre, où les hommes sont émancipés politiquement, ils soient des sujets économiquement, et que citoyens, c'est-à-dire souverains dans l'ordre politique, ils soient salariés, c'est-à-dire serfs  dans l'ordre économique." (article de Jaurès paru dans la Dépêche en 1891)

"Jaurès est intensément patriote. Ne déclare-t-il pas à la Chambre, au détour d'une intervention : "si noir que puisse devenir le monde, il ne verra jamais cette chose impossible et monstrueuse, la mort de la France"? Il est tout autant pacifiste, internationaliste et bien convaincu de la nécessité d'une action forte contre le danger de guerre."


Note finale
4/5
(excellent)

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